Aprés la Syrie, la Palestine: L’astucieux Erdogan, nouveau sultan de la Turquie, domine l’échiquier moyen-oriental (3/3)

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Par Elijah J. Magnier: @ejmalrai

Traduction : Daniel G.

À l’approche de la fermeture relative du dossier syrien, le président turc Recep Tayyip Erdogan a un autre dossier à régler pour poursuivre sa domination de l’échiquier moyen-oriental : le dossier palestinien.

« Il n’y a aucune différence entre les atrocités commises contre le peuple juif en Europe il y a 75 ans et la brutalité subie par nos frères à Gaza », a déclaréErdogan lors de la réunion des dirigeants des pays musulmans tenue à Istanbul le mois dernier.

Le président turc a décidé de prendre position contre la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par Trump. Il a qualifié Israël « d’État terroriste » et a affirmé qu’« avec la volonté de Dieu, Jérusalem nous appartient et est et restera la capitale des musulmans tant que la oumma (la communauté des musulmans) existera ».

Les positions politiques d’Erdogan ont toujours été plutôt surprenantes. En 2006, il a soutenu le Hezbollah durant la deuxième guerre contre Israël à un point tel que son secrétaire général, Sayyed Hassan Nasrallah, l’a appelé « al-Tayib (le bon) al-Tayyip Erdogan ».

Mais avant de sauter aux conclusions, précisons que la Turquie ne mettra pas un terme à ses relations avec Israël et ne déclarera pas la guerre à Tel-Aviv. Les relations entre les deux pays remontent à 1949, quand Ankara a reconnu Israël comme État. Elles ont évolué en 1999-2000 quand l’armée de l’air israélienne a suivi un entraînement portant sur les longues missions à partir des aéroports turcs.

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Le premier ministre israélien Ehud Barak est allé en Turquie en 1999 et Erdogan a rendu la pareille en Israël en 2005. Ehud Olmert s’est également rendu en Turquie en 2007 et 2008 en tant que premier ministre, et le président israélien Shimon Perez s’est adressé au parlement turc en 2007. L’échange de délégations entre Israël et la Turquie n’a jamais cessé.

Cependant, l’incident du Mavi Marmaraa jeté une douche froide sur les relations israélo-turques. C’est à ce moment qu’Israël a réalisé qu’il était temps de se tourner vers d’autres partenaires au Moyen-Orient parmi les pays musulmans. Erdogan a mis fin à un contrat valant un milliard de dollars conclu avec Israël qui visait la modernisation de 170 chars. Malgré tout, plus de deux millions de touristesisraéliens continuent de visiter la Turquie chaque année et d’apprécier ses plages en toute sécurité!

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Israël s’est trouvé de nouveaux amis (non seulement l’Égypte et la Jordanie mais aussi le Qatar, le Bahreïn, les Émirats et l’Arabie saoudite), mais a continué de conclure des contrats avec la Turquie, qui a renoué ses relations après l’attaque du Mavi Marmara. À l’Eurovision en 2012, c’est un Juif turc, Can Bonomo, qui représentait la Turquie. En 2013, la pétrolière Turcas a proposéun projet de 2,5 milliards de dollars lié aux gisements de gaz naturel israéliens Léviathan.

En 2015, puis de nouveau en 2017, la plus grande délégation commerciale turque à ne jamais s’être rendue en Israël, qui représentait des milliers d’entreprises turques, a donné un nouvel essor aux échanges commerciaux entre les deux pays.

Mais Israël cherche de nouveaux partenaires musulmans, d’autant plus que la Turquie n’est plus la première force en importance au Moyen-Orient depuis l’arrivée des troupes russes au Levant. Tel-Aviv craint les sautes d’humeur continuelles du président turc, surtout en raison de sa détermination à jouer un rôle prépondérant au Moyen-Orient, maintenant que la guerre en Syrie et en Irak tire à sa fin.

En mai dernier, le président Erdoganet le premier ministre Netanyahuse sont accusés mutuellement sur les médias sociaux et des diplomates des deux pays ont été expulsés à la suite de la violence qui a éclaté à Gaza, quand Trump a décidé de reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël et de déménager l’ambassade des USA dans la capitale palestinienne. Erdogan a dit de Netanyahu qu’il « a du sang palestinien sur les mains et ne pourra pas dissimuler ses crimes en s’en prenant à la Turquie ».

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Mais là encore, le président turc ne prend pas de mesures extrêmes contre Israël, le « bébé gâté des USA ». Il a rejeté une proposition du parlement turc de suspendre tous les contrats commerciaux et militaires avec Israël. Cela indique clairement qu’Erdogan est un président islamiste à la tête d’un État laïque pragmatique, qui cherche à diriger le Moyen-Orient en l’absence de l’Arabie saoudite. Erdogan n’est pas lié à une idéologie ou à ses réactions personnelles quand vient le temps de poursuivre les intérêts commerciaux de la Turquie.

Il maintient donc ses relations avec Israël, mais aussi avec l’Iran dont les échanges commerciaux ont atteint 20 milliards de dollars annuellement. Il a également rejeté la requête américaine de cesser tout commerce avec l’Iran, sur le plan énergétique principalement, en décidant de s’opposer à l’embargo US sur l’Iran, qu’il juge comme un partenaire commercial important et trop précieux pour briser la relation qui les lie juste pour plaire à Washington. En fait, durant toutes ces années d’embargo avant l’ère Trump, la Turquie n’a jamais cessé d’échanger du pétrole contre de l’or et s’est toujours opposée à la décision américaine.

Lorsqu’il est question de commerce, Erdogan ne fait pas de distinction entre l’Iran et Israël ou entre la Russie et les USA. Malgré les protestations américaines, le président turc a conclu un accord avec Moscou prévoyant l’achat de quatre batteries S-400 valant chacune 2,5 milliards de dollars, à livrer au milieu des années 2020. Cependant, la Turquie a trouvé un équilibre :les S-400 devraient être manœuvrés par des Turcs et non par des Russes.

Erdogan s’est également opposé à la décision des USA de créer un État kurde en Syrie et aux décisions américaines en relation avec la Palestine. Voilà pourquoi les Palestiniens se tournent toujours vers la Turquie et comptent sur Erdogan, même s’il est loin de la frontière israélo-palestinienne, parce qu’il est le seul dirigeant capable de prendre position contre les USA et Israël sans être attaqué directement. « L’Axe de la résistance » défend bien sûr la cause palestinienne, mais fait l’objet d’attaques généralisées par les USA et les pays de la région, dont Israël.

Le président turc restera au centre des préoccupations en ce qui concerne la Syrie, où la Turquie occupe plus de 10 000 km2. Il œuvrera en faveur du retrait des USA de la Syrie pour que les Kurdes soient laissés sans protection (sauf s’ils retournent dans le giron de Damas à temps). La Turquie est un élément clé dans le transfert de l’énergie russe et iranienne pour son usage domestique, à l’Europe et au reste du monde. Erdogan restera un joueur important à Gaza, où la Turquie livre des fournitures médicales et autres aux Palestiniens, et il a sa façon bien à lui de s’adresser aux Israéliens. Erdogan devrait rester longtemps à la tête de son pays, mais seulement s’il arrive à relancer l’économie et à jouer habilement ses cartes avec ses voisins.

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