Pourquoi le danger de l’EI persistera même après la libération de la Syrie et de l’Irak.

 

 

 

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Par Elijah J. Magnier : @EjmAlrai

Malgré les opérations militaires en Syrie et en Irak, et le pillage quotidien de vastes territoires sous le contrôle de l’”Etat Islamique” (EI), celui-ci est parvenu à frapper des cibles éloignées dans le monde musulman, en Europe et en Asie. Malgré la perte de terrain, le monde est confronté – et cela va continuer – à une idéologie adoptée et incarnée par une organisation qui est parvenue à attirer des jeunes femmes et des jeunes hommes, à provoquer leur émotion, à s’approprier leur haine et leur colère, et à secouer les frontières géographiques déjà établis. Il y a de nombreuses raisons à cela, mais le monde ne veut pas faire attention à certaines d’entre elles qui sont des alliés essentiels pour répandre cette idéologie dont les conséquences frappent toutes les sociétés sans distinction.

Selon des estimations non officielles, environ 40.000 à 50.000 hommes et femmes ont rejoint les rangs de l’EI, dont 5.000 à 6.000 en provenance d’Europe, plus de 10.000 de la Russie et du Caucase, et des milliers du Maghreb, du Moyen Orient, d’Asie, d’Australie, des Etats-Unis, et même des Maldives. Ceci s’ajoute aux dizaines de milliers de combattants venant d’Irak (son berceau) et de la Syrie (pays d’extension géographique). L’organisation a atteint près de 100.000 combattants pour pouvoir contrôler les vastes territoires de la Syrie et de l’Irak et a livré des dizaines de batailles sur plusieurs fronts pendant 4 années de guerre consécutives.

Ces chiffres représentent un bond sans précédent dans l’histoire contemporaine de la polarisation et du recrutement par une organisation islamique extrémiste qui a une doctrine particulière appelant à un “Etat Islamique allant de l’est à l’ouest ”. Au cours de la guerre d’Afghanistan par exemple, au début des années 1980, très peu d’immigrants ont rejoint les rangs des “Moudjahidines” : pas plus de 250 ou 300 combattants occidentaux de diverses nationalités. Cet accroissement considérable tient à de nombreuses raisons qui n’avaient pas lieu à l’époque des “Arabes Afghans” et des Muhajereen (combattants étrangers rejoignant la guerre sainte – le Djihad) à l’époque de l’occupation soviétique de l’Afghanistan.

A l’évidence, ce qui a largement contribué à la promotion de ce phénomène est Internet qui a permis une communication gratuite et immédiate entre des personnes du monde entier. La seconde raison est la crédulité des médias et l’absence d’implication dans la diffusion des faits sans politisation suffisante des analystes politiques des médias traditionnels. La troisième et la plus importante raison est l’occupation des pays du Moyen Orient (la guerre d’Irak en 2003, les guerres de Libye et de Syrie), l’intervention occidental avec des soldats venant de pays étrangers, et la politique de changement de régime promue par le Président George W. Bush, une politique semblable étant adoptée par le Président américain Donald Trump.

Internet:

Le monde a mis du temps à réagir à la façon dont l’EI (comme al-Qaïda) a exploité les réseaux sociaux et le développement des moyens de communication (Internet et autres moyens) qui permettent de partager des images de son action combattante, ses données et ses idées. Internet est l’outil le plus puissant pour attirer les jeunes et leurs familles, non seulement pour qu’ils rejoignent l’”EI “, mais aussi pour montrer “les injustices et les abus dont souffrent les Musulmans au Moyen Orient en raison des ambitions occidentales visant à occuper les terres et tuer les Musulmans sans avoir à rendre des comptes”. L’EI a aussi appelé au “Réveil mondial de l’Islam et au retour aux règles glorieuses de l’Islam” qui existaient il y a plus de 1400 ans.

