L’accord sur le nucléaire iranien n’est pas encore mûr et les inquiétudes d’Israël sont sans fondement

Par Elijah J. Magnier

Traduction : Daniel G.

Toutes les administrations américaines se targuent de chercher à « contenir le programme d’armement nucléaire de l’Iran », ce que Téhéran n’aspire pas à faire! En fait, l’Iran ne s’est engagé dans aucun programme d’armement nucléaire, non seulement en raison de la Fatwa fondée sur la charia du grand ayatollah Imam Ali Khamenei, mais aussi parce qu’il a démontré qu’il n’a pas besoin d’armes nucléaires pour se défendre ou dissuader un ennemi comme Israël. Les capacités vérifiées de l’Iran en matière de missiles et de drones et le fait qu’il ait réussi à se doter d’alliés fiables, dévoués et idéologiquement motivés au Moyen-Orient sont des facteurs de dissuasion importants. Israël et les forces américaines qui occupent certaines parties du Moyen-Orient ont déjà goûté aux capacités des alliés de l’Iran lors d’affrontements précédents au Liban et en Irak. Alors qu’Israël se lamente pour attirer un peu plus l’attention du monde, l’échange de messages indirect se poursuivra entre l’Iran et les États-Unis jusqu’à ce que les exigences iraniennes soient entièrement satisfaites ou que les pourparlers soient suspendus. Il se pourrait que l’accord sur le nucléaire entre l’Iran et les États-Unis ait mûri, mais que le temps de la récolte ne soit pas encore arrivé.

Avant 2015, l’Iran possédait peu de missiles et de drones ayant la même précision et la même puissance destructrice qu’aujourd’hui. Pourtant, le président Barack Obama a compris que ni les cris d’Israël ni les bases militaires américaines toutes puissantes disséminées autour de l’Iran parviendraient à dissuader le programme nucléaire iranien et à empêcher les atomiciens de Téhéran de mettre au point de l’uranium hautement enrichi et des centrifugeuses modernes.

Les années de négociations autour de « l’accord sur le nucléaire iranien », connu sous le nom de « Plan d’action global commun » (PAGC), ont détourné l’attention du monde, et surtout, celle des États-Unis, du programme de missiles avancés de l’Iran que Téhéran a porté à un niveau sans précédent. Ce qui explique pourquoi, lorsque le président Joe Biden est entré en fonctions, il a estimé que le retour au PAGC était la seule solution. Il croyait toutefois à tort que l’Iran souhaitait se conformer inconditionnellement à l’accord sur le nucléaire et qu’il accepterait n’importe quel diktat de l’administration américaine (qui s’était exclue elle-même du PAGC il y a quatre ans). 

Il a fallu un certain temps à l’administration de Biden pour réaliser que le nouveau président iranien Ibrahim Raisi était prêt à respecter le PAGC selon les termes de l’Iran, mais qu’il n’était pas pressé de signer un accord qui ne tenait pas compte de la sécurité nationale iranienne. Raisi n’a permis à son ministre des Affaires étrangères, Hussein Amir Abdollahiyan, d’entamer les négociations à Vienne que cinq mois après sa nomination, déstabilisant ainsi toutes les attentes occidentales. Sayyed Raisi a été clair : il n’a « jamais perdu espoir » dans les pourparlers de Vienne.

L’Iran a également mis en place un mécanisme visant à empêcher tout gouvernement de prendre une décision unilatérale liée à la conclusion du PAGC en déléguant au Madjlis (parlement) le pouvoir d’approuver l’accord sur le nucléaire avant sa signature. Il y avait suffisamment d’indications pour l’Occident que l’Iran se méfierait du réengagement américain sans garanties en raison de l’inaction européenne et des sanctions américaines imposées en 2018 lorsque Donald Trump a abandonné l’accord. Si l’Occident veut empêcher la possession par l’Iran d’une bombe nucléaire (que l’Iran n’a jamais fabriquée), il devrait s’accommoder des demandes de l’Iran, principalement parce que ce sont les États-Unis, et non l’Iran, qui se sont montrés indignes de confiance.

