L’armée syrienne entre à Manbij pendant que Trump amorce le retrait annoncé: l’Irak suivra

Par Elijah J. Magnier : @ejmalrai

Traduction : Daniel G.

L’avion présidentiel américain a atterri dans l’obscurité à la base militaire irakienne d’Ayn al-Assad dans l’ouest de l’Anbar, avec à son bord Donald Trump. Mais lorsque son avion est reparti trois heures plus tard, Trump a soulevé derrière lui une tempête protocolaire, politique et parlementaire en Mésopotamie, des députés exigeant le départ des 5 200 militaires américains se trouvant en Irak. Aucun des trois dirigeants irakiens (le premier ministre Adel Abdel Mahdi, le président du parlement Mohammad al-Halbusi et le président Barham Salih) n’est venu accueillir Trump, les trois ayant rejeté les conditions américaines rattachées à leur rencontre. Trump semble déterminé à quitter la Syrie sans se mêler de qui contrôlera le territoire derrière lui. Ce matin, l’armée syrienne est entrée dans la périphérie de la ville de Manbij, à la suite d’un accord conclu entre les dirigeants kurdes et le gouvernement de Damas. Trump va-t-il aussi finir par quitter l’Irak avant la fin de son mandat en janvier 2021? 

En vue de la visite de Trump, le premier ministre irakien Adel Abdel Mahdi a été invité à le rencontrer. Il a accepté de recevoir Trump soit à Bagdad, en sol irakien, soit à la base militaire d’Ayn al-Assad, où les forces militaires américaines sont déployées, mais dans une partie distincte de la base où se trouvent les forces de sécurité nationale et des unités de l’armée de l’Irak. Une rencontre dans la partie de la base contrôlée par les USA aurait fait paraître Abdel Mahdi comme un invité dans son propre pays. 

Quelques heures avant l’arrivée de Trump, l’ambassadeur américain Douglas Silliman a dit au premier ministre Abdel Mahdi que Trump le recevrait dans la partie américaine de la base, mais qu’il n’irait ni à Bagdad assister à une courte réception, ni dans la partie irakienne de la base d’Ayn al-Assad, pour des raisons de sécurité. Le premier ministre a eu droit à plus d’égards de la part des politiciens irakiens pour avoir refusé l’invitation des USA, tout comme le président et le président du parlement.

Le mépris de Trump à l’égard du protocole lorsqu’il a atterri dans un pays souverain a rendu furieux les politiciens locaux, les responsables d’organisations et les députés. Ils se sont sentis insultés et ont appelé au retrait des forces américaines du pays. D’autres ont menacé de forcer les troupes des USA à quitter l’Irak.

Qais al-Khaz’ali, le chef du mouvement « Asaïb Ahl al-Haq » (responsable de la mort de soldats américains pendant leur occupation de l’Irak entre 2003 et 2011) qui dirige une coalition parlementaire, a dit que « l’Irak répondra (à l’insulte de Trump) par une requête parlementaire appelant au retrait de vos troupes, mais que si vous ne partez pas, nous avons l’expérience (de guerre) qu’il faut pour vous forcer à le faire ». 

La tension est montée d’un cran lorsque Trump a exprimé son intention de maintenir ses forces armées en Irak, qui pourraient de surcroît retourner en Syrie à partir de la base irakienne. Le « Hezbollah irakien » s’est promis aussitôt de « couper la main qui frappera la Syrie à partir des bases irakiennes ». 

Le président des USA semble prêt à respecter sa promesse de se retirer de la Syrie, ou à tout le moins de Manbij. Les USA ont annoncé une « sortie organisée », soit un retrait en coordination avec la Turquie de façon à ce que les forces d’Ankara puissent remplacer les troupes américaines. La Turquie se préparait à entrer à Manbij et Tal Abiad en massant des milliers de militaires et de mandataires à la frontière de la province syrienne. Toutefois, l’accord conclu jeudi soir entre le gouvernement syrien et les YPG kurdes a donné le feu vert à a 1reet à la 5edivisions de l’armée syrienne pour reprendre Manbij et faire flotter les drapeaux russes et syriens au-dessus de la ville.Ce revirement empêche la Turquie et ses mandataires d’entrer dans la province. La décision a été communiquée à la Turquie par l’entremise de la Russie.

Moscou s’oppose à tout changement de pouvoir sur le terrain, en refusant à la Turquie d’étendre son contrôle sur encore plus de territoire syrien exclu de « l’accord d’Astana », qui concède à la Turquie un pouvoir temporaire dans la région d’Idlib. La Russie est d’avis qu’il devrait y avoir une passation naturelle du pouvoir sur les secteurs contrôlés par les Kurdes en faveur de l’armée syrienne après le retrait des USA. Damas et Téhéran sont catégoriques sur ce point : seules les forces syriennes devraient remplacer les troupes américaines dans la province d’Hassaké.