L’EI a bénéficié de l’immense expérience des sympathisants qui ont choisi de rejoindre ses rangs. Docteurs, ingénieurs, universitaires et autres issus de tous les horizons de la vie, y compris des experts ayant de grandes compétences en matière de propagande. Ceux-ci servent l’EI et sont parvenus à créer un journal régulier, des radios et des court-métrages dans beaucoup de langues. Ils intègrent dans des jeux électroniques largement diffusés des images de batailles et de tueries de la vraie vie. Une grande quantité de documentation a quotidiennement émané de l’EI par Internet pour répandre ses idées et ses messages dans chaque maison de tous les continents, ce qu’aucun groupe n’était parvenu à faire antérieurement. L’EI a utilisé des “tueries en direct” pour projeter la puissance contre ses faibles ennemis. Le groupe terroriste a été “innovant” dans la façon de tuer pour montrer la toute-puissance du groupe et la capacité qu’il avait d’exercer un droit de vie et de mort sur une grande partie de la population de Mésopotamie et sur Bilad al-Sham. L’EI a répandu l’image d’une “vie magnifique désirée par beaucoup d’êtres humains (beaucoup de femmes et d’esclaves partageant terre, salaires, habitation, bien-être social, sécurité sociale, enseignement, une nouvelle famille et une nouvelle société) et la tranquillité” sous son “Etat” pour s’adresser aux rêves d’une jeunesse intellectuelle et au chômage. Certains ont rejoint le groupe “pour faire quelque chose”, pour “combattre l’injustice”, pour “fuir le harassement domestique”, pour “améliorer leur vie” ou pour contribuer à la renaissance de l’Islam qui a été vraisemblablement maltraité et malmené par l’Occident.

L’EI a réussi à toucher de nombreux supporters dans de nombreux pays sans même y aller, dans le seul but de servir le “Califat” et d’en faire partie. A beaucoup d’entre eux il n’était même pas demandé d’avoir une forte foi Islamique. Beaucoup d’entre eux ne pratiquent même pas et n’en connaissent ni les lois ni les exigences. Beaucoup d’entre eux – en particulier ceux qui ont pu rejoindre l’EI en Irak et en Syrie – ont eu besoin d’une éducation religieuse intensive, comme il a été montré par le groupe dans ses vidéos de propagande. Les jeunes ont été recrutés par leur propre volonté et leur enthousiasme ou sous l’influence d’amis ou de membres de la famille. La vague des “loups solitaires” qui ont attaqué l’Occident ont été recrutés à leur lieu de résidence par Internet bien que beaucoup d’entre eux fussent des « êtres de peu de foi », nés et élevés dans le pays même où ils ont commis leurs actes terroristes.

Malheureusement, quand les services de sécurité ont commencé à prêter attention à la puissance d’Internet et à son danger, il était trop tard pour entreprendre une contre-propagande. Les gouvernements Occidentaux ont largement contribué directement et indirectement au terrorisme en utilisant eux-mêmes Internet pour promouvoir leur propre politique au Moyen Orient, notamment la façon d’ont ils ont géré la guerre en Syrie.

Les médias traditionnels et leur rôle :

La façon dont les médias traditionnels couvrent la guerre d’Irak et surtout de Syrie a eu un rôle dévastateur et une grande influence assez négative dans de nombreuses communautés à travers le monde, surtout sur les personnes qui étaient jusque-là considérées comme des radicaux passifs et qui n’étaient jamais passés à l’acte. La couverture médiatique a encouragé les “loups solitaires” et contribué à fournir de bonnes raisons à des convois entiers pour qu’ils rejoignent l’exode vers le “Califat”. Les médias ont contribué à égarer des jeunes en diffusant de fausses nouvelles ou des nouvelles non vérifiées en rapport avec la guerre en Syrie, méconnaissant leur responsabilité professionnelle. Les nouvelles ont été largement répandues, suivant la “politique des journaux et de la télévision” bien souvent sans refléter la réalité et, dans bien des cas, sans le moindre journaliste sur le terrain. Les informations étaient prises pour acquises bien que provenant de sources activistes, et les rôles étaient inversés : certains journalistes sont devenus des activistes et vice versa.

Le désir de certains pays de chasser le Président syrien Bachar al-Assad et de changer le régime a surpassé le professionnalisme. Certains journalistes sont devenus actifs sur les réseaux sociaux, répandant les informations douteuses et les “dernières nouvelles” concernant les événements de Syrie et d’Irak, alors qu’ils étaient à des milliers de kilomètres de là, sans nécessairement vérifier leurs sources, du moment que cela était conforme à la façon habituelle de raconter les choses. La laideur de la guerre en Syrie et en Irak était étalée comme s’il s’agissait d’un jeu et d’une course : c’était à celui qui aurait le premier accès à l’information et qui pourrait réunir le plus grand nombre de morts sur une photo, blâmant l’Etat syrien. C’était une machine de propagande, indifférente à l’effet qu’elle aurait sur la jeunesse touchée pas l’événement, et cherchant un moyen pour “réagir et faire quelque chose”. L’EI ne pourrait être assez reconnaissant d’avoir tous les médias traditionnels travaillant au service de sa propre propagande. Les sympathisants de l’EI ont utilisé le matériel publié et disponible à son propre avantage : un parfait outil de recrutement, gratuit, puissant, pouvant atteindre le moindre foyer.