Le président américain Joe Biden a pris contact avec les dirigeants européens à Berlin, Paris et Londres, une étape considérée comme le prélude à des progrès tangibles dans le dossier nucléaire. Un autre signe positif est apparu, manifesté par la colère des Israéliens, qui ont déclaré qu’ils se considéraient comme « pas concernés si l’accord sur le nucléaire est signé », insinuant par là qu’ils pourraient attaquer l’Iran. Israël semble croire que le monde pourrait prêter une certaine attention à ses lamentations continuelles. Tel-Aviv est conscient que ses ennemis (l’Iran et ses alliés) ont atteint une capacité de dissuasion convaincante et que la menace israélienne a perdu sa crédibilité.

Le médiateur européen Josep Borrell a confirmé que les propositions iraniennes sont « raisonnables ». Mais l’avis des responsables européens semble compter très peu aux yeux de l’administration américaine, puisque l’Europe a adopté un rôle passif-positif vis-à-vis les propositions iraniennes. Les pourparlers entre les États-Unis et l’Iran semblent nécessiter de nouvelles discussions indirectes concernant les questions en suspens.

Cependant, à la lumière de l’échange avec le gouvernement iranien et de la dernière réponse de l’administration américaine, d’autres échanges de messages sont à prévoir en raison de l’absence des garanties suffisantes demandées par l’Iran. La porte des négociations n’est jamais fermée à la diplomatie tant que les deux parties se parlent et avancent progressivement vers la remise en place du PAGC. Nonobstant la position agressive des États-Unis envers l’Iran depuis 2018, Téhéran continue de montrer qu’il ne dissimule pas son programme nucléaire à l’Occident. Il n’a pas fermé toutes les 40 caméras reliées par satellite de l’AIEA et n’empêche pas les inspecteurs de l’AIEA de visiter ses sites atomiques.

Les États-Unis n’ont aucun autre moyen que les inspecteurs de l’AIEA et les caméras reliées par satellite installées sur les sites nucléaires iraniens pour surveiller la technologie nucléaire avancée. Pourtant, Téhéran est bien placé pour empêcher l’accès de l’AIEA et a désactivé des dizaines de caméras par le passé en réponse aux actes de sabotage et de terrorisme illégal commis par les États-Unis et Israël en Iran. Plus de 20 % de la surveillance nucléaire totale de l’AIEA est consacrée à l’Iran, qui ne possède que 2 % de l’activité et de la capacité atomique mondiale. Cela montre à quel point l’Iran est flexible et transparent et jusqu’à quel point l’Occident est inquiet du développement nucléaire iranien.

En outre, les États-Unis reviennent constamment à la vieille rengaine concernant la présence de « trois sites nucléaires iraniens secrets » pour tordre le bras de l’Iran ou l’utiliser comme outil de négociation. L’Iran a refusé de rectifier ses zones d’influence au Moyen-Orient dans le cadre des négociations sur le nucléaire. Au lieu de cela, il a déjà exprimé sa volonté de discuter de sa présence et de celle des forces US au Moyen-Orient, dont les bases sont déployées dans plusieurs pays autour de l’Iran. Téhéran sera prêt à discuter de son rôle lorsque les États-Unis consentiront à parler de leur rôle dévastateur au Moyen-Orient (Irak, Syrie, Liban et Yémen) et de leur retrait total de la région.

L’Iran a réussi à exclure des négociations ses missiles stratégiques précis et ses drones armés qu’il a développés au cours des dernières décennies. Cela a provoqué la colère d’Israël, qui ne peut attaquer l’Iran de front sans la participation et l’engagement total des États-Unis dans la guerre. Les missiles de précision de l’Iran peuvent atteindre n’importe quelle cible en Israël, où le front intérieur s’est révélé fragile pendant trois jours de combats contre le « Djihad islamique palestinien ». Il y a deux ans, Israël a retiré ses troupes de sa frontière avec le Liban pendant huit mois après la menace du Hezbollah libanais de riposter à l’assassinat d’un de ses militants en Syrie. Un affrontement direct entre Israël et l’Iran ouvrirait les portes de l’enfer au Moyen-Orient sur de multiples fronts. L’Iran a généreusement procuré à ses alliés des missiles de précision adéquats, des drones, des missiles antinavires et une grande expérience de la guerre. Ceux-ci peuvent affronter Israël, qui n’est dorénavant plus en mesure de défier l’Iran ou ses alliés. 

Ces dernières semaines, le Hezbollah libanais a menacé de déclencher une guerre contre Israël s’il forait du gaz et du pétrole dans la zone maritime contestée. Israël a du mal à se soumettre à la demande du Hezbollah sans porter préjudice au gouvernement actuel qui devrait déclencher des élections nationales dans les mois à venir. La confrontation avec l’Iran est totalement autre chose, car Israël devra s’attendre à livrer une guerre dévastatrice qu’il n’a jamais connue.

L’Iran ne s’inquiète pas d’Israël ou des capacités militaires américaines. Téhéran n’a fait aucune concession et négocie en position de force, car l’Occident demande le retour de l’Iran sur les marchés de l’énergie avec ses 2,5 millions de barils par jour. Les sanctions occidentales contre la Russie ont entraîné une hausse des prix du pétrole qui, ces derniers mois, ont atteint 140 dollars le baril pour ensuite descendre à 100 dollars le baril la dernière semaine d’août, un prix qui a vidé les coffres des pays occidentaux importateurs d’énergie.

L’on ne s’étonne plus de voir le taux d’inflation de l’Iran grimper à 41,5 % après 43 ans de sanctions, maintenant que le reste du monde souffre également. Le taux d’inflation dans les pays de la Communauté européenne, riches et exempts de sanctions, se situe entre 9,8 % et 21,3 % (Lettonie). Parmi les pays de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), il grimpe jusqu’à 79,8 % (Turquie). Parallèlement, les prix de l’énergie en Europe ont augmenté de 39,7 % à 42 %. Cela signifie que les sanctions américaines se retournent contre leurs créateurs qui ne peuvent plus pousser les autres pays et gouvernements à se soumettre à la politique hégémonique américaine. Les meilleurs exemples sont Cuba, l’Iran et le Venezuela, qui se sont opposés à la domination américaine pendant des décennies.

Parallèlement à son programme de missiles, l’Iran a fait des progrès remarquables dans le domaine nucléaire et a créé des générations d’atomistes malgré l’assassinat de plusieurs d’entre eux, le dernier en date étant Mohsen Fakhrizadeh. L’Iran a acquis des connaissances très poussées dans le domaine nucléaire, principalement dans la production de combustibles spéciaux et d’uranium enrichi de 5 % à 60 %. Il a mis au point des centrifugeuses de première génération autorisées par le PAGC, puis des centrifugeuses de sixièmeet neuvième générations malgré les lourdes sanctions occidentales. Le programme nucléaire iranien a été soumis à des opérations de sabotage militaire et cybernétique et à un contrôle international strict qui n’ont pas réussi à ralentir les capacités iraniennes dans plusieurs domaines stratégiques. Aucun accord futur ne pourra réduire le niveau de technologie avancée dans le domaine nucléaire que l’Iran a atteint.

L’Iran affirme que l’accord sur le nucléaire ne prendra effet qu’une fois signé, peu importe le climat d’optimisme ou de pessimisme qui régnera. Par conséquent, le jour de l’arrivée des ministres des Affaires étrangères de l’Iran, Hossein Amir Abdollahian, et des États-Unis, Anthony Blinken, sera le jour où l’accord sera signé et conclu. Toutefois, la date prévue de la rencontre n’a pas encore été fixée et d’autres négociations sont nécessaires pour la « récolte » de l’accord sur le nucléaire, bien que le fruit approche de la maturité. Entre-temps, l’Iran poursuit son orientation, en consolidant ses capacités et ses alliances en Asie occidentale, centrale et méridionale. 

Par sa détermination, l’Iran est parvenu à dissuader Israël et à rejeter la domination américaine. Le gouvernement iranien ne négociera pas inlassablement avec l’administration américaine, même si l’économie iranienne bénéficiait de la levée de toutes les sanctions. La tolérance iranienne n’est pas illimitée, et l’Iran maintient l’option de fermer ses portes au moment jugé propice.

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