Des attaques en Europe ? Le soi-disant “Etat Islamique” change de style et de tactique médiatique : il opère maintenant en Europe à travers des cellules dormantes/actives.

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D’Elijah J. Magnier: @EjmAlrai

 

Malgré sa perte de territoires importants en Irak et en Syrie, l ‘ «Etat islamique» (EI/ISIS/Daesh/ISIL) est en train de changer et de s’adapter à un nouveau style tactique. En pratiquant (en dehors des frontières du Moyen-Orient et en Europe en particulier, mais pas exclusivement) des attaques terroristes d’une manière presque discrète, suivie d’une première réclamation presque timide de sa responsabilité, à travers son média « A’maq ». Les récents attentats terroristes le confirment: ISIS a fait valoir son entière responsabilité, par le biais d’un message vidéo, quelques jours plus tard, suivie d’une menace au Président François Hollande proclamant de frapper plusieurs villes en France.

Cette nouvelle approche est en phase, avec la dernière déclaration officielle de l’ ‘EI » (Abou Mohammad al-Adnani), qui reconnaît que l’organisation perd des territoires au Moyen-Orient. Il rappelle que l’ « EI » est parti de rien en 2003 et qu’en dépit de son déclin apparent, l’organisation saurait retrouver son élan à l’avenir.

Examinons la récente attaque à Nice où plus de 84 personnes ont été tuées ainsi que 200 personnes blessées. L’auteur de l’attentat, le tunisien Mohamed Salman Lahouaiej Bouhlel, âgé de 31 ans, n’a pas de casier judiciaire, relié au terrorisme et ne figurait pas sur la liste des suspects, ni chez les Français, ni auprès des autorités européennes. Il a réussi toutefois, d’obtenir une arme à feu, et à être formé dans son utilisation, tirant sur les forces de sécurité au cours de ses deux kilomètres de route, meurtrière, à bord d’un camion pesant 19 tonnes. L’idée d’utiliser une telle machine à tuer afin de maximiser le nombre de victimes ne vient pas d’un jeune immigrant, soi-disant radicalisé, rapidement en ligne, selon des médias et des responsables français.

Il vient plutôt d’un esprit possédé, fasciné par différentes méthodes d’engendrer la mort. Nous l’avons vu tout au long des années en Syrie et en Irak, depuis l’annonce du Califat en Juillet 2014. Certaines de ces façons sont: la mort par le feu (pilote jordanien Maaz Kassasbeh à Raqqa, Syrie), par noyade (Iraq – Hit), par un RPG anti-armure (l’exécution de quatre soldats syriens), le piétinement par un char d’un soldat capturé (un commandant de char syrien), des explosifs attachés autour du cou des prisonniers (Afghanistan, contre les détenus des talibans).

Le but est non seulement de tuer, mais aussi que le monde parle des méthodes d’abattage, et que l’attention des médias soit attirée par la brutalité utilisée, laissant le spectateur choqué et durablement impressionné. Pour l’ « EI », que l’on en parle positivement ou négativement signifie atteindre un objectif hautement souhaité : étaler le nom « État islamique » aux quatre coins de la Terre.

Pour revenir à Nice, la mise en pratique de l’idée de conduire un camion (l’idée est déjà apparu dans le magasine d’Al-Qaeda « Inspire » mais jamais exécutée) au milieu d’une grande foule ne vient pas du jour au lendemain, mais par une organisation ordonnée. Une telle attaque nécessite l’esprit d’un planificateur militaire, sur place, qui organise dans l’ombre, loin des projecteurs, comment effectuer une attaque dans une vieille Européenne. Le planificateur doit avoir plusieurs cellules indépendantes, trouver une proie adéquate, manipulable, un enthousiaste désireux de «faire quelque chose» et prêt à mourir pour ses convictions. Pas nécessairement un militant, ayant un engagement religieux fondamentaliste, et encore moins- un casier judiciaire ni quelqu’un qui fréquente un milieu spécifique, vu ou connu des forces de l’ordre. Pour les autorités, une telle proie ne doit pas être un profil facile à identifier et neutraliser.

