Qassem Soleimani et Donald Trump s’entendent sur la désignation d’Al-Abadi comme premier ministre, en dépit du mécontentement d’Ameri et de Maliki

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Par Elijah J. Magnier: @ejmalrai

Traduction : Daniel G.

Une « coalition des cinq » est sur le point d’être formée pour choisir le prochain premier ministre irakien, qui regroupera le plus grand nombre de partis formés de chiites, de sunnites et de Kurdes à l’issue des résultats définitifs des élections irakiennes. Quant au choix du candidat, le commandant des Forces al-Qods des Gardiens de la Révolution islamique, le général Qassem Soleimani, et le président des États-Unis, Donald Trump, sont sur la même longueur d’onde : Haidar al-Abadi satisfait à leurs critères.

Soleimani est en Irak pour quelques jours et a rencontré les chefs de tous les groupes ayant remporté un nombre substantiel de sièges au nouveau parlement, y compris Moqtada al-Sadr, consacré de façon exagérée « king maker » par les médias institutionnels.

Cependant, les principaux alliés de l’Iran que sont Hadi Al-Ameri (le chef du deuxième groupe en importance ayant remporté 47 sièges) et son allié Nouri al-Maliki (25 sièges) éprouvent toujours de la difficulté à recruter à l’extérieur de cette coalition que Soleimani tente de réunir. Al-Ameri croit à tort qu’il peut être le nouveau premier ministre et tente, tout comme al-Maliki, de regrouper les sunnites et les Kurdes qui préféreraient ne pas voir al-Abadi reprendre le pouvoir.

Contrairement à ce qu’il veut bien exprimer ouvertement, Moqtada al-Sadr tient des réunions avec celui qui est censé être son « ennemi juré ». Qassem Soleimani est en Mésopotamie pour éviter d’être exclus de la coalition la plus large qui sera formée. Depuis l’annonce des résultats électoraux définitifs en Irak, Moqtada al-Sadr (54 sièges au parlement) veut donner l’impression qu’il domine la scène politique et que c’est lui qui décide du sort de la politique irakienne, donc du choix du premier ministre. D’où la visite d’ambassadeurs et de politiciens venus le féliciter de sa victoire éclatante en ayant raflé le plus grand nombre de sièges au parlement.

Avec 54 sièges au parlement, un seul groupe comme « Sairoun » que dirige Moqtada ne peut pas aller bien loin, car une coalition comprenant au moins 165 sièges sur un total de 328 est nécessaire pour former le nouveau gouvernement et choisir le prochain premier ministre. En 2010, l’ex-premier ministre Ayad Allawi a remporté 91 sièges, soit deux de plus que son rival Nouri al-Maliki, mais n’a pu obtenir de majorité. Malgré tout le soutien international dont jouissait Allawi à l’époque, l’Iran est parvenu à rassembler la plus grande coalition et à ouvrir la voie à la prise de pouvoir par al-Maliki.

Cette fois-ci, l’Iran est convaincu qu’al-Maliki ne devrait pas occuper de nouveau le poste de premier ministre, pas plus que son plus proche allié, Hadi al-Ameri. La marjaya à Nadjaf est tout aussi convaincue. Avant les élections, Soleimani a tenté de réunir al-Ameri et al-Abadi dans une même coalition pour qu’ils ressortent plus forts que tout autre groupe. Mais à l’issue d’une réunion entre Soleimani, al-Abadi et al-Ameri, ce dernier (au grand déplaisir de l’Iran) a refusé de signer et a décidé de se présenter seul. L’envoyé iranien (qui occupe en Irak la fonction officielle de « conseiller auprès du gouvernement irakien ») voulait une garantie qu’Abadi reprenne le pouvoir et obtienne un second mandat.

Aujourd’hui, Abadi est le choix aussi bien de l’Iran que des USA. Il est rare que ces ennemis soient sur la même longueur d’onde quant au choix d’un premier ministre. En 2010, Soleimani a ruiné les plans des USA qui favorisaient Allawi en poussant al-Maliki au poste de premier ministre. En 2014, Abadi est parvenu au pouvoir seulement parce que la marjaya à Nadjaf avait officiellement rejeté le retour d’al-Maliki (chose extrêmement rare), au grand dam de Soleimani. Aujourd’hui, Sayyed Sistani ne répond pas d’Abadi, mais ne se met pas en travers son chemin. Abadi croit à tort qu’il bénéficie du soutien du grand ayatollah Sayyed Ali Sistani, mais dans les faits la marjaya ne peut endosser de candidat qu’elle trouverait convenable pour l’Irak. Sayyed Sistani croit qu’aucun candidat en lice n’est disposé à mettre fin à la corruption au pays et au contrôle exercé par les mégas partis, qui dominent en Irak depuis 2003. Cependant, Sayyed Sistani s’oppose à l’interférence de l’Iran en Irak et ne soutient ni al-Maliki, ni al-Ameri.

Sauf que cette fois-ci, même l’Iran s’oppose à al-Maliki et à al-Ameri et préfère qu’Abadi reprenne le pouvoir. En 2014, le premier ministre a hérité de 13 provinces, mais à la suite de la fatwa de Sayyed Sistani, qui a mobilisé la population contre Daech, le groupe armé terroriste, le pays possède de nouveau 15 provinces. En outre, l’Iran ne cherche pas de confrontation inutile avec les USA et accepte que leurs intérêts convergent sur la personne d’Abadi, puisqu’il est là et qu’il n’est pas allé à l’encontre des intérêts de l’Iran pendant ses quatre premières années au pouvoir. Pendant la majeure partie du premier mandat d’Abadi, ses relations avec Soleimani ont souffert énormément. Mais le pragmatisme de Soleimani et son approche positive à l’égard d’Abadi ont permis aux relations entre les deux hommes de revenir à la normale.

Haidar al-Abadi est aussi le choix de Moqtada al-Sadr. Le dirigeant du mouvement sadriste a un préjugé contre Soleimani qui, depuis 2008, est responsable du financement et de la promotion de groupes sadristes dissidents qui s’opposent aujourd’hui à Moqtada. Cependant, pendant sa réunion avec Soleimani, Moqtada a demandé à « ne pas être exclus de la coalition des cinq » : Abadi, Ameri, Maliki, Hakim (19 sièges) et Allawi. Si jamais Moqtada se joint à cette coalition, il obtiendra la part qui lui revient au sein du gouvernement, soit l’équivalent des 54 sièges qu’il contrôle. Par exemple, le poste de premier ministre pourrait valoir de 45 à 50 sièges, celui de ministre des Affaires étrangères valoir 20 sièges. Ces équivalences sont convenues entre tous les groupes formant la plus grande coalition, à qui revient le droit de former un gouvernement. En cas de refus de Moqtada, ses députés siégeront parmi les groupes formant l’opposition au parlement.

À l’heure actuelle, personne parmi les politiciens n’a fait l’objet d’un véto. La réunion entre Soleimani et Ayad Allawi (qui n’est pas du tout candidat au poste de premier ministre) représente un pas énorme pour l’Iran qui cherche à rassembler tous les principaux groupes au sein de la coalition la plus large possible. Cette fois-ci, il n’y a pas de complications sérieuses à la candidature d’Abadi, qui voudrait bien qu’on lui donne une nouvelle chance au pouvoir. Il est un intermédiaire entre toutes les parties à l’exception de Massoud Barzani, qui croit avoir été humilité et démoli politiquement par Abadi.

Il n’y a pas de faiseur de rois en Irak aujourd’hui. Soleimani et Trump se sont entendus (sans prises de contact écrites ou directes bien sûr) pour que l’Irak reste stable maintenant que Daech a été défait. Puis ce n’est certes pas Moqtada al-Sadr qui tient les rênes (il fera toutefois partie des décideurs s’il se joint au gouvernement), même s’il a cherché à l’insinuer au monde dans l’euphorie des 54 sièges qu’il a raflés. Tout porte donc à croire qu’Haidar Abadi aura une nouvelle chance de maintenir l’unité du pays et d’affronter les tâches extrêmement difficiles qui l’attendent : l’unité des Irakiens, la reconstruction du nord et de l’est détruits, la remise en état de l’infrastructure et, d’abord et avant tout, l’impossible lutte contre la corruption.

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