Les USA ont joué un rôle influent en Irak; aujourd’hui, leur retrait est inévitable

Par Elijah J. Magnier : @ejmalrai

Traduction : Daniel G.

L’Irak a parlé. Le major général irakien Jafar al-Battat, chef de la sécurité de la zone de Bagdad, a estimé à « plus d’un million le nombre de protestataires dans les quartiers de Karradah et de Jadriyeh à Bagdad ». Ces protestataires appelaient au retrait complet de toutes les forces étrangères dirigées par les USA présentes en Irak. Ils se sont mobilisés en réponse à l’appel  du religieux chiite Sayyed Moqtada al-Sadr, auquel se sont joints tous les groupes chiites et d’autres minorités irakiennes souhaitant le départ des forces US et la fin de l’hégémonie et de la domination américaines en Irak. Le coût du feu vert donné au tir de missiles à partir d’un drone américain pour assassiner  le major général iranien Qassem Soleimani et ses compagnons, ainsi que le commandant irakien Abou Mahdi al-Muhandes, pèsera lourd sur les USA et leur présence au Moyen-Orient. L’on s’attend à ce que l’administration Trump paie un prix élevé et que le président lui-même s’en ressentira pendant sa prochaine campagne électorale.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. L’Iran et ses alliés n’ont nullement l’intention de laisser tranquilles les forces US présentes au Moyen-Orient d’ici la date de leur départ définitif. Même si les bases militaires que se partagent les forces irakiennes et US sont loin des zones résidentielles, il ne fait aucun doute que les militaires américains présents sont devenus des cibles. 

L’administration américaine et les médias institutionnels attribuent l’instabilité de l’Irak à l’immense contrôle que l’Iran exerce sur le pays. Cette affirmation est toutefois inexacte, puisque l’administration américaine a nommé ou approuvé chaque premier ministre irakien.

Les USA n’ont jamais réussi à instaurer la stabilité en Irak depuis le début de leur occupation du pays en 2003. Les forces US ont subi des attaques continuelles pendant la première année suivant leur arrivée en Irak par ceux qui rejetaient leur occupation. Les USA n’ont pas réussi à construire une infrastructure solide et encore moins à gagner le cœur et l’esprit de la population, même s’ils avaient la haute main quant au choix des dirigeants de l’Irak. 

Les sociétés américaines ont profité de la richesse irakienne, mais en contribuant très peu au progrès du pays et à la reconstruction de son infrastructure. L’armée US a été grassement payée pour entraîner l’armée irakienne et l’industrie de l’armement aux USA a obtenu d’immenses contrats de vente d’armes et de matériel militaire. Mais cet entraînement s’est avéré avoir peu de substance lorsque des rebelles sunnites et Daech ont attaqué Mossoul en 2014 et réussi à occuper en un rien de temps le tiers de l’Irak. 

Les USA ont exercé un contrôle sur les gouvernements et ont veillé à la nomination du premier ministre pendant de nombreuses années. En 2003, le tout premier PM, Ayad Allawi, était l’homme des USA et devait son poste à l’autorité relevant des USA. Ibrahim al-Jaafari, qui lui a succédé, a été élu par l’Assemblée nationale irakienne provisoire à la suggestion du vice-roi Paul Bremer. Ce dernier avait interrogé Al-Jaafari pendant de longues heures plusieurs jours durant avant de donner son assentiment à sa nomination en 2005. Mais cette nomination a tourné court lorsque le président Bush a transmis un message au premier ministre par l’entremise de l’ambassadeur américain Zalmay Khalilzad pour dire qu’il « ne veut pas, ne soutient pas et n’accepte pas Jaafari ».

 En 2006, le plus grand parti politique irakien, l’Alliance irakienne unie, a choisi Nouri al-Maliki sur la recommandation des USA. « Maliki a la réputation de ne pas dépendre de l’Iran. L’Iran a fait pression sur tout le monde pour que Jaafari reste, avait déclaré l’ambassadeur Khalilzad. L’Iran a échoué dans sa tentative de faire élire son candidat favori. »

Au début de 2008, al-Maliki est devenu l’Irakien le plus détesté de l’Iran lorsqu’il s’en est pris à l’Armée du Mahdi dirigée par le leader sadriste Sayyed Moqtada al-Sadr. L’Iran voyait d’un bon œil l’Armée du Mahdi en raison de sa position hostile et de ses nombreuses attaques contre les forces d’occupation US. 

Mais quelques mois plus tard, Al-Maliki a demandé l’établissement d’un calendrier précis prévoyant le départ de toutes les forces US du pays et la fin de leur occupation dans les 16 mois. Cette décision a plu à l’Iran qui a alors changé d’attitude envers al-Maliki, même si tous les Irakiens, chiites, sunnites et Kurdes, le trouvaient trop autoritaire. 

