Pourquoi Netanyahu ose frapper la cour arrière de l’Iran en Irak, la Syrie et le Liban : Israël relève le défi du Hezbollah.

Par Elijah J. Magnier: @ejmalrai

Traduction : Daniel G.

La semaine dernière, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a fait fi de toutes les règles d’engagement existantes en Irak et au Liban, en se montrant prêt à faire la guerre et apparemment à la déclencher. Ses drones ont violé pour la première fois de vieilles règles établies en 2006 en faisant exploser ce qui semble être un drone en banlieue sud de Beyrouth, dans des circonstances nébuleuses. Malgré le manque de clarté et des conditions et des objectifs loin d’être évidents, quelques heures plus tard, le leader du Hezbollah Sayyed Hassan Nasrallah promettait d’attaquer Israël en représailles du meurtre de deux membres du Hezbollah en Syrie. Puis Netanyahu a attaqué de nouveau. Des drones israéliens s’en sont pris à une base qui existe depuis 1982, où se trouve le commandement général du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP-GC), dans la vallée de la Bekaa libanaise. Cette frappe indique très clairement que Netanyahu accepte le défi lancé par Nasrallah et ses conséquences. Elle signale aussi la poursuite de la politique provocatrice d’Israël, de son « bras long » prétendument capable d’atteindre toutes les cibles (sans exception!) et de son désir de vaciller au bord de l’abîme de la guerre.

Il subsiste des doutes concernant l’explosion d’un drone suicide en banlieue de Beyrouth, d’autant plus que l’objectif était apparemment insignifiant du point de vue militaire et du renseignement (dommages causés à un immeuble inoccupé où se trouve le bureau des relations publiques du Hezbollah), comme l’ont rapporté les médias locaux. Il est toutefois clair qu’Israël ne risquerait pas d’entrer en guerre contre le Hezbollah après 13 ans d’abstinence sans viser un objectif important digne de la réaction prévisible du Hezbollah. Le premier ministre Netanyahu a fort probablement évalué que la destruction de la cible en banlieue de Beyrouth par un drone suicide pouvait sauver de nombreuses vies israéliennes et que la mort de quelques soldats israéliens comme « dommage collatéral », qui ne manquera pas de se produire quand le Hezbollah frappera, est une perte acceptable. 

Il est toutefois très peu probable que les services secrets israéliens n’aient pas réussi à identifier la cible qu’Israël a frappée à Aqraba, à 15 km de l’aéroport de Damas, qui sert de base au Hezbollah en Syrie. Israël pourrait avoir identifié à tort le bâtiment comme une base du Corps des gardiens de la Révolution iranienne (on devine facilement que peu importe où se trouve le Corps des gardiens en Syrie, le Hezbollah n’est jamais très loin), une erreur qui a entraîné la mort de deux membres du Hezbollah.

Nonobstant les considérations improbables qui précèdent, le bombardement d’un bunker d’unebase palestinienne insignifiante par des avions israéliens tient davantage d’un message de défiance que d’une volonté de frapper une cible intéressante du point de vue du renseignement. La frappe nous indique que Netanyahu a relevé le défi lancé par Nasrallah et qu’il poursuivra sa propre politique conflictuelle.

Israël, qui a frappé des centaines d’objectifs en Syrie, semble avoir commencé à sélectionner des cibles en Irak et au Liban. Tout cela s’articule autour de trois grands objectifs liés à l’existence d’Israël : bâtir une armée qui unit toute la population juive d’Israël derrière son gouvernement; s’engager dans la mesure du possible dans des « combats entre les guerres » (lancer des attaques et s’engager dans des petites batailles avant les guerres ou pendant que la guerre fait rage dans un pays voisin); et atteindre toute cible qui représente un danger potentiel pour l’existence d’Israël, où que ce soit dans le monde.

Ce n’est pas d’hier qu’Israël frappe des cibles sélectionnées à proximité ou fort loin. Le Liban, la Syrie, l’Irak, le Yémen, la Jordanie et l’Égypte sont en tête de liste et le reste du monde suit, mais il demeure important de surveiller de très près d’autres parties du monde.

En 1960, Israël s’est rendu à Buenos Aires pour capturer Adolf Eichmann, le faire juger coupable de crimes contre le peuple juif et le condamner à mort. Israël a également envoyé une équipe d’assassins à Beyrouth en 1973 pour tuer les leaders palestiniens Kamal Idwan, Kamal Nasser et Mahmoud Youssef Najjar. Au total, quinze leaders et intellectuels palestiniens ont été assassinés, dont Mahmoud al-Hamshari à Paris, Naim Khader en Belgique et Wael Zuaiter à Rome. En 1988, Israël a envoyé une équipe d’assassins en Tunisie pour tuer le commandant palestinien Khalil al-Wazir, alias Abou Jihad,  l’un des fondateurs de l’OLP.

