La Syrie a imposé à Israël des lignes à ne pas franchir

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Par Elijah J. Magnier (à Damas): @ejmalrai

Traduction : Daniel G.

La Syrie et ses alliés ont décidé d’intervenir plus durement contre Israël, en reprenant à leur compte la stratégie adoptée par le Hezbollah dans les années 1990, avant qu’Israël ne se retire du Liban. Chaque fois qu’Israël violait l’espace aérien du Liban au-dessus de sa capitale Beyrouth, le Hezbollah lançait des tirs d’artillerie lourde au-dessus des villages israéliens le long de la frontière libano-syrienne.

Le commandement syrien et ses alliés ont décidé d’imposer une nouvelle règle d’engagement à Israël : chaque fois qu’Israël violera l’espace aérien syrien, Damas lancera des dizaines de missiles au-dessus des zones habitées sur les hauteurs du Golan. L’intention n’est pas de viser des cibles précises, mais de veiller à ce qu’aucun Israélien de la zone frontalière à portée de tir des missiles ne vive en paix. Tous devront courir aux abris chaque fois que l’armée de l’air israélienne violera la souveraineté syrienne.

Lorsque la Syrie a abattu le F-16 israélien il y a deux jours, Damas a commencé à imposer sa nouvelle règle d’engagement en lançant 25 missiles au-dessus des hauteurs du Golan et du territoire israélien, forçant la fermeture de l’aéroport Ben Gourion pendant plusieurs heures. Les sirènes ont retenti bien fort dans toute la zone, appelant les civils à se rendre à l’abri le plus proche.

Si le premier ministre Benjamin Netanyahou s’obstine dans sa politique à l’égard de la Syrie et que la Syrie met à exécution son nouveau « style » de réponse à cette politique, sa popularité va en prendre un sérieux coup.

Lorsque le F-16 a été abattu, Israël a trouvé la pilule dure à avaler et va sûrement chercher à se venger. Pendant les sept années de guerre en Syrie, tout ce qu’Israël a fait c’est de livrer « des combats éclair » prolongeant la guerre syrienne. Israël découvre aujourd’hui que plus la guerre perdure, plus la puissance de l’armée syrienne, de l’Iran et du Hezbollah augmente. « L’axe de la résistance » représenté par ces joueurs est en train de remporter la victoire au détriment de ses opposants.

Mais le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou n’en retire aucune leçon, tout en bernant les preneurs de décisions dans son pays. Netanyahou a rencontré Vladimir Poutine sept fois pour convaincre les Israéliens qu’il était capable de faire comprendre au président russe toute l’importance de la sécurité d’Israël, ce qui en soi donnerait à Israël suffisamment d’autorité pour faire ce que bon lui semble en Syrie.

Sauf que Netanyahou n’a pas rapporté à ses partenaires en Israël ce que Poutine a vraiment affirmé : « Nous n’avons pas l’intention de nous immiscer dans votre guerre contre le Hezbollah et l’Iran, mais nous ne permettrons pas que du tort soit causé à ceux qui combattent aux côtés de l’armée russe en Syrie. Si vous voulez frapper quelques dépôts de munitions ou convois du Hezbollah, c’est votre affaire. »

Moscou ne veut pas qu’Israël joue dans sa cour en Syrie, et ce, pour de nombreuses raisons : le Levant a ouvert les portes toutes grandes pour faire entrer la Russie au Moyen-Orient et lui donner un bel accès à la Méditerranée, faire trembler l’OTAN (en raison de son alliance étroite avec la Turquie) et restaurer son prestige que les USA avaient ébranlé en Afghanistan. Il est clair que Moscou souhaite aussi démanteler les plans des USA visant à affaiblir la Russie économiquement et politiquement.

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Les USA, qui s’imaginaient pouvoir frapper la Russie sans provoquer de réaction, ont commencé par se servir de l’Ukraine pour miner l’économie russe, en tentant d’interrompre l’approvisionnement en gaz que Moscou assure à l’Europe, qui est la pierre angulaire de l’économie de la Russie. Les USA ont ensuite cherché à sortir la Russie une fois pour toutes du Moyen-Orient en frappant la Libye et en tentant de faire tomber le régime en Syrie, où la marine russe était basée.

Moscou reste fidèle à ses amis et protège ses intérêts. Un État syrien fort a de quoi lui offrir et des avantages à en tirer. Durant toutes les années de guerre, des analystes ont cru que la Russie abandonnerait le président Bachar al-Assad pour pouvoir rester en Syrie. Mais ils ne comprenaient pas que la Russie, tout comme l’Iran, voyait en Assad (ce qu’aucun autre candidat présidentiel ne pouvait assurer) la seule personne capable de tenir ses promesses et de résister aux USA.

À l’instar des USA, Israël accepte difficilement sa défaite en Syrie et l’échec de son projet de renverser Assad et de faire tomber le régime. Israël a attaqué l’armée syrienne à plusieurs reprises, sans toutefois modifier nettement l’équilibre stratégique des forces en Syrie. Mais cela a irrité la Russie, ce qui explique pourquoi elle a donné le feu vert au gouvernement de Damas de lancer ses missiles antiaériens contre Israël.

L’armée de l’air israélienne a déjà frappé profondément dans le désert syrien par le passé, ce qui gênait les Russes. Netanyahou croyait être l’enfant chéri du président Donald Trump et que Vladimir Poutine le comprendrait. Ce que le premier ministre israélien n’a toutefois pas saisi, c’est que l’unique raison pour laquelle le président russe semble heureux de voir son homologue Trump au pouvoir, c’est sa méconnaissance de la politique. Moscou peut ainsi prévoir avec précision les mesures que les militaires et les conseillers de Trump vont prendre. Puis la violation de la souveraineté syrienne par Israël ne bénéficiera jamais de la protection de la Russie.

Quand Israël a insisté pour lancer de nouveau ses forces aériennes en direction du désert syrien, tombant tête première dans le piège qui lui était tendu, il a constaté avec surprise que la défense antiaérienne syrienne l’attendait de pied ferme. Poutine a rappelé au premier ministre Netanyahou, l’enfant gâté de Trump, qu’il y avait des lignes à ne pas franchir en Syrie, d’autant plus que des officiers russes se trouvent aux côtés de leurs homologues des forces alliées (le Hezbollah, les Gardiens de la révolution islamique et d’autres alliés). Le président russe ne peut pas se permettre de mettre la vie en danger de ses soldats par l’aviation israélienne. Va-t-il écouter les excuses tardives de Netanyahou pour obtenir son pardon, au prix du prestige de Poutine en Russie? Cela ne se produira tout simplement pas.

Israël a joué la mauvaise carte en s’obstinant dans sa politique futile en Syrie. Un avion israélien a été abattu pour la première fois en 36 ans, donnant ainsi à Assad et à ses alliés une victoire et un prestige renouvelé dans les rues au Moyen-Orient. Israël n’a pas compris qu’il ne peut plus parvenir à ses objectifs en Syrie et que ses options se sont réduites comme une peau de chagrin. La politique d’intimidation d’Israël, qu’il ne se résigne pas à abandonner, est loin de l’aider, bien au contraire. Elle ne fait que renforcer ses ennemis que sont Assad, le Hezbollah et l’Iran.

Lorsque le Hezbollah a touché la corvette de classe Hanit Sa’ar de la marine de guerre israélienne pendant la guerre de 2006, cela a entraîné le retrait de l’ensemble de la flotte israélienne de la bataille, tout en faisant ressortir la détermination au combat du Hezbollah ainsi que sa capacité d’innover et de causer des surprises sur le plan militaire. La perte du F-16 israélien a sûrement transmis le message à Tel-Aviv que la Syrie s’est relevée et qu’elle est prête à faire ce qui n’a pas été fait depuis 1973. Chose certaine, la Syrie est prête à entrer en guerre.

Les USA sont présents au nord-est de la Syrie et ne pourront en sortir qu’une fois qu’ils seront vraiment en mauvaise posture. Netanyahou, qui a grimpé sur l’arbre pour s’asseoir aux côtés de Donald Trump sur la même branche syrienne, a soutenu les djihado-takfiris d’al-Qaeda et a attaqué à répétition l’armée syrienne. Aujourd’hui, les deux dirigeants refusent de reconnaître qu’ils ont grimpé sur le mauvais arbre, qui n’est même pas le leur par-dessus le marché! Ils risquent donc d’avoir à redescendre de l’arbre lorsqu’ils seront tous les mal en point. Il est fort probable qu’ils devront subir quelques années difficiles avant de tirer des leçons et de quitter la Syrie.

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