Cette nouvelle situation demande de la part des autorités un changement de stratégie adaptée, si les kamikazes ne peuvent plus être identifiés, il est dorénavant essentiel de se concentrer sur le planificateur et non sur « sa » proie.

En sus, la recherche d’un exécutant adéquat, l’attaque exige une cible, comme dans le cas de l’attaque terroriste de Nice, un événement public connu et planifiée à l’avance par la municipalité: un rassemblement des milliers de personnes, y compris des étrangers, le 14 Juillet le long de la côte méditerranéenne dans cet espace connue sous le nom “la Promenade des Anglais”.

Il est essentiel que la tête de la cellule, le planificateur, ne soit pas identifié par l’exécutant – surtout dans le cas du fond « pas strictement religieuse » de Bouhilal. Ceci prévient l’éventualité que le terroriste change d’avis (ceci est arrivé déjà en Irak et en Syrie, où des kamikazes se sont livrés eux-mêmes aux autorités locales avant l’acte) ou soit blessé et capturé par les forces de sécurité. En outre, il existe le besoin d’un formateur minutieusement préparé – l’Officier du Cas (CO) – capable dé-radicaliser l’exécutant et l’encadrer pour qu’il recueille, seul, ses outils et les équipements logistiques de l’attaque (location d’un camion, la reconnaissance, la route, l’acquisition d’un pistolet…). Il est important que ce “CO” rapporte à la tête de la cellule, l’enthousiasme ou l’hésitation de BouHilal afin de mesurer si l’exécutant est suffisamment chargé en idéologie et en motivation pour mener son acte jusqu’au bout.

Ce n’est pas une chose ordinaire pour un exécutant nouvellement préparé, sans expérience du champ de bataille, de devoir tuer des dizaines de civils, des enfants et des femmes. Encore plus difficile, de maintenir son acte meurtrier pendant deux longs kilomètres avec une main accroché au volant et une autre, tenant une arme, prête à ouvrir le feu sur les forces de l’ordre. Et encore plus impensable, de tuer froidement des musulmans, (30% des victimes), alors que l’exécution d’un musulman est lourdement condamnable dans l’Islam. Impossible d’imaginer un tel scenario d’horreur, effectuer par un individu seul et isolé.

Il est également probable que l’exécutant ait été informé seulement dans les derniers jours de sa destination finale, comme nous l’avons vu à Sanaa, au Yémen, en Mars 2015, lorsque les deux kamikazes – qui ont tués plus de 130 personnes – ont été informés la veille. Cette information a pu être révélée grâce à l’analyse des Whatsapp échangés entre militants que j’ai pu recueillir dans mes investigations après l’attaque, dans les médias sociaux. A cette époque, l’ « EI » n’avait pas établi un “Hisba Tweeter” (police des médias sociaux) pour surveiller les fuites d’informations classées, l’intrusion de faux partisans et pour fournir des instructions appropriées mais limitées pour ceux qui voyagent à l’étranger qui sont désireux de se joindre au Califat.

Les éléments rassemblés ci-dessus conduisent à la forte possibilité de nouvelles attaques terroristes en Europe, à une grande échelle, comme Paris, Nice, Bruxelles, ou une petite échelle, come Wuerzburg. L’ « EI » souhaite maintenir une stratégie qui vise à faire parler de lui, sans arrêts. L’intervalle entre une attaque et un autre n’est pas un indicateurs-clé. L’Occident est pour l’heure une cible de choix comme les conséquences de toute attaque sont beaucoup plus impactantes qu’au Moyen-Orient, déjà habitué à des attaques quotidiennes meurtrières.

