Le Liban est soumis à une pression maximale qui vise le Hezbollah : l’Iran à la rescousse

Par Elijah J. Magnier 

Traduction : Daniel G.

Le Liban subit une pression économique et sociale sans précédent due à la capacité militaire du Hezbollah qui constitue une menace pour Israël. Les options proposées par ceux qui coincent ainsi le Liban (USA, UE et Israël), malgré des décennies de corruption et de mauvaise gestion à l’échelle nationale, se limitent à deux : soit désarmer le Hezbollah, soit pousser le Liban vers la faillite et une guerre civile. Mais l’Axe de la Résistance dispose d’autres options : L’Iran a répondu à la demande du secrétaire général du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah en envoyant régulièrement des vivres et des médicaments au Liban. Il commence maintenant à livrer du pétrole, ses premiers pétroliers devraient atteindre le pays dans les prochaines semaines via le port syrien de Tartous. L’Iran s’empresse de soutenir l’un de ses plus solides alliés de l’Axe de la Résistance, le Hezbollah, qui subit une forte pression intérieure, comme l’ensemble des membres de l’Axe de la Résistance dans leurs pays respectifs. Les partisans du Hezbollah, toutes tendances confondues, sont touchés par la crise socio-économique aiguë. Mais le Hezbollah parviendra-t-il à surmonter le résultat inévitable de la crise actuelle à long terme? Quelle est la gravité des difficultés à relever?

Dans l’une de ses réunions privées, Sayyed Nasrallah a déclaré ceci : « Pour Israël, la capacité militaire du Hezbollah dans les premières années de son existence constituait une “contrariété”. Le niveau de danger est par la suite devenu “problématique” en 2000 quand Israël s’est retiré du Liban, une “menace sérieuse” après la guerre de 2006 et un “danger existentiel” après les guerres en Syrie et en Irak. »

Conformément à ce que croit le secrétaire général du Hezbollah, il est de notoriété publique qu’Israël possède des armes nucléaires. Par conséquent, aucune autre puissance au Moyen-Orient ne peut être considérée comme une « menace existentielle » pour Israël. Cependant, selon les responsables militaires israéliens, le Hezbollah possède des missiles précis transportant chacun des centaines de kilogrammes d’explosifs. Ainsi, le Hezbollah n’a qu’à lancer dix missiles contre six stations électriques et quatre usines de dessalement de l’eau sur l’ensemble du territoire pour rendre la vie impossible à un grand nombre d’Israéliens, selon les responsables du commandement israélien. Et c’est sans compter les missiles de précision qui pourraient frapper telle ou telle plate-forme pétrolière, tel ou tel navire ou port et détruire telle ou telle tour de contrôle d’aéroport dans une éventuelle guerre à venir.

Par conséquent, il n’y aura pas beaucoup d’Israéliens qui voudront rester, et il est envisageable de croire qu’un nombre considérable d’Israéliens partiraient. Ce scénario constitue effectivement une menace existentielle pour Israël. En pareil cas, comme l’affirme le commandement militaire, Israël ne pourra jamais coexister avec une telle menace existentielle planant au-dessus de sa tête provenant de l’autre côté de la frontière libanaise. Le Hezbollah possède des centaines de missiles de précision répartis sur une vaste zone au Liban, en Syrie et principalement le long du flanc fortifié des montagnes à l’est qui offrent une protection idéale pour ces missiles. Quelles sont donc les options d’Israël?

L’incapacité d’Israël de soumettre le Hezbollah lors de la troisième guerre en 2006, la victoire de l’Axe de la Résistance dans le conflit syrien, l’empêchement de la division de l’Irak et la chute du Yémen sous le contrôle de l’Arabie saoudite ont permis d’étendre la zone d’influence et le théâtre d’opérations de l’Axe de la Résistance. Cela a eu pour conséquence d’accroître considérablement le danger pour Israël ainsi que pour les objectifs et l’hégémonie des USA en Asie occidentale.

Le dossier nucléaire n’est pas si éloigné de la menace à laquelle l’Axe de la Résistance est confronté. En augmentant sa capacité nucléaire, l’Iran a forcé le président Joe Biden à placer la négociation sur le nucléaire en tête de liste de son programme pendant le mandat de l’ex-président Hassan Rouhani. Malgré tout ce qui se dit à propos d’éventuels progrès dans les négociations sur le nucléaire iranien à Vienne, la levée des sanctions contre l’Iran semble irréaliste aux yeux des USA. Dans l’intervalle, l’Irak croule sous une lourde dette financière, la Syrie est soumise à un blocus économique sévère et le Liban risque de se dégrader.

Pour l’Occident et Israël, il est illogique de libérer les fonds gelés de l’Iran, qui s’élèvent à plus de 110 milliards de dollars, au beau milieu d’une période marquée par une pression financière maximale et de lourdes sanctions. De plus, permettre à l’Iran de vendre et d’exporter son pétrole et lever la pression maximale signifierait que tous les efforts déployés jusque-là par les USA pour freiner la volonté et les progrès de l’Iran seraient voués à l’échec au moment même où le poids des sanctions tourne en faveur des USA en Irak, en Syrie et au Liban.

Par conséquent, le maintien de la pression économique sur l’Axe de la Résistance est devenu une nécessité et une stratégie pour les USA. C’est dans cette optique que les USA n’ont pas respecté l’accord sur le nucléaire, afin de donner plus d’influence au négociateur américain et d’imposer leurs conditions à l’Iran pour y inclure, avant toute chose, sa relation avec ses alliés et le maintien de centaines de sanctions en place.

L’arrivée au pouvoir du président Ibrahim Raisi, qui compte accorder peu de temps aux négociations sur le nucléaire, place les USA devant deux choix très amers : soit permettre à l’Iran de devenir une puissance nucléaire, soit lever toutes les sanctions pour persuader l’Iran de retarder l’achèvement d’une capacité nucléaire totale. Il s’agit dans les deux cas de choix impossibles et gênants pour l’administration américaine. Les USA doivent donc frapper les alliés de l’Iran sans négocier avec Téhéran, qui refuse que ses relations avec ses alliés et que son programme de missile n’entrent dans toute négociation sur le nucléaire.

Supposons que la pression maximale sur le Liban ne parvienne pas à affaiblir le Hezbollah. Washington devra alors évaluer les nouvelles mesures à prendre pour contrer la menace nucléaire ou la menace que fait peser l’Axe de la Résistance sur Israël. Si les USA choisissent de revenir à l’accord sur le nucléaire de 2015, ce qui est peu probable, l’Axe de la Résistance gagnera en force en se remettant de l’énorme pression que les USA lui font subir. Quel que soit le choix des USA, il est clair que l’Iran finira par devenir une puissance nucléaire et offrira un soutien plus qu’adéquat à ses alliés pour qu’ils restent suffisamment forts et relèvent les défis, quels qu’ils soient.

Au Liban, le Hezbollah ne peut pas fournir les services offerts par l’État et n’a pas l’intention de les remplacer. Il participe toutefois à l’approvisionnement alimentaire au moyen des cartes « al-Sajjad » délivrées aux familles, qui leur permettent d’acheter de la nourriture à un prix très réduit, et dont le nombre est passé de cent cinquante mille à deux cent mille. Le Hezbollah soutient des milliers de familles qui ont atteint le niveau d’extrême pauvreté. Il a fait venir aussi des médicaments de l’Iran (plus de 500 types) pour combler une partie des besoins du pays alors que les pharmacies ferment leurs portes et manquent de fournitures médicales essentielles.

Dans les semaines à venir, l’Iran, la Syrie et le Hezbollah ont convenu de livrer du pétrole iranien au Liban. Le Hezbollah recevra de l’essence pour approvisionner ses forces et assurer ses mouvements quotidiens. Les hôpitaux sont en tête de liste de ceux qui devraient recevoir le pétrole iranien distribué par le Hezbollah pour éviter leur fermeture. De nombreux hôpitaux ont cessé d’offrir plus de la moitié de leurs services. D’autres établissements médicaux ont transféré leurs patients vers des hôpitaux qui disposent encore de carburant pour produire de l’électricité dans les prochains jours. Dans différentes régions du Liban, les hôpitaux demandent à de nombreux patients de partir en raison du manque de carburant diesel pour l’électricité. Le centre médical de l’Université américaine de Beyrouth a cessé d’utiliser ses ventilateurs et d’autres appareils médicaux vitaux en raison du manque de fioul.

