Russie, USA, Israël, Iran et Syrie : une lutte constante entre ceux qui poussent à la guerre et ceux qui veulent l’éviter

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Par Elijah J. Magnier: @ejmalrai

Traduction : Daniel G.

Un système de défense antiaérienne syrien a abattu par erreur un avion de surveillance russe IL-20M 90924 avec 15 militaires à son bord lundi soir, soit 24 heures après qu’un F-16 israélien eut détruit un avion-cargo militaire iranien sur une piste de l’aéroport de Damas, tuant le second pilote. Lorsque l’avion russe a été abattu, quatre F-16 israéliens attaquaient des cibles militaires syriennes et iraniennes autour de Lattaquié, au nord de la Syrie. En voulant intercepter les missiles qui s’approchaient, le système de défense antiaérienne syrien a atteint l’avion russe qui était en position d’atterrissage au-dessus de la base aérienne de Hmeimim. Cela s’est produit quelques heures seulement après la signature d’un accord entre les présidents Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan pour mettre fin à la bataille d’Idlib et réduire le risque que des baraquements et des aéroports militaires de l’armée syrienne soient détruits. Qui donc pousse à l’élargissement de la guerre et pourquoi la Russie et l’Iran s’abstiennent-ils de répondre aux provocations qui se multiplient en Syrie?

Les tambours de la guerre ont résonné plus fort ces derniers mois après que la Syrie et ses alliés, principalement la Russie, ont libéré le sud du pays et dirigé tous leurs effectifs militaires vers Idlib, au nord de la Syrie. Cette ville sous contrôle turc compte un peu moins de deux millions d’habitants, dont des dizaines de milliers de djihadistes et de mandataires turcs lourdement armés. Les USA et l’Europe ont exprimé leur volonté de bombarder la Syrie « si des bombes chimiques sont lancées contre la ville ». C’était là une invitation claire lancée à des groupes spécialisés à Idlib de mettre en scène une attaque et ainsi fournir le prétexte qu’il fallait aux forces des USA et de l’UE pour déployer leur puissance de feu et détruire la force aérienne syrienne et ses aéroports. Voilà l’élément clé expliquant non seulement l’absence de réaction des Russes, des Syriens et des Iraniens aux nombreuses provocations d’Israël, mais aussi l’accord conclu entre Russes et Turcs de suspendre la guerre à Idlib.

Des sources parmi les preneurs de décisions en Syrie ont affirmé que « la Russie était vivement préoccupée par l’intention des Américains et des Européens de détruire l’armée syrienne en cas de mise en scène d’attaque chimique. Les USA ont réussi à unir derrière eux une coalition comptant la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne pour bombarder la Syrie, d’où la difficulté pour la Russie de répondre militairement. Poutine est conscient des intentions américaines et il n’est pas en Syrie pour déclencher la Troisième Guerre mondiale, mais bien pour mettre fin à la guerre. Le redressement de la Syrie et l’expansion du contrôle russe au Moyen-Orient vont à l’encontre des intérêts des USA. »

L’accord russo-turc reportant la bataille d’Idlib, qui a reçu l’assentiment du gouvernement central à Damas et qui a été conclu après plusieurs médiations iraniennes, vise à maintenir Ankara proche de l’axe Moscou-Téhéran-Damas et à empêcher l’élargissement de la guerre en Syrie. Par exemple, il a fallu trois ans à l’armée syrienne pour préparer et équiper l’aéroport militaire de Chouayrat et trois minutes aux USA pour le mettre hors service pendant encore trois ans. La Russie, la Syrie et l’Iran voudraient éviter qu’un fardeau supplémentaire pèse sur l’économie et les capacités de la Syrie. De plus, une armée syrienne affaiblie inciterait davantage les 60 000 à 70 000 djihadistes et rebelles d’Idlib et des environs à briser le siège et se diriger vers Alep, ce qui élargirait la guerre et offrirait de nouvelles possibilités aux ennemis de l’unité syrienne de reprendre des forces.

À Damas, on est bien heureux d’alléger le climat de guerre qui règne et de donner plus de temps à Ankara pour désarmer les djihadistes, les attaquer ou intégrer bon nombre d’entre eux parmi ses mandataires. Le gouvernement syrien va tirer avantage de l’accord, s’il est respecté, et qui prévoit que toutes les armes lourdes seront confisquées par la Turquie, ce qui réduira énormément la capacité militaire des djihadistes et des rebelles.

En outre, ce qui n’a pas été annoncé officiellement, c’est la garantie donnée par Ankara qu’aucune attaque chimique ne sera mise en scène à Idlib, qui provoquerait le bombardement de la Syrie tant attendu par les USA et l’UE.

Dimanche soir, Israël a lancé des missiles contre un avion-cargo iranien sur une piste de l’aéroport de Damas. Les missiles israéliens n’ont pas frappé l’avion directement, mais juste à côté, suffisamment proche pour incendier l’avion et tuer l’assistant pilote. C’était une attaque sans précédent d’Israël, la première du genre contre une telle cible en sept ans de guerre en Syrie.

Selon les preneurs de décisions en Syrie, les Israéliens ont demandé à la Russie « d’empêcher le flot d’armes de l’Iran au Hezbollah et à la Syrie ». Moscou a dit à Tel-Aviv que cette lutte n’était pas de son ressort et qu’il n’a pas l’intention de surveiller le transfert d’armes entre l’Iran et ses alliés.

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De même, lorsque l’Iran a demandé à la Russie d’obliger Israël à cesser ses attaques en Syrie contre ses alliés et ses forces, Moscou a fourni la même réponse : « Nous ne sommes pas disposés à prendre part à votre lutte contre Israël ».

Mais lorsque le ministre de la défense iranien a promis de livrer des missiles antiaériens à la Syrie capables de mettre en danger les avions israéliens au-dessus de la Syrie et du Liban (la Russie s’est abstenue de livrer des S-300), Israël a décidé de faire un pas de plus. Voilà pourquoi Israël a décidé de bombarder tout avion-cargo susceptible d’améliorer les capacités syriennes et tous les entrepôts d’armes en Syrie où des missiles de précision sont mis au point. Ce qui n’a pas empêché l’Iran, selon les sources en Syrie, de livrer à ses alliés de la technologie et des missiles en nombre suffisant pour empêcher les avions israéliens de nuire aux capacités balistiques syriennes et à celles du Hezbollah au Liban.

« Même si l’Iran perd 15 avions-cargos en Syrie, cela ne l’empêchera pas de fournir l’aide nécessaire à ses alliés », ont affirmé les sources.

Quelques heures après l’annonce de l’accord russo-turc, des avions israéliens ont effectué des tirs contre une installation militaire où l’on travaille à l’amélioration des capacités militaires syriennes. Quatre missiles ont atteint leur cible, tandis que les autres ont été interceptés par le système de défense syrien. Sauf qu’un avion de surveillance russe a également été touché par un missile syrien pendant qu’il effectuait sa manœuvre en vue de son atterrissage à 27 km de Banias (où des débris ont été retrouvés).

Selon les sources au sein du commandement russe en Syrie, « la Russie a payé un prix fort pour sa réticence à s’imposer comme superpuissance en Syrie et son incapacité à empêcher toute force extérieure, qu’elle soit américaine, européenne ou israélienne, de bombarder ses alliés dans un théâtre sous son contrôle et sa domination. Afin de protéger un périmètre où leurs forces étaient déployées, les USA ont attaqué et tué des centaines de Syriens dans les monts de Tharda sous Obama, et des centaines d’autres à Deir Ezzor et dans la Badia. Par contre, des missiles israéliens survolent l’aéroport russo-syrien de Hmeimim et les Tomahawks américains qui ont frappé l’aéroport de Chouayrat sont passés juste au-dessus de la tête des forces russes ».

L’écrasement de l’avion russe devrait avoir pour effet de forcer Israël à assurer sa pleine coordination et à obtenir une autorisation pour ses vols au-dessus de la Syrie des heures avant leurs frappes pour garantir la neutralité de la Russie. Cela permettra aussi à la Syrie et à ses alliés d’attendre l’arrivée des missiles et des avions israéliens et de limiter les dégâts ou de retirer les armes névralgiques.

Moscou a payé un prix, mais Israël a perdu l’avantage au profit des alliés de la Russie. Les promenades israéliennes au-dessus de la Syrie ne cesseront pas, car Israël ne s’est jamais gêné dans sa volonté de « défendre notre sécurité nationale », comme se plaît à le répéter Tel-Aviv pour justifier tout acte de guerre ou d’agression contre un autre État ou un groupe. Les violations de l’espace aérien syrien par Israël ne cesseront peut-être pas, mais elles vont ralentir pendant quelques jours, ce qui devrait suffire à l’Iran et à ses alliés pour reconstruire ce qui a été détruit.

L’Iran, la Russie et la Syrie n’ont pas stoppé la bataille d’Idlib (pour éviter la guerre) de façon à se retrouver coincés dans une nouvelle guerre lancée par Israël ou les USA. C’est ce qui empêche la Russie, l’Iran et la Syrie de fournir aux USA, à Israël et à l’Europe le moindre prétexte pour déclencher une guerre, au prix de paraître faibles aux yeux du monde. Ces décisions très risquées sont prises afin de permettre à la Syrie de se remettre sur pied. Elles sont essentielles pour contrecarrer les plans des bellicistes dans l’administration américaine. Elles sont aussi nécessaires pour revitaliser l’économie des trois pays au lieu d’avoir à gaspiller toutes leurs ressources dans une guerre inutile sur l’échiquier syrien.

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