Politique étrangère et changement de Système :

Ceci est au cœur du problème qu’analystes et médias passent délibérément sous silence ou cachent quand ils analysent les facteurs qui ont contribué au développement du terrorisme. Ils feignent d’ignorer ce que l’ancien Président américain Barack Obama n’a pas hésité à mentionner en 2003 : “L’EI est la conséquence involontaire de la guerre conduite par les EU en Irak”. Les analystes du terrorisme le mettent sur le compte de l’”Islamophobie”, ils ont analysé le phénomène des “loups solitaires” et étudié les raisons de la migration massive vers l’EI mais ont délibérément ignoré la politique des démocraties et leur prétention à prendre en mains les affaires du Moyen Orient, particulièrement en Irak, en Libye  et en Syrie.

Les spécialistes du terrorisme s’accordent sur le fait qu’il y a évidemment de nombreuses raisons au terrorisme. Mais il est indéniable que “tuer au nom de l’Islam” a commencé après que des centaines de milliers de musulmans aient été tués chez eux. Prétextant démanteler l’arsenal des Armes de Destruction Massive le régime en Irak a été changé, suivi de la Libye où le monde a soudain découvert en 2011 la dictature de Mouammar Kadhafi, et finalement de la Syrie où les dirigeants ont prétendu chasser Assad et ont offert comme alternative les Islamistes radicaux de l’EI et d’al-Qaïda.

A chaque étape, des soldats américains ont été impliqués, au sol et dans les airs, participant aux changements de régime, bâtissant des bases militaires et occupant toujours plus de terrain, mais laissant derrière eux un terreau fertile pour que les organisations terroristes prolifèrent, comme l’EI et al-Qaïda. Aujourd’hui encore les EU et l’Europe n’ont rien appris de l’histoire et veulent encore occuper le terrain : il y a quatre nouvelles bases militaires en Syrie et on se prépare à faire racine dans le Bilad al-Sham sous prétexte d’occuper le terrain libéré de l’EI. Mais l’EI ne sera pas totalement annihilé et ces nouvelles forces d’occupation seront confrontées à une insurrection encore plus forte et plus aguerrie : et l’histoire se répétera.

En l’absence de justice et grâce aux guerres, l’idéologie de l’EI semble cohérente et puissante, capable de recruter et de se restaurer. Ces organisations radicales sont faites de gens intelligents et éduqués qui peuvent s’adapter à la rudesse et aux mesures de sécurité prises à l’encontre de leurs méthodes et développer d’autres méthodes pour maintenir le conflit tant que les politiques occidentales continueront à vouloir changer les régimes et à vouloir intervenir outre-mer.

Au Moyen Orient il y a chaque jour une attaque semblable à celles de Manchester, de l’Iran ou de la France, et d’autres terroristes attaquent dans le monde entier. Chaque jour il y a des douzaines de morts en Irak et en Syrie. L’EI a fait la prévue de sa capacité de planifier et de réaliser, recrutant le plus grand nombre d’attaquants suicides de l’histoire de l’humanité, tous prêts à se faire sauter pour leur cause. Si nous prenons la dernière attaque terroriste en Iran, l’EI était directement derrière les attaquants qui ont pu étudier minutieusement les faiblesses de la sécurité, pénétrer dans le parlement et diffuser une vidéo en direct sur A’maq, l’agence de diffusion de l’EI, alors que l’attaque terroriste était en cours.

L’EI est tout à fait capable de planifier, coordonner et synchroniser des attaques, comme au Bataclan et à Bruxelles. Les loups solitaires sont capables eux aussi de planifier et déclencher des attaques terroristes massives et de faire un grand nombre de victimes comme à Nice et Manchester. Le but est de causer la terreur, un grand nombre de victimes et une large audience.

Tant que les EU ne reconsidèreront pas leur politique étrangère et maintiendront, comme beaucoup d’analystes du terrorisme, la tête dans le sable, cherchant à ignorer les vraies implications de l’expansion du terrorisme, l’EI frappera et frappera encore. Si le groupe terroriste a su attirer des dizaines de milliers de gens en si peu de temps et les faire adhérer physiquement et intellectuellement à leur cause, la nouvelle version de l’EI – après sa défaite en Syrie et en Irak – risque d’être encore plus agressive et plus dangereuse pour nos sociétés. Il est temps de se réveiller et d’apprendre de l’histoire passée et être conscient du pouvoir de la vengeance.

 

Traduit par: Prof. Olivier du Lac.