Les USA arriveront-ils à couper les vivres au Hezbollah?

Par Elijah J. Magnier: @ejmalrai

Traduction : Daniel G.

Au fil des ans, les chercheurs ont copié et repris servilement les rapports déclassifiés inexacts des services du renseignement des USA portant sur les sources de revenu du Hezbollah dans le monde. Ces documents prétendent que le Hezbollah vit de la vente de cigarettes de contrebande et de la copie illégale de CD, ou encore des revenus tirés de la vente de drogues en Amérique latine et ailleurs dans le monde. Les USA accusent aussi le Hezbollah de tirer des revenus de projets commerciaux à l’étranger et de comptes bancaires dans le monde entier. Ces allégations ont servi de prétextes aux USA pour imposer des sanctions au groupe et confisquer des comptes à l’étranger qui, en réalité, n’appartiennent pas au Hezbollah. Quand toutes les tentatives de juguler les finances du Hezbollah ont échoué, il restait très peu d’options disponibles au gouvernement des USA. La première était d’empêcher les khoms (dîme religieuse correspondant au cinquième ou 20 % du revenu d’un croyant à la fin de l’année financière) payés par les immigrants chiites de se retrouver dans les coffres du Hezbollah. La deuxième était d’imposer de lourdes sanctions à l’Iran, le principal allié et bailleur de fonds du Hezbollah. La troisième était d’imposer des sanctions aux particuliers et aux banques chiites au Liban qui font affaires avec les ministres ou les députés du Hezbollah, ainsi qu’aux chiites bien nantis liés étroitement au Hezbollah. L’objectif est de pousser la société chiite, qui représente le tiers de la population libanaise, de se distancer du Hezbollah. Les USA aspirent à rompre la politique d’unité approuvée par le parlement, le conseil des ministres et le président, qui appelle à la solidarité « de l’armée, du peuple et de la résistance » contre l’agression israélienne au Liban. Les USA réussiront-ils à miner le statut du Hezbollah dans la société libanaise et à neutraliser ses finances? 

Le Hezbollah libanais est un acteur quasi-étatique comptant 73 députés et 18 membres du conseil des ministres dans son camp. Sa légitimité est assurée par le pouvoir législatif et exécutif, par une partie considérable des forces de sécurité et par la majorité des chiites, qui forment presque le tiers de la population. Le président Michel Aoun, tout comme le premier ministre pro-USA ayant la double nationalité libanaise et saoudienne Saad Hariri, ont exprimé tout récemment le droit du Liban à riposter contre Israël pour avoir envoyé deux drones suicide en banlieue de Beyrouth, violant ainsi la cessation des hostilités convenue en vertu de la résolution 1701 de l’ONU, à la suite de la guerre imposée au Liban par Israël en 2006. Les responsables libanais se référaient au Hezbollah lorsqu’ils ont parlé du « droit de riposte du Liban » et brandi cette carte aux représentants de la communauté internationale qui cherchaient à convaincre les Libanais du bien-fondé et de l’efficacité d’une « réponse timide » à l’endroit d’Israël.  

Malgré la légitimité du Hezbollah sur le plan intérieur qui protège son existence et ses activités, comment les USA pourraient-ils parvenir à l’appauvrir? 

Selon le plus récent visiteur au Liban, le sous-secrétaire d’État au Trésor des USA chargé de la lutte anti-terroriste et du renseignement financier Sigal Mandelker, qui est né en Israël, l’Iran « verse 700 millions de dollars par an au Hezbollah », soit environ 60 M$ par mois. Si l’on suppose que ces chiffres sont exacts, les familles et les militants de l’acteur quasi-étatique dépenseraient des dizaines de millions de dollars par mois au Liban, dynamisant ainsi son économie. Le Hezbollah verse un « huquq » (terme désignant le paiement de salaires) à ses dizaines de milliers de membres et leur fournit, ainsi qu’à leurs familles, une garantie d’assurance médicale complète. Le groupe investit localement dans les puits artificiels, pour combattre la raréfaction de l’eau potable, et dans d’autres projets d’infrastructure de base que les administrations locales n’ont pu offrir à leur population pendant des décennies. L’absence d’attention, de services et de protection de la part du gouvernement libanais a créé dans la population un terrain fertile qui a permis au Hezbollah d’assumer son rôle à sa place dans bien des secteurs.

Le pétrole brut iranien permet au Hezbollah de boucler son budget depuis des mois. L’Iran considère le Hezbollah non seulement comme un élément assurant sa sécurité nationale, mais aussi comme un membre inséparable de son corps. Les USA devront donc fermer le robinet de chaque puits de pétrole en Iran pour empêcher les revenus de parvenir au Hezbollah au Liban. 

L’Iran a réussi à vendre des centaines de milliers de barils de pétrole malgré les très lourdes sanctions des USA. Le Hezbollah prend sa part de pétrole et la vend sur le marché à bas prix. Si le Hezbollah reçoit 700 M$ annuellement, il doit vendre 1,2 million de barils de pétrole par mois pour couvrir toutes ses dépenses. C’est une tâche assez facile à accomplir étant donné la présence du Hezbollah en Syrie et en Irak, où il jouit d’un appui parmi les responsables et la population.

Même déficitaire, le Hezbollah insuffle de l’argent au Liban (un peu moins d’un milliard de dollars par an) qui contribue à l’économie libