La caravane syrienne passe par Sotchi, au grand dam des USA et d’Israël

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Par Elijah J. Magnier – @ejmalrai

Traduction : Daniel G.

Les pourparlers de paix sur la Syrie ont pris leur envol à la station balnéaire de Sotchi, sur les bords de la mer Noire. Environ 1 400 représentants du gouvernement et des groupes d’opposition syriens dont les points de vue, les programmes politiques et les objectifs divergent, se sont entendus sur 12 principes et résolutions stratégiques, au grand dam des USA et d’Israël. La Russie a sonné le glas (en théorie du moins) à toutes les supputations à propos de la partition de la Syrie tout en déclarant une « guerre silencieuse » à Israël, ainsi qu’aux forces armées des USA et de la Turquie qui se trouvent illégalement en territoire syrien. À Sotchi, le principe de l’intégrité de la Syrie en tant qu’État jouissant d’une pleine souveraineté a été adopté à l’unanimité.

Ce rassemblement symbolique est significatif, car même si on ne s’attendait pas à grand-chose au départ, des réalisations importantes en sont ressorties, à commencer par le rayonnement international accordé à Sotchi dû à la présence du représentant des Nations Unies (l’envoyé spécial de l’ONU en Syrie Staffan de Mistura) et de groupes syriens soutenus par la Turquie et l’Égypte, qui se sont tous réunis à la même table que les représentants du gouvernement syrien. De plus, il a été convenu que la constitution syrienne sera passée en revue par un comité constitutionnel formé de 150 experts nommés par le gouvernement et l’opposition. Il est vrai que ce comité n’a pas le pouvoir de changer la constitution, mais il peut formuler des suggestions, ce qui est un bon départ à présenter à la table de négociations de Genève plus tard cette année. Cela signifie clairement que les Syriens pourront décider de leur propre avenir malgré l’influence étrangère et les interventions extérieures.

La délégation syrienne financée par Riyad brillait par son absence que nul n’a regrettée. La direction des « Unités de protection du peuple kurde (YPG), qui sont sous la protection des forces américaines au nord de la Syrie, a également décliné l’invitation de participer à la réunion de Sotchi. C’est que les Kurdes favorables aux USA se sentent « trahis » par la Russie pour son absence de résistance au membre de l’OTAN qu’est la Turquie, dont les forces armées tentent d’envahir l’enclave kurde bordant la ville d’Afrin (dans le cadre de l’opération militaire turque ayant pour nom de code « Rameau d’olivier »). Il y a deux semaines, la direction des YPG (qui prétend faire partie de la Syrie) a repoussé une offre de la Russie et de Damas de livrer Afrin aux forces gouvernementales, parce qu’elle veut continuer d’administrer la ville. Malgré l’avertissement sans équivoque lancé aux Kurdes à propos du sérieux des intentions turques, les YPG n’étaient prêtes qu’à faire entrer le nombre de militaires syriens requis pour agir comme gardes-frontière (face à la Turquie), tout en refusant de livrer la ville aux forces du gouvernement central.

La réunion de Sotchi ne se voulait pas un succédané aux pourparlers de paix de Genève, bien au contraire. Elle a soutenu la feuille de route adoptée en 2012 et a accepté la tenue d’élections supervisées par l’ONU une fois la Syrie libérée. Sotchi est essentiellement la manifestation de la puissance dominante de la Russie en Syrie et de sa capacité, en tant que superpuissance, à jouer un rôle de pacificateur quand les armes à feu ne sont plus nécessaires. La Russie donne des coups de coude aux USA dans l’arène internationale, en mettant fin une fois pour toutes à l’unilatéralisme américain au Moyen-Orient.

