Le Liban est-il immunisé contre une nouvelle guerre civile?

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Par Elijah. J. Magnier: @ejmalrai

Traduction : Daniel G.

En novembre 1989, le parlement libanais a approuvé et ratifié l’accord de Taef, qui mettait fin à 15 ans de guerre civile. La population libanaise a cru pendant de nombreuses années que le spectre de la guerre était disparu à tout jamais. Cependant, la dynamique de la politique intérieure des derniers jours et la dispute entre le président chiite du Parlement Nabih Berri et le ministre des Affaires étrangères maronite Gebran Bassil ont fait ressortir la fragilité du système politique libanais, sujet à une escalade susceptible d’amener le pays à un niveau dangereux. Ce qui rend la chose possible aujourd’hui, c’est la somme de la présence militaire américaine en Syrie, de la guerre syrienne, de l’empressement de certains pays du Moyen-Orient à financer une nouvelle guerre et de la volonté perpétuelle de nuire à l’influence du Hezbollah et de l’Iran au Moyen-Orient.

À la suite de l’occupation de l’Irak par les Américains en 2003, les interventionnistes ont acquis une nouvelle façon moins coûteuse de faire la guerre. En Syrie, les USA, tout comme les pays du Moyen-Orient et de l’Europe, ont appris à mener leurs guerres par l’entremise de mandataires locaux prêts à combattre et à vendre leur loyauté. Les superpuissances (USA et Russie) ont dû engager leurs propres forces sur le champ de bataille, mais elles ont procédé de manière à épargner un grand nombre de victimes. En fait, les forces américaines en Syrie n’ont rapporté que quelques victimes dans leurs rangs, tandis que la Russie, qui est activement engagée sur plusieurs fronts, a dénombré moins de 100 morts en tout et partout, journalistes et travailleurs humanitaires y compris. Les deux superpuissances sont tout de même engagées dans les combats en guidant les forces locales et gouvernementales et leurs alliés pour atteindre les objectifs souhaités.

Pour qu’une possible guerre civile au Liban prenne forme, nous pouvons par conséquent dire que les parties doivent défendre un objectif clair, disposer d’un soutien financier et pouvoir compter sur des éléments locaux prêts à prendre les armes.

L’objectif

L’objectif d’une guerre civile au Liban est on ne peut plus clair. Depuis l’arrivée de Trump au pouvoir, son but principal consiste à trouver des moyens de nuire à l’Iran et au Hezbollah, son partenaire et allié le plus proche. Le président des USA a fait beaucoup d’efforts pour révoquer l’accord sur le nucléaire iranien, ce qui a suscité un malaise et la réprobation parmi ses partenaires européens, mais il n’a réussi (jusqu’ici) qu’à créer une tourmente localisée. L’administration américaine impose en même temps des sanctions contre le Hezbollah libanais, en l’accusant de s’adonner au trafic de stupéfiants, de planifier des attaques outremer, d’être plus dangereux qu’al-Qaeda et bien plus encore. Toutes ces accusations visent à entacher la réputation du Hezbollah, mais avec peu de succès jusqu’à maintenant, car l’organisation n’est pas une entreprise ayant des comptes à l’étranger ou des chefs militaires renommés qui se promènent partout dans le monde. La campagne américaine va même encore plus loin, en s’en prenant aux chiites aisés qui sympathisent avec le Hezbollah ou qui lui versent une contribution à même leurs excédents financiers (Khoms).

Israël serait ravi de voir le Hezbollah entraîné dans un conflit interne et perdre ses appuis locaux parmi les chrétiens. Le Hezbollah demeure aujourd’hui la principale menace pour Israël en cas de guerre, bien plus réelle que toute menace possible soulevée par al-Qaeda et le groupe armé « État islamique » (Daech). Le Hezbollah constitue une armée « organisée de façon irrégulière » dont l’arsenal est capable d’infliger des dommages sérieux à l’infrastructure et à la population israéliennes. De plus, la participation du Hezbollah à la guerre en Syrie est loin de l’avoir affaibli, comme le souhaitaient bien des pays voisins du Liban. Bien au contraire, la guerre a permis au Hezbollah d’acquérir une expérience unique dans toutes les tactiques militaires, et d’augmenter le nombre et la capacité de ses forces spéciales bien entraînées et expérimentées, qui peuvent dorénavant passer à l’attaque au lieu de se défendre en cas de nouvelle guerre contre Israël. Israël serait certainement prêt à offrir un soutien militaire sous toutes ses formes à tout groupe prêt à combattre le Hezbollah au Liban, ce qui déclencherait une guerre civile.