En outre, des forces de Damas sont toujours basées à Qamichli et peuvent facilement prendre le contrôle de toutes les positions après le retrait des forces d’occupation américaines du nord-est de la Syrie. Des postes d’observation sous contrôle de l’armée syrienne existent déjà (certains comptent aussi des observateurs russes) dans différents villages autour de Manbij. C’est un message clair en direction d’Ankara qu’aucune force ne peut traverser sans l’accord de la Russie, sous peine d’être bombardée et attaquée. Le contrôle de Manbij change la donne et indique clairement que le gouvernement de Damas prendra le contrôle de la province d’Hassaké pour se concentrer plus tard sur Idlib, après le retrait des USA, avec l’aide de Moscou. 

La Russie a convié les envoyés présidentiels, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense et les chefs des services du renseignement de la Russie et de la Turquie à une réunion importante ce samedi à Moscou, pour parler du retrait des USA et du rôle de chaque partie. Une autre réunion est prévue entre la Turquie, la Russie et l’Iran à Moscou dans quelques semaines. L’objectif est de prévenir toute dissension entre les dirigeants de ces pays que pourrait déclencher le retrait américain de la Syrie occupée. Pour sa part, Damas a rejeté la présence de l’administration kurde locale dans ses rangs et a accepté de désarmer les Kurdes, une requête turque et syrienne, une fois Daech défait. Les Kurdes aideront l’armée syrienne à combattre Daech le long de l’Euphrate, où une bataille devrait commencer sous peu afin de mettre fin au contrôle qu’exerce Daech dans le secteur. Comme Daech ne bénéficie plus de la protection des USA, son occupation d’une partie du territoire syrien s’achève.

Lors des négociations avec la Russie, la Turquie a soutenu que les USA pourraient ne pas permettre aux forces syriennes d’entrer. La Turquie affirmait que tout changement à l’accord conclu entre Trump et Erdogan pourrait compromettre la décision des USA de se retirer. Damas et Téhéran ne demandent évidemment pas mieux de voir les troupes américaines quitter la Syrie, mais pas au point de livrer le secteur aux Turcs. La Russie a appuyé la position de Damas.

Ankara craignait en fait que sa décision unilatérale d’avancer dans le secteur contrôlé par les Kurdes déclenche une intervention russe contre ses mandataires (Bouclier de l’Euphrate, Jaish al-Islam, brigade al-Hamza, Ahrar al-Charqiya et autres) et amène éventuellement les Iraniens à armer les Kurdes et les tribus arabes dans la province pour empêcher toute nouvelle annexion du territoire syrien. Les forces turques et leurs mandataires, qui occupent actuellement Jarablous, al-Bab, Afrin et Idlib, ne souhaitent pas s’engager dans une guerre perdue d’avance contre l’armée syrienne soutenue par la Russie et l’Iran.

La Turquie semble disposée à satisfaire la Russie et l’Iran. L’armée turque et ses mandataires syriens n’arriveront jamais à franchir les 500 kilomètres entre Manbij et Deir Ezzor, où se trouvent les plus gros gisements pétroliers et gaziers. Qui plus est, cette région n’est qu’à une dizaine de kilomètres de distance de la position de l’armée syrienne la plus proche, de l’autre côté de l’Euphrate. 

La Russie a demandé à Damas et à Téhéran d’établir une stratégie en coordination avec les militaires russes de façon à proposer un plan d’action et une feuille de route après le retrait des USA, dont la priorité serait d’éliminer Daech et d’éviter tout affrontement avec la Turquie, dans la mesure du possible. La situation est très délicate et compliquée entre ces alliés. La réintégration de Manbij semble favoriser l’unité de la Syrie, en marquant la fin de sa partition ou de toute possibilité de zone tampon.

Téhéran croit que les USA ne quitteront pas pour de bon le Levant et la Mésopotamie sans créer d’instabilité derrière eux. Cela motive encore plus ses représentants à faire pression sur le parlement irakien en faveur d’un retrait des USA de l’Irak. 

Il ne fait aucun doute que l’Irak est un proche allié de l’Iran qui ne soutient pas inconditionnellement les USA. Le parlement irakien peut faire pression sur le gouvernement du premier ministre Adel Abdel Mahdi pour qu’il demande au président Trump de retirer les troupes américaines avant la fin de son mandat en 2020. L’administration américaine et « l’Axe de la résistance » auront beau être de connivence dans leur plan, le dernier mot appartient au peuple irakien, à ceux qui rejettent l’hégémonie américaine au Moyen-Orient et à ceux qui sont prêts à accepter leurs pertes et à lécher leurs plaies dans l’espoir d’un avenir meilleur. 

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