Le Hezbollah devrait aussi livrer du pétrole iranien aux propriétaires de dizaines de milliers de générateurs électriques privés. Le manque d’électricité dans le pays a fait en sorte que depuis des décennies, l’électricité produite par des milliers de générateurs privés est offerte comme service payant. Ces générateurs devraient bénéficier du pétrole livré par le Hezbollah pour assurer l’approvisionnement en électricité de la population. La pénurie de carburant diesel dont souffrent les propriétaires de générateurs a atteint un degré critique pendant la chaleur de l’été, ce qui a fait augmenter le niveau de mécontentement de la population. 

Du carburant diesel sera aussi fourni à certaines municipalités pour assurer l’enlèvement des déchets dans les rues, par crainte de la propagation de maladies. La société Al-Amanah devrait également distribuer du pétrole et du diesel iraniens à des dizaines de ses stations-service agréées ainsi qu’à d’autres postes d’essence locaux répartis sur l’ensemble du territoire libanais.

Mais le Hezbollah ne satisfera pas tout le monde dans le pays et ne pourra empêcher la détérioration au sein de la société chiite dans un premier temps (la majorité des chiites soutiennent le Hezbollah, mais d’autres soutiennent le mouvement Amal dirigé par le président du Parlement Nabih Berri), puis parmi ses alliés. Le déclin social a atteint son paroxysme et le soutien de l’Iran est insuffisant, à moins que l’Iran ne parvienne à se rétablir pleinement, que les sanctions soient levées et que son économie nationale se redresse. L’Iran se fait un devoir de soutenir ses alliés, parce que l’Axe de la Résistance est uni et que tous partagent la même vocation. 

L’Iran n’est toutefois pas en mesure d’assumer la totalité du fardeau économique de la Syrie et du Liban. L’Iran a soutenu financièrement la Syrie tout au long de la décennie de guerre, mais n’est pas en mesure de financer tous les besoins de l’État. Il faut dire aussi que le Hezbollah était d’abord une force de résistance populaire contre l’occupation israélienne, qui voulait imposer la dissuasion et protéger le pays des violations et des ambitions israéliennes. Le Hezbollah s’est pleinement engagé à soutenir socialement les chiites démunis et a réussi à combler de nombreuses lacunes dans les infrastructures et les services que l’État n’était pas capable de régler. Mais le défi auquel le Hezbollah est confronté depuis deux ans dépasse ses compétences et probablement les moyens de l’État lui-même.

Il faut toutefois garder à l’esprit que l’acheminement du pétrole iranien au Liban comporte plusieurs risques :

Premièrement, le risque d’une frappe israélienne sur les lignes d’approvisionnement. Le Hezbollah devra alors répliquer à Israël pour maintenir l’équilibre de la terreur et l’équation de la dissuasion. La situation militaire tendue entre Israël et le « Hezbollah » atteindra alors son paroxysme sans aller jusqu’à une guerre totale, car Israël préfère les « campagnes entre les guerres » pour atténuer les dommages qui pourraient résulter de l’affrontement. Toutefois, si Israël frappe les pétroliers iraniens ou si d’autres pays tentent d’empêcher le pétrole d’atteindre le Liban, l’Iran répondra et ne devrait pas cesser d’envoyer ses pétroliers au Liban.

Deuxièmement, le chemin de ravitaillement traverse des zones qui ne sont pas contrôlées par le Hezbollah. Que feront les autres groupes qui s’opposent au Hezbollah? Le Hezbollah trouvera-t-il une solution pour convaincre les Druzes, les sunnites et les chrétiens (hostiles) répartis tout au long de ce chemin d’éviter d’intercepter ses camions, ou sera-t-il contraint d’affronter des groupes et d’être entraîné dans une bataille à l’interne? Comment le Hezbollah garantira-t-il la cohésion des zones qu’il contrôle, de la Bekaa à la banlieue sud de Beyrouth et même le sud du Liban, pour que son environnement soit à l’abri du danger sectaire que les USA manipulent et vers lequel ils entraînent le pays?

Il ne fait aucun doute que le Liban se dirige vers la dissolution de l’État à un rythme accéléré. Cela affaiblira les forces de sécurité en général et poussera chaque secte ou parti à fournir le soutien nécessaire à ses membres. On s’attend à ce que le Liban revienne aux années 1980, lorsque les services sociaux se sont amenuisés, que les déchets se répandaient dans les rues, que les niveaux de santé et d’éducation baissaient et que les forces de sécurité étaient inefficaces et sans espoir, au grand bonheur des seigneurs de la guerre qui en ont profité.

D’un point de vue particulier, le blocus américano-israélien est relativement dans l’intérêt du Hezbollah, puisqu’il reçoit son soutien financier en devises étrangères. Le Hezbollah est un mouvement organisé et cohérent qui augmentera ses revenus en raison de la forte dévaluation de la monnaie locale et par la vente de médicaments, de pétrole et de nourriture. Le Hezbollah devrait vendre de l’essence et du diesel à des prix relativement inférieurs à ceux du marché. Il devrait également permettre aux autres régions du Liban d’avoir accès aux produits qui lui parviennent. Cela permettra au Hezbollah de démasquer les marchands libanais cupides qui monopolisent et stockent les médicaments et l’essence pour étrangler le marché et augmenter les prix. Ces marchands libanais seront contraints de vendre leurs biens s’ils cessent d’être une rareté sur le marché. Les biens sont actuellement vendus sur le marché noir à des prix inabordables pour la majorité des gens. 

Ce dont souffre le Liban est le résultat de décennies de corruption de la part des amis des USA qui détenaient le pouvoir politique dans le pays. Le déclassement du Liban est principalement dû aux interventions et à l’influence des USA et d’Israël dans ce pays, qui ont fait perdre à jamais sa réputation de « Suisse de l’Orient ». Le chaos sécuritaire, la fragmentation des forces de sécurité et leur incapacité à imposer leur autorité, ainsi que la progression de la pauvreté qui touchera toutes les couches de la société nuiront au Hezbollah. On s’attend également à ce que le pays soit victime de différents actes de sabotage, de pots-de-vin et d’une corruption accrue, et qu’il devienne une plate-forme fertile pour les services du renseignement israéliens. Un scénario possible et éventuel obligera le Hezbollah à « nettoyer » les routes pour assurer la continuité de ses approvisionnements, relier toutes les zones chiites entre elles et imposer une « autoprotection » pour réduire leur vulnérabilité.

Comme la flèche du temps ne peut être inversée, le Liban ne redeviendra pas ce qu’il était auparavant, du moins pas avant les dix prochaines années. Il est possible que des cantons libanais soient créés sous la houlette de seigneurs de guerre différents qui ne s’engageront pas nécessairement dans une guerre civile. Chaque parti libanais finirait par armer ses membres pour soutenir son peuple et sa région en vue d’assurer leur défense, sans pour autant s’engager dans une bataille avec les autres partis.

L’effondrement domine la situation. Les USA ont empêché le Liban de bénéficier des offres chinoises et russes pour reconstruire le pays et l’empêcher de se détériorer davantage. De plus, les USA ont interdit à l’Europe et aux pays du Moyen-Orient riches en pétrole d’aider le Liban dans cette crise comme ils le faisaient par le passé. Le Liban a besoin de 3 à 4 milliards de dollars pour se remettre sur pied et retrouver une partie de ses forces après avoir mis fin à ses subventions sur divers articles qui engloutissent ses ressources financières.

Mais le défi demeure entier pour les membres de l’Axe de la Résistance, qui luttent pour survivre et résister à l’hégémonie américaine et contrer les projets américains de domination de l’Asie occidentale. Tant que les membres de l’Axe de la Résistance ne prendront pas l’initiative en passant d’une position défensive à une position offensive et en imposant de nouvelles équations pour empêcher la famine parmi la population, la pression en cours restera et augmentera même avec le temps. Toutefois, à supposer que la pression américaine soit maintenue et que l’Axe de la Résistance reste en mode de survie, c’est le peuple libanais et la stabilité du pays qui en paieront un prix de plus en plus lourd, dès aujourd’hui et dans les années à venir.

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