En 1981, 14 avions israéliens ont attaqué et détruit une installation nucléaire en Irak, en survolant l’espace aérien jordanien et saoudien. En 2007, Israël a détruit ce qu’il soupçonnait être une installation reliée au programme nucléaire syrien  (qui était en construction).

En 2008, Israël a assassiné le chef militaire du Hezbollah et chef adjoint de l’Organisation du Jihad islamique Imad Mughniyeh en Syrie. En 2010, une force de frappe imposante a été dépêchée dans lesÉmirats pour tuer le commandant du Hamas Mahmoud al-Mabhouh à Dubaï. Israël n’a pas hésité non plus à assassiner des spécialistes de l’énergie nucléaire iraniens, « afin d’empêcher l’Iran de se doter d’une bombe nucléaire ».

Les exemples qui précèdent sont cités pour montrer qu’Israël ne tient compte d’aucune autre frontière ou souveraineté que la sienne. Sous le prétexte de « protéger sa sécurité nationale » contre toute menace actuelle ou à venir, Israël prend l’initiative de frapper en premier. 

Israël identifie ce qu’il considère comme une menace, localise les cibles et cherche à éliminer la menace avant qu’elle ne grandisse. C’est une logique de guerre permanente. Israël réfléchit en fonction de ses capacités militaires, en faisant peu ou pas de cas du droit international et des frontières. Israël se considère au milieu de pays hostiles, même si la dernière guerre arabo-israélienne remonte à la guerre du Yom Kippour en 1973. Depuis, Israël a pris l’initiative d’attaquer le Liban (trois guerres), la Syrie et l’Irak.

Israël compte sur son principal allié (les USA) pour garantir sa supériorité, en menaçant et en intimidant les pays avoisinants directement ou indirectement. En cas d’initiative de guerre, Israël s’appuie sur les capacités des USA en matière derenseignement pour mener ses assassinats et actes de guerre ciblés, et compte sur le poids diplomatique de Washington pour lui permettre d’accomplir son objectif militaire ou d’obtenir un cessez-le-feu quand Ia guerre n’est plus à l’avantage de Tel-Aviv. La production industrielle la plus avancée qui soit sur le plan électronique et militaire et ses compétences donnent à Israël une longueur d’avance sur ses pays voisins au Moyen-Orient. En outre, Israël a tout l’appui des médias occidentaux et des organisations internationales en réponse à ses actes, qui sont toujours commis sous le prétexte du « droit à se défendre ». 

La guerre d’Israël contre l’Iran a commencé lorsqu’il s’est mis à assassiner des scientifiques iraniens en 2010. Les attaques dans « la cour arrière » de l’Iran ont connu leur pic pendant la guerre de 2006 au Liban, sans toutefois qu’Israël parvienne à ses objectifs. Quand la guerre a commencé en Syrie, Israël a décidé de donner un coup de main aux djihadistes terroristes dans l’espoir de couper la chaîne d’approvisionnement militaire de « l’Axe de la résistance ». Les USA ont négocié au nom d’Israël le processus de désarmement chimique de la Syrie et « promu » un environnement favorable dans le nord-est occupé de la Syrie parmi les Kurdes.

Israël a astucieusement profité des hésitations du président Bachar al-Assad à riposter à ses centaines d’attaques et tenté de paralyser l’armée syrienne. La violation de l’espace aérien libanais et syrien est devenue un « droit d’Israël » et une attaque contre des « entrepôts militaires de l’Iran au Levant » est devenue une justification pour bombarder les capacités militaires de l’armée syrienne.

Tel-Aviv s’est déplacé vers l’Irak, la cour arrière de l’Iran, pour attaquer les forces de sécurité régulières de la police fédérale et les Hachd al-Chaabi, qui ont déclaré leur animosité envers Israël. Les dirigeants israéliens savent que l’Iran a insufflé une idéologie forte en Irak qui a joué un rôle déterminant pour résister, puis défaire l’idéologie similaire mais opposée du groupe armé « État islamique », qui occupait le tiers de l’Irak en 2014. Le lien et la coopération entre certains Hachd al-Chaabi et d’autres organisations irakiennes d’une part, et le Hezbollah-Liban d’autre part, sont loin d’être un secret. Israël semble avoir détruit des entrepôts des forces de sécurité irakiennes afin d’y déloger des missiles stratégiques qui pouvaient être utilisés par l’Irak en cas de guerre des USA contre l’Iran. 

« Israël peut détruire un, deux ou même une centaine d’entrepôts sur mille. Pour Israël, ce sont des centaines de missiles de moins qui seront lancés contre lui en cas de guerre. C’est la logique d’Israël derrière toute question qui lui apparaît comme une menace possible », a expliqué un décideur au sein de « l’Axe de la Résistance ».

Il ne fait guère de doute qu’Israël peut empêcher « l’Axe de la Résistance » de bâtir son arsenal et sa capacité militaires. Sauf que les livraisons iraniennes parviennent à l’ennemi d’Israël malgré des centaines d’attaques fructueuses. La solution est pourtant toute simple : Israël n’a qu’à cesser de faire la guerre à ses voisins. Mais ce raisonnement ne correspond pas du tout à la politique ou à l’idéologie israélienne.

Par ailleurs, Téhéran n’a pas tellement le goût d’être entraîné dans une guerre contre Israël, malgré les attaques dans sa cour arrière. « Nous ne devons pas être attirés dans une bataille contre Israël à un moment qui nous est imposé. Les provocations sont tolérées tant qu’elles demeurent à l’intérieur d’une limite acceptable. La perte d’une dizaine de missiles ne vaut pas une guerre quand la priorité n’est pas de pointer nos armes contre Israël. Il y aura toujours moyen de riposter en temps et lieu », a précisé la source.

« Depuis maintenant deux ans, Israël est le seul pays du monde à tuer des Iraniens », a déclaré le ministre israélien Tzachi Hanegbi. Israël a tué de nombreux Iraniens en Syrie et davantage d’alliés de l’Iran. Malgré des centaines d’attaques, l’Iran et ses alliés ont gagné la guerre au Liban en 2006, en Syrie, en Irak et au Yémen. L’Iran n’aurait jamais cru, même dans ses rêves les plus fous, que ses grands fronts stratégiques se retrouveraient unis sous un même cadre, solidement rattachés à l’Iran en tant que boucliers ou partenaires en cas d’agression possible contre la « République islamique ». Dans ce contexte, qui est le vainqueur du point de vue stratégique et jusqu’à quel point les bombardements israéliens sont-ils vraiment efficaces?

Israël a aussi un autre élément à prendre en considération : les élections. Le premier ministre Benjamin Netanyahu fait tout pour se présenter comme « le protecteur de l’État d’Israël », qui a le bras long et qui peut atteindre ses ennemis partout.

Il faut tout de même reconnaître la justesse de l’évaluation, par Israël, de la réaction des alliés de l’Iran en Syrie et en Irak. Netanyahu suit de manière efficace les conseils de son commandement militaire, en manœuvrant entre les guerres en cours au Moyen-Orient et en frappant la cour arrière de l’Iran sans déclencher une guerre plus vaste. Il sait que la priorité de l’Iran est de marcher sur le bord de l’abîme sans s’y jeter, à moins d’y être poussé. Netanyahu sait aussi que pour des pays comme la Syrie et l’Irak, une déclaration de guerre contre Israël nécessite plus de préparation et de points à considérer que dans le cas d’une organisation (comme le Hezbollah au Liban). Voilà pourquoi il va de l’avant avec ses plans et qu’il s’est mis à faire des assassinats ciblés en Irak (des drones ont touché et tué le commandant des Hachd al-Chaabi à Akashat, dans l’Anbar) au lieu de se limiter à lancer ses drones contre des entrepôts stratégiques.

Netanyahu a forcé le leader du Hezbollah à menacer Israël et à riposter en ciblant des soldats israéliens. Sayyed Nasrallah a dit qu’Israël sait quelles sont les limites à ne pas franchir et qu’il a « promis de frapper Israël si un ou l’autre de ses hommes était tué par un raid israélien en Syrie ou au Liban ». Le premier ministre israélien était conscient de la menace de Nasrallah, ce qui indique que Tel-Aviv est prêt à aller en guerre. Nasrallah était au courant de cette intention et en a fait part à ses hommes il y a environ un mois. Netanyahu sait aussi qu’il peut compter sur l’appui indéfectible des USA, ce qui lui permet d’être plus agressif et encore plus prêt à se lancer en guerre. 

Cependant, les USA sont-ils prêts à payer le prix des aventures de Netanyahu dans la cour arrière de l’Iran en Irak? En Syrie, les forces US se trouvent en terrain non hostile parmi les Kurdes. En Irak, à chaque coin de rue ou dans tous les camps militaires où les forces US assurent un entraînement militaire, il y a des éléments prêts à tuer des soldats étasuniens. La destruction d’entrepôts en Irak pourrait se faire au détriment des relations entre les USA et Bagdad et se solder par le retrait des forces US de l’ensemble du pays au cours des prochaines années. La diversification des achats de matériel militaire auprès de la Chine  et de la Russie  plutôt qu’exclusivement auprès des USA est en train de devenir une nécessité pour les dirigeants irakiens.

Il est vrai que le premier ministre israélien se frotte les mains, tellement content du résultat de ses frappes en Irak qu’il n’a pu résister à faire allusion à sa propre responsabilité. Voyons voir si le président des USA Donald Trump sera aussi content que Netanyahu lorsqu’il en paiera le prix : la perte de soldats étasuniens en Irak par la faute de son consigliere et plus proche allié Benjamin Netanyahu.

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