Elections en Turquie : Les Etats-Unis attendent avec impatience la chute ou le retour d’Erdogan

Par Elijah J. Magnier :

Dimanche, la Turquie se rendra aux urnes pour une élection présidentielle qui pourrait façonner l’avenir du pays pour les années à venir. Quelque 60 millions d’électeurs turcs se rendront aux urnes, tandis que 3,5 millions d’entre eux peuvent voter à l’étranger, ce qui porte le nombre total d’électeurs à environ 63,5 millions. L’élection déterminera également qui occupera les 600 sièges du parlement du pays. Le monde entier attend avec impatience le retour ou la chute du président turc Recep Tayyip Erdogan. Il a dirigé le pays pendant 20 ans et a maintenu l’équilibre entre l’Est et l’Ouest malgré le mécontentement des États-Unis et de l’Union européenne, le membre de l’OTAN étant devenu l’allié stratégique de la Russie. Depuis le début du siècle, Washington et Bruxelles s’inquiètent de la montée en puissance d’hommes forts comme Erdogan et Poutine, et la défaite d’Erdogan ne serait pas mal vue en Occident.

La Russie, les États-Unis et l’UE :

Le président russe Vladimir Poutine et son homologue turc entretiennent des relations complexes. Les tensions entre les deux pays ont atteint un point d’ébullition en 2015 lorsque la Turquie a abattu un avion de guerre russe près de la frontière turco-syrienne, ce que M. Poutine a considéré comme un “coup de poignard dans le dos”. La Turquie continue de fournir à Kiev des drones meurtriers malgré les objections de la Russie en Ukraine. En Syrie, Erdogan est encore loin de se retirer. Il occupe ses forces du nord-ouest malgré les nombreuses négociations russo-iraniennes (et maintient des forces en Irak contre la volonté de Bagdad). Malgré ces différences, ils partagent une opposition commune à ce qu’ils considèrent comme un ordre mondial dominé par l’Occident.

Malgré les difficultés de leur relation, Poutine et Erdogan ont trouvé un terrain d’entente dans leur opposition à la domination de l’Occident et leur volonté de remettre en cause l’ordre mondial existant. Cela a conduit à un certain degré de coopération entre les deux pays et à un sentiment partagé de camaraderie et de soutien mutuel. Le mois dernier, les présidents russe et turc ont célébré le chargement du combustible dans le premier projet nucléaire civil de la Turquie. La centrale nucléaire d’Akkuyu, construite par l’entreprise atomique russe Rosatom pour un montant de 20 milliards de dollars, symbolise les liens énergétiques et économiques bilatéraux florissants forgés par les deux dirigeants au cours de leurs deux décennies au pouvoir. Le niveau de coopération turco-russe dérange les États-Unis, qui combattent la Russie dans une guerre par procuration sur le sol ukrainien.

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La Turquie a maintenu ses relations avec les États-Unis, malgré de sérieux désaccords. En 2016, la Turquie a connu une tentative de coup d’État, que le président Erdogan a imputée à un religieux basé aux États-Unis, Fethullah Gulen, principalement à la suite du soutien de l’ambassade américaine à Ankara à la “révolution”. Après l’échec de la tentative de coup d’État, M. Erdogan a convenu avec le président russe Vladimir Poutine d’acheter le système de missiles antiaériens russe S-400 pour 2,5 milliards de dollars. Cette décision a toutefois déclenché des sanctions à l’encontre de l’industrie de la défense américaine. Les États-Unis craignaient que la plateforme russe ne permette à Moscou de recueillir des renseignements sur son avion de chasse F-35, que la Turquie a commandé et qu’elle aide à construire.

De nombreux experts pensent qu’Erdogan a sous-estimé la volonté des États-Unis d’imposer des sanctions en matière de défense et qu’il a estimé qu’il ne pouvait pas simplement renoncer au S-400 sans nuire à sa réputation. Cette situation a conduit à des relations tendues entre la Turquie et les États-Unis.

La Turquie a également eu des conflits avec la France au sujet de l’intervention turque en Libye et avec la Grèce et Chypre au sujet des ressources énergétiques et des frontières maritimes en Méditerranée orientale. Plus récemment, Erdogan a bloqué les efforts de la Suède (qui a approuvé l’adhésion de la Finlande) pour rejoindre l’OTAN, accusant les pays nordiques d’abriter des “organisations terroristes” kurdes. 

Réfugiés syriens :

Pour de nombreux Syriens en Turquie, il n’y a guère de différence entre le gouvernement et la principale coalition d’opposition. Tous deux ont promis d’expulser les réfugiés syriens du pays et ont intensifié leur rhétorique hostile aux immigrants et aux demandeurs d’asile. Les Syriens de nationalité turque qui ont le droit de vote sont confrontés à un choix peu inspirant, et ceux qui peuvent voter constitueront un bloc important. Bien qu’Erdogan et le candidat de l’opposition Kemal Kilicdaroglu aient annoncé des plans similaires pour le rapatriement volontaire des Syriens, les électeurs syriens considèrent toujours Erdogan comme le moindre des deux maux. Erdogan a été le seul parti au pouvoir à établir une communication directe avec les Syriens ayant la double nationalité afin de les encourager à voter pour son parti, le “Parti de la justice et du développement” (AKP). La sécurité des Syriens en Turquie est désormais incertaine, quel que soit le vainqueur des élections. De nombreux électeurs syriens ne sont satisfaits d’aucun des deux candidats à la présidence et pourraient voter pour des candidats indépendants. Les électeurs syriens sont considérés comme un bloc important pour les prochaines élections législatives, car la question de la migration est devenue une force motrice dans la politique turque.

Le pouvoir intérieur :

L’élection présidentielle en Turquie est un moment crucial dans l’histoire du pays. Il s’agit d’une bataille entre deux candidats ayant des visions différentes de l’avenir du pays et de ses alliances internationales. Le résultat de l’élection aura un impact sur la Turquie, sur la région et sur le monde, dont les dirigeants suivront de près l’issue de l’élection.

L’élection présidentielle turque aura lieu avec trois candidats sur la liste suite au retrait de Muharram Ince, dont Recep Tayyip Erdogan, Kemal Kilicdaroglu (leader du Parti républicain du peuple – CHP – de centre-gauche), et Sinan Ogan (Parti du mouvement nationaliste d’extrême-droite). L’opposition a critiqué l’ordre final des candidats sur la liste, estimant qu’il a été délibérément choisi pour favoriser Erdogan. Selon les sondages d’opinion, M. Erdogan devrait obtenir environ 40-45 % des voix, soit le même pourcentage que M. Kilicdaroglu. Ogan ne devrait obtenir que 2 à 5 % des voix. Les élections présidentielles sont considérées comme plus importantes que les élections législatives car la plupart des pouvoirs sont désormais concentrés entre les mains du président. Si personne ne l’emporte au premier tour, les résultats des élections législatives pourraient influencer les candidats à la présidence lors du second tour, le 28 mai.

Au total, 26 partis sont en lice, dont quatre grandes alliances. La coalition publique représente les partis au pouvoir, dont le Parti de la justice et du développement et le Parti du mouvement national. L’opposition est représentée par deux alliances principales : l’Alliance nationale, qui comprend le Parti républicain du peuple et le Bon parti, et la Coalition du travail et de la liberté, qui comprend le Parti de la gauche verte kurde et le Parti des travailleurs turcs. La petite alliance Ata comprend également les partis de la Victoire et de la Justice. 

Erdogan se présente pour la troisième fois à l’élection présidentielle sur la base d’un programme intitulé “l’homme qu’il faut au moment qu’il faut”. Il promet des salaires plus élevés et des exonérations fiscales. Il critique et menace l’opposition qui, selon lui, est alliée au “terrorisme kurde” et au “terrorisme” de Fethullah Gulen et conspire avec l’Occident pour rapetisser la Turquie et la priver de son “indépendance”. Le candidat de l’opposition turque, Kemal Kılıçdaroğlu, du Parti républicain du peuple (CHP), a fait campagne en promettant des réformes et le démantèlement du système de contrôle qu’Erdogan a mis en place pendant deux décennies. 

L’économie, l’une des principales raisons des succès précédents d’Erdogan, est absente de sa campagne actuelle, et les préoccupations des citoyens se concentrent sur leurs conditions de vie. L’opposition promet le passage d’un système présidentiel à un système parlementaire. Kilicdaroglu bénéficie du soutien du plus grand groupe kurde, les électeurs du Parti démocratique des peuples kurdes, ce qui pourrait l’aider à gagner. Les sondages d’opinion suggèrent qu’il pourrait obtenir jusqu’à 70 % du vote kurde, contre environ 20 % pour le président Erdogan. Les défections du parti d’Erdogan, comme celles d’Ahmed Davutoglu et d’Ali Babacan, qui ont fondé les partis du Futur et de la Démocratie et du Progrès, pourraient également nuire aux chances d’Erdogan.

Les candidats rivaux présentent l’élection comme une guerre entre le mouvement islamique représenté par Erdogan et le mouvement laïque représenté par Kilicdaroglu. Si Kilicdaroglu l’emporte, la Turquie pourrait connaître un retour à la sécularisation et s’éloigner de l’islamisation de l’État. La victoire de Kilicdaroglu serait également une victoire historique pour une personne issue de la minorité alévie qui deviendrait président de la république dans un pays où la majorité est sunnite. Les Alévis ont toujours été victimes de discrimination et exclus des postes influents de la société. La présidence de Kilicdaroglu constituerait une étape importante pour briser ce tabou et accroître l’inclusion dans la société turque.

L’un des principaux enjeux de l’élection est la possibilité de modifier le système de gouvernement de la Turquie, qui passerait d’un système présidentiel à un système parlementaire. L’opposition a insisté sur ce point dans ses promesses de campagne, affirmant que le système actuel concentre trop de pouvoirs entre les mains du président. En revanche, un système parlementaire répartirait le pouvoir de manière plus équitable. L’élection est l’occasion de changer l’autorité et le système lui-même. Si Erdogan perd, il est possible que la politique étrangère favorise les États-Unis et l’Occident au lieu de maintenir un équilibre entre l’Occident d’une part et la Russie et l’Iran d’autre part. La bataille pour le pouvoir en Turquie ne sera pas facile et ses conséquences, si Erdogan perd, modifieront toute la dynamique au Moyen-Orient et sur le continent européen.

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