Une autre question se pose par rapport à la façon dont l’ « EI » traite avec les informations et les médias. L’organisation n’annonce plus directement ses attaques en dehors du Moyen-Orient, mais utilise d’abord son bureau médiatique – A’maq – et attend quelques jours avant de les confirmer. Ceci est arrivé avec l’attaque de Nice, ainsi que celle de en Allemagne, Wuerzburg, où un adolescent Afghan, également annoncé par « A’maq » comme un «soldat de l’Etat islamique”, a poignardé et blessé cinq personnes à bord d’un train. Il n’est pas exclu que les deux événements soient mentionnés dans le prochain numéro du magazine de l’ »EI », “Dabiq”, avec peut-être plus d’informations sur les attentats-suicides. Cela peut être pertinent parce que ISIS n’est plus en mesure de produire des vidéos ou des événements spectaculaires et devra à l’avenir adopter des moyens plus modestes. Il utilisera toutefois toujours l’internet pour diffuser sa propagande alors même qu’il perd du terrain et jouit moins facilement d’un accès à sa technologie sophistiquée.

Le changement du style ISIS qui fournit moins d’informations sur ses attaques à l’étranger, et le fait qu’il dépend davantage de son bureau sont des indications de changements à l’intérieur de la stratégie opérationnelle et tactique du groupe. C’est un fait que le groupe perd du terrain en Irak, en Syrie et en Libye où il occupait autrefois la majorité du terrain. Néanmoins, il est également bien connu (ou il devrait l’être) que le terrorisme ne pourra jamais être éradiquée totalement, seulement contenu afin de réduire ses conséquences sur les sociétés civiles, tant que la lutte contre le terrorisme n’est par une opération conjointe entre les pays du Moyen-Orient et de l’Europe au niveau des services de renseignement.

Des pays tels que l’Arabie Saoudite, le Koweït, la Tunisie, l’Egypte et le Maroc sont les principaux fournisseurs de djihadistes et extrémistes. La collaboration de ces pays avec les services de sécurité européenne est essentielle à tous les niveaux. En outre, les services de renseignement internes, au niveau national, devraient examiner toutes les possibilités, y compris s’intéresser à ces mosquées qui ne sont PAS fréquentés par des extrémistes. Arriver à identifier les cellules dormantes exige de la part des renseignements de la diligence et une compréhension fine du terrain. Ils ne doivent pas perdre de vue que l’EI a hâte de déclencher une réaction contre la communauté musulmane de manière à recevoir à bras ouverts ceux qui ont subi l’expérience amère du racisme et des amalgames trop rapides.

Vaincre ce genre de terrorisme est difficile et complexe. Il faudra sans doute plusieurs générations, un changement radical dans l’enseignement générale et aussi religieux, ceci couplé avec la conscience que certaines personnes peuvent développer des idées extrémistes. En effet, l’Europe, ainsi que les Etats Unis, ont permis la construction de plus de 16000 mosquées, où le culte de la haine est le socle de l’enseignement extrémiste radical et non l’enseignement d’une pratique religieuse non-violente.

Il est important de mentionner que le fondamentalisme frappe aussi, aujourd’hui, les terres des constructeurs de ces mosquées. La haine semble tourner, comme un effet boumerang contre ceux qui ont cru que la religion de l’Islam pouvait se limitée à une seule interprétation, celle du Da’wa, ou de la prédication, sans devenir une machine à tuer.

La terre du vieux continent risque de trembler encore sous des nouvelles frappes terroristes. Ces attaques, qui continueront malgré la perte de vastes territoires, ne sont ni un signe de force, ni de faiblesse de l’EI.

Cette situation annonce, brutalement, qu’il est dorénavant nécessaire de coexister avec le terrorisme et que nous devons collaborer pour inventer de nouveaux moyens afin d’en réduire ces effets au minimum.

 

Traduit par: Maurice Brasher @MGPBrasher , Senior expert in Conflict Resolution.

Unknown

English version:

The “Islamic State” group is changing its style and tactical media: it is operating in Europe through sleeping-active cells.

 

Arabic Version:

http://www.alraimedia.com/ar/article/special-reports/2016/07/21/695891/nr/syria

 

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