À la manière d’Israël qui, de pair avec les forces américaines, s’entraîne régulièrement en vue d’une nouvelle guerre contre le Hezbollah, le groupe libanais fait pareil en construisant des « villes israéliennes » à la frontière libano-syrienne pour entraîner ses forces sur la façon d’occuper une zone étendue si jamais Israël décidait d’attaquer le Liban.

Le soutien financier

Bien des pays du Moyen-Orient ont tenté sans succès de soumettre le Liban à leur domination et à leur autorité. Le premier ministre Saad Hariri a été enlevé. Pendant son voyage en Arabie saoudite, il a accusé le Hezbollah et l’Iran de jouer un rôle négatif et destructeur au Liban. Plus d’un pays du Moyen-Orient ne ménagerait aucun effort financier pour affaiblir le Hezbollah.

La guerre en Syrie a démontré que ce n’est pas le soutien financier qui manque et que les pays impliqués sont prêts à tout pour changer le régime et la dynamique du pouvoir dans le pays. De plus, l’une des principales raisons pour laquelle le gouvernement syrien a survécu à sept années de guerre, c’est parce que le Hezbollah et l’Iran ont répondu à l’appel à l’aide du gouvernement, empêchant ainsi la chute de Damas et des autres grandes villes. Les militants du Hezbollah ont sécurisé la frontière libano-syrienne et ont largement contribué sur le terrain à donner l’avantage à l’armée syrienne contre Daech, al-Qaeda et leurs alliés, démantelant du même coup les plans des interventionnistes visant à renverser le président Bachar al-Assad.

Les éléments locaux

Les observateurs au Liban ont qualifié la tentative du ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil de créer une division entre le Hezbollah et Amal de « naïve et manquant d’intelligence ». La relation entre les deux groupes chiites est beaucoup plus profonde et plus importante dans les deux camps que Bassil et l’organisation qu’il représente.

Ce que le ministre Bassil ignore, c’est que si le Hezbollah a pu hisser son drapeau dans certains villages au sud du Liban, à des endroits où le Hezbollah n’avait même pas le droit d’enterrer ses militants jusqu’à tout récemment, il le doit au président du parlement Nabih Berri.

Bassil ne comprend pas la dynamique interne des chiites au Liban et jusqu’à quel point le président du parlement Nabih Berri et le secrétaire général du Hezbollah Sayyed Hassan Nasrallah sont prêts à abandonner n’importe quoi et n’importe qui pour que leur unité reste saine.

Pendant de nombreuses années, le Hezbollah a rejeté toutes les demandes de membres du « mouvement Amal » qui voulaient se joindre au Hezbollah, pour éviter la tension et pour s’assurer que l’alliance du Hezbollah avec le beau-père de Bassil (le président Michel Aoun) s’arrête à la porte de Berri.

Selon ces observateurs, Bassil montre au Hezbollah qu’un dirigeant chrétien capable d’influencer la population est bien plus dangereux qu’un président libanais hostile. Le ministre des Affaires étrangères a ainsi mis fin à toute possibilité de devenir président un jour. En cherchant à recueillir plus de votes chrétiens aux prochaines élections, Bassil a payé un prix fort et l’engagement du Hezbollah envers le président Aoun ne va sûrement pas s’étendre à son beau-fils ministre des Affaires étrangères.

D’après les observateurs, Bassil souhaite (à tort) s’ouvrir aux pays du Moyen-Orient et aux pays occidentaux qui veulent détruire le Hezbollah et s’en servir comme contrepoids dans ses relations avec le Hezbollah.

Le Liban est toujours dominé par des chefs de guerre, à commencer par les dirigeants chrétiens (le président Aoun, le Kataëb de la famille Gemayel, les « forces libanaises » de Samir Geagea), le président du Parlement (Nabih Berri), le dirigeant druze (Walid Joumblatt) et les nombreuses autres personnalités qui dominent encore le pays et ses positions clés. C’est l’équilibre entre eux qui maintient le Liban à l’abri d’une guerre civile possible. Si cet équilibre est perturbé, le Liban pourrait fort bien devenir une autre Syrie et les ennemis sectaires musulmans qui l’entourent y apporter la touche finale.