L’administration américaine a manifesté sa colère à l’endroit de la Russie, principalement en raison de sa présence militaire dominante, de ses manœuvres politiques en Syrie, de sa présence sur la tribune internationale et plus encore. La Russie a asséné un coup au principal allié des USA au Moyen-Orient qu’est Israël, lorsque les participants à Sotchi se sont entendus sur la libération des hauteurs du Golan occupé à la frontière avec Israël. La Russie fait pression pour restituer des terres syriennes à leurs propriétaires, pendant que Donald Trump donne Jérusalem à Israël. Les USA ont également annoncé une série de sanctions contre la plupart des dirigeants militaires et politiques russes, y compris le premier ministre Medvedev. Vladimir Poutine, qui est miraculeusement exclu de la liste des personnes sanctionnées par Trump, n’a pas tardé à rétorquer à son homologue américain : « les chiens aboient, la caravane passe ».

Sotchi est également parvenu à un consensus sur la nature multiethnique d’un futur État syrien démocratique. Cela signifie qu’aucun groupe extrémiste ou religieux n’aura sa place dans le futur gouvernement de la Syrie. Mais ce qui est le plus important, c’est que les 1 400 personnes ont accepté de décider de leur sort par la voie des urnes et de choisir leur président au moyen d’élections démocratiques. C’est exactement ce que le gouvernement syrien en place défendait. Il a fallu aux Syriens sept ans pour le réaliser.

Les USA sont restés en dehors de Sotchi, mais pas de la Syrie où ils assurent une présence militaire au nord-est de la Syrie (Hassaké, Deir Ezzor, Manbij) et détiennent encore bien des cartes dans leur jeu. Ils exercent aussi le contrôle total d’une poche de résistance dans le même secteur, à la frontière syro-irakienne, ou quelques milliers de militants de Daech se trouvent encore. Ils contrôlent aussi une autre poche isolée à al-Tanaf, directement à la frontière syro-irakienne, où ils fournissent un entraînement militaire à (ce que prétend l’administration des USA) « des dizaines de milliers de rebelles syriens », au moment même où la guerre ralentit sa cadence et que les événements prennent leur distance par rapport au conflit syrien. Les USA utilisent les Kurdes pour qu’ils puissent protéger leurs forces aussi longtemps qu’elles resteront en Syrie.

La Russie ne punit pas les Kurdes. Elle respecte leur choix en les laissant découvrir ce qu’il en coûte de se mettre du côté des USA et en cherchant à obtenir une alliance que Washington refuse à quiconque sauf Israël au Moyen-Orient. L’administration américaine a toujours été honnête et directe sur ce point : nous n’avons pas d’alliés et d’amis, seulement des intérêts communs. Il est difficile de comprendre pourquoi les Kurdes persistent à vouloir changer les principes américains en matière d’alliance, et pourquoi ils accepteraient de devenir le bois de chauffage des Américains en Syrie. La Russie attend donc de récupérer les Kurdes qui finiront bien par sortir de leur rêve chimérique et comprendre qu’ils font partie intégrante de la Syrie.

Les USA (et leurs alliés) ont perdu la guerre et pourtant, ils tiennent mordicus à rester en Syrie. D’autre part, tout le camp opposé aux USA en Syrie est prêt à combattre les forces armées américaines et les forcer à quitter les lieux. Cela pourrait survenir lorsque la guerre en Syrie sera bel et bien terminée et que les USA resteront sur place comme un abcès. Ce ne sera toutefois pas facile de déloger la Turquie de la Syrie. Les Kurdes ont non seulement entraîné les USA au Levant, mais ils ont aussi fourni le prétexte aux Turcs pour rester en Syrie et en annexer une partie lorsque les YPG ont rejeté l’autorité du gouvernement central à Afrin et Hassaké.

Ni Sotchi, ni Genève vont faire sortir les USA ou la Turquie de la Syrie. Dans l’intervalle, les djihadistes et les extrémistes se réjouissent de leur présence, parce que l’ensemble des joueurs vont continuer à se rentrer dedans au lieu de consacrer toute leur énergie à défaire le terrorisme. Ils ont ainsi trouvé un alibi pour poursuivre leur « joute » sur le territoire syrien.