C’était la première fois que l’Iran parvenait à rassembler les leaders irakiens, toutes ethnicités confondues, pour soutenir le candidat de son choix, même si c’étaient les Américains qui avaient d’abord moussé la candidature d’al-Maliki. La personnalité obstinée d’al-Maliki était trop séduisante pour que l’Iran le laisse partir. Il s’opposait au maintien de la présence des forces US et le président Barack Obama a pris bonne note de l’insistance d’al-Maliki en tenant sa promesse de mettre fin à l’occupation des USA en décembre 2011.

En 2014, la Marjaya à Nadjaf est intervenue pour bloquer le troisième mandat d’al-Maliki malgré sa victoire électorale. Haidar al-Abadi a pris alors la relève et s’est avéré un leader extrêmement hostile au major général Qassem Soleimani et très proche des USA. 

Abadi a ouvertement  critiqué Soleimani à plusieurs occasions, notamment lorsque Kirkouk est revenue sous le contrôle des forces gouvernementales. En outre, Abadi a tenté à quatre reprises de relever le commandant Abou Mahdi al-Muhandes de ses fonctions de leader adjoint des Hachd al-Chaabi. Pendant sa visite du bureau des Hachd, Abadi s’en est pris violemment à Abou Mahdi pour avoir affiché le portrait de martyrs à un mur, en l’enjoignant de l’enlever. Soleimani a été harcelé à l’aéroport de Bagdad à quelques reprises et Abadi le laissait poireauter quelques heures à l’extérieur de son bureau avant de le faire entrer. 

La fin du mandat d’Abadi a permis au premier ministre Adel Abdel Mahdi de prendre les commandes. Le choix d’Abdel Mahdi était le fruit d’un effort non coordonné de l’envoyé du président des USA Brett McGurk et de Soleimani. Abdel Mahdi était un candidat qui convenait aux chiites, aux sunnites et, surtout, aux Kurdes. 

Il était important pour l’Iran de soutenir un candidat qui ne provoquerait pas les USA et que l’Iran reconnaîtrait comme un joueur essentiel au Moyen-Orient. Pour Soleimani, la stabilité de l’Irak était vitale. L’Irak a refusé de respecter les sanctions contre l’Iran infligées par les USA et a demandé qu’on le respecte en tant que partenaire des deux pays sans devenir le théâtre de leurs batailles.

Mais l’Iran ne s’attendait sûrement pas à ce que les USA violent si brutalement les modalités de leur présence en Irak et se lancent dans une guerre non déclarée contre l’Iran. L’antagonisme des USA est allé bien au-delà d’un bras de fer en sol irakien en tuant le major général Qassem Soleimani. En réaction à cette violation, l’Iran a jeté les gants. L’on s’attend maintenant à ce qu’il adopte une approche beaucoup plus agressive envers les USA en Irak. 

Les USA ont assassiné Soleimani en Irak et c’est là que la riposte de l’Iran devrait avoir lieu. Le tir de missiles contre la partie occupée par les USA de la base d’Ayn al-Assad, qui a fait au moins 34 blessés (déclarés jusqu’à maintenant), n’est que le début des représailles de l’Iran. 

Trouver une cible américaine en Irak ne sera pas facile, car toutes les forces US restent confinées à leurs bases et ne sont autorisées qu’à utiliser l’espace aérien. Mais c’est déjà un coup porté à ces forces qui sont devenues, depuis l’assassinat de Soleimani et de ses compagnons, une cible irrésistible. 

L’Iran a trouvé en Sayyed Moqtada al-Sadr un leader irakien controversé mais influent, qui voulait vraiment prendre les devants et mener la campagne pour obliger les forces US à sortir de l’Irak. Le départ des USA n’est pas imminent. Mais l’Iran est un ennemi discipliné qui n’est pas ouvertement impatient d’atteindre ses objectifs. Téhéran est conscient que l’Irak ne réussira pas encore à établir un équilibre entre les USA, son allié stratégique, et l’Iran, le pays voisin. D’autant plus que les USA sous l’administration actuelle se croient forts, sans pour autant posséder les connaissances et la maturité nécessaires pour gérer une crise grave ou même un conflit élargi avec l’Iran en sol irakien. 

Le président Trump finira-t-il par se rendre compte de la justesse de la décision de son prédécesseur, Barack Obama, qui avait ordonné le retrait de ses troupes de l’Irak en 2011? Les Irakiens feront en sorte que le président Trump se voit forcé de quitter la Mésopotamie d’une manière ou d’une autre, ce qui ouvrira inévitablement la voie à la Russie, à la Chine et à l’Iran, pour qui l’Irak riche en pétrole et fort de ses 40 millions d’habitants représente un marché attrayant. Chose certaine, le soleil de l’hégémonie américaine dans cette partie du monde a amorcé son déclin. 

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