La bataille de la Ghouta est d’une importance capitale pour la Syrie et la Russie. Qu’adviendra-t-il ensuite?

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Salafi Jihadi Jaish al-Islam group parading civilians Alawite living in al-Ghouta and held prisoners in a cage.

Par Elijah J. Magnier (à Damas): @ejmalrai

Traduction : Daniel G.

La bataille en cours dans la Ghouta orientale semble être un moment décisif d’une importance hautement stratégique pour Moscou et Damas. Bien des raisons motivent ces alliés à en reprendre le contrôle des mains des djihadistes et des rebelles. Mais pareille détermination sous-entend une volonté aussi ferme dans le camp adverse dirigé par les USA et leurs alliés pour empêcher la Ghouta d’être libérée. Il s’agit d’une lutte entre deux camps : l’un déterminé à reprendre le contrôle de la Ghouta dans le but de mettre un terme à la guerre en Syrie, l’autre motivé tout autant à la poursuivre.

En voici les principales raisons :

  1. La Ghouta était et est toujours considérée comme l’une des principales zones offrant à Damas une protection aérienne contre toute attaque venant des airs, qui pourrait venir d’Israël. Le système de défense antiaérienne syrien a maintenu pendant des décennies plusieurs bases de missiles surface-air dans la Ghouta, entre autres postes de défense autour de la capitale.

Quand la guerre a commencé, l’armée syrienne a démonté son système de radar et de défense antiaérienne dans la Ghouta, juste avant qu’elle ne tombe aux mains des rebelles et des djihadistes. L’armée n’est toutefois pas parvenue à retirer tous les missiles. Certains ont été détruits par les nouveaux occupants tandis que d’autres ont été utilisés, ce qui a permis d’abattre un avion syrien.

En récupérant la Ghouta, l’armée syrienne compte déployer un système de défense antiaérienne perfectionné, afin d’ajouter un nouvel élément défensif important pour la capitale Damas contre toute attaque aérienne, tir de missile à longue portée ou violation de son espace aérien.

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  1. La Ghouta orientale est le maillon faible à proximité de Damas. Ces temps-ci, les djihadistes et les rebelles font pleuvoir quotidiennement sur la capitale des dizaines de roquettes et de missiles. Il serait ainsi impossible de tenir des élections présidentielles ou parlementaires sous une telle menace continuelle contre la population. En fait, tant que la sécurité de Damas ne sera pas assurée, toute proposition politique de Moscou pour mettre fin à la guerre en Syrie restera précaire.
  2. Mettre fin à la guerre dans la Ghouta, c’est aussi mettre fin à la présence d’al-Qaeda (alias Front al-Nosra, alias Hay’at Tahrir al-Sham) et d’Ahrar al-Sham (dont la doctrine s’inspire à la fois des salafistes-djihadistes-takfiris et des Frères musulmans) autour de Damas. Ces djihadistes seront donc forcés de quitter la Ghouta pour Idlib une fois qu’ils auront compris que la bataille est perdue. Ce qui ne manquera pas d’exercer une pression en faveur d’un échange avec les habitants des villes assiégées de Foua et de Kafraya, au nord d’Idlib, qui sont encerclées par les djihadistes depuis plus de trois ans.

Un échange du genre a eu lieu en décembre 2016, lorsque des djihadistes et des civils ont reçu la garantie d’un passage sûr pour sortir d’Alep en contrepartie d’un passage similaire pour des civils de Foua et de Kafraya (des dizaines d’entre eux ont cependant été tués en traversant par un kamikaze de Jund al-Aqsa, une organisation proche du groupe armé « État islamique » (Daech), qui travaille en collaboration avec al-Qaeda au nord de la Syrie).

  1. Une fois la bataille de la Ghouta terminée, des dizaines de milliers de soldats syriens seront libres de se rendre directement dans la ville de Daraa au sud pour libérer la zone frontalière avec Israël. L’un des principaux objectifs de l’armée syrienne devrait être le château fort de « l’Armée Khalid ibn al-Walid » dans le bassin du Yarmouk, à la frontière avec Israël. Ce groupe se compose de factions auparavant associées à Daech (ce qui sous-entend des modes de fonctionnement et une idéologie identiques), dont les médias officiels de Daech (A’maq and Al-Battar) ne cessent de chanter les louanges.
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Jaish Khaled Bin al-Waleed south of Syria

Israël soutient au moins sept organisations syriennes dans la région du Golan en leur fournissant des armes, de l’équipement et de l’argent, en plus de mettre leurs services du renseignement et des véhicules aériens sans pilote à leur disposition. Il n’y a pas si longtemps, l’armée syrienne a repris la région de Beit Jinn et s’est beaucoup rapprochée du territoire occupé dans le Golan.

Le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a demandé à maintes reprises à la Russie de tenir l’armée syrienne à une distance d’au moins 60 kilomètres de « sa » frontière. Le président Vladimir Poutine a refusé de répondre favorablement à cette demande de création de cette zone tampon, car il considère que le Golan occupé appartient à la Syrie et ne souhaite pas intervenir dans ce conflit arabo-israélien.

Aujourd’hui, l’armée syrienne est plus forte et plus résiliente que jamais et se dirigera sur le front sud après Ghouta. Ce déplacement attendu va assurément provoquer la colère d’Israël et de son allié américain, qui feront tout pour l’empêcher en soutenant la Ghouta au moyen des canaux humanitaires, des Nations Unies (sous différents drapeaux) et des médias institutionnels, qui continuent à fermer les yeux. Ils iront même jusqu’à soutenir une organisation comme al-Qaeda, qui est basée dans la Ghouta.

À l’heure actuelle, la présence d’al-Qaeda s’avère une raison plutôt faible évoquée par les USA (plus solide dans le cas des Russes) pour libérer la Ghouta. Avant la campagne militaire contre Damas-Est, on estimait qu’al-Qaeda comptait entre 1 500 et 2 000 combattants dans le secteur, tandis que les autres organisations en comptaient entre 8 000 et 10 000.

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https://twitter.com/PetoLucem/status/970341986749308929

Comme on s’y attendait, al-Qaeda a tenté de réduire officiellement ses effectifs à un peu moins de 10 % de leur taille réelle (en prétendant n’avoir que 200 combattants dans la Ghouta). Cependant, la résolution 2401 de l’ONU exclut expressément al-Qaeda (Front al-Nosra ou Hay’at Tahrir al-Sham) et les autres organisations djihadistes du cessez-le-feu.

Dans la Ghouta se trouvent diverses organisations comme « l’Armée de l’Islam » à Douma, à l’idéologie salafo-djihadiste. « Al-Qaeda » coopère aussi avec « Faylaq al-Rahman » et « Fajr al-Ummah » et un nombre moins important de membres de « Ahrar Sham ». Ceux-ci sont répartis dans les fermes situées entre Douma, Harasta, Joubar, Saqba, Zamaleka et Muhammadiyah.

« Fajr al-Ummah » est un allié d’al-Qaeda avec qui il échange tactiques d’organisation, armes et combattants, bien qu’il soit classé comme faisant partie de « l’Armée syrienne libre ». Tous ces groupes ont annoncé depuis 2013 qu’ils forment le « Front al-Nosra », même si la relation entre al-Qaeda et les autres groupes syriens a changé aujourd’hui dans le nord de la Syrie par rapport à ce qu’elle était dans les premières années de guerre.

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Plus de 2,5 millions de personnes vivaient dans la région de la Ghouta orientale avant 2011. Des estimations récentes indiquent qu’il y aurait aujourd’hui de 200 000 à 300 000 personnes dans le secteur. C’est la raison pour laquelle la Russie a annoncé l’ouverture d’un couloir humanitaire par le passage d’al-Wafedeen. Des forces de surveillance russes, des autobus et le Croissant rouge syrien attendent les civils qui veulent quitter la zone contrôlée par les djihadistes. Sauf que ceux-ci empêchent les civils de partir, en imposant un couvre-feu pendant les cinq heures allouées à l’évacuation des civils, afin de maintenir la pression sur la Russie et la Syrie, qui insistent pour que la Ghouta revienne sous le contrôle du gouvernement central à Damas.

L’armée syrienne, qui combat seule sans l’aide de forces alliées (en raison de son rétablissement et de son idéologie forte axée sur le combat) a réussi à reprendre une partie importante de la Ghouta ces derniers jours (presque 40 %) et est convaincue de sa libération prochaine.

Comme je l’ai déjà écrit, la bataille de la Ghouta est vraiment une guerre d’influence et de domination au Levant entre la Russie et les États-Unis. La Russie veut mettre fin à la guerre pour montrer sa capacité non seulement de mener une guerre, mais aussi d’apporter la paix. Quant aux USA, ils font tout leur possible pour gâcher le plaisir du président Poutine. Cette lutte les a entraînés dans une arène (la Syrie), qui pourrait amener les deux superpuissances à se livrer bataille. Chose certaine, peu importe l’issue de la guerre en Syrie, la domination unilatérale des USA au Moyen-Orient est bel et bien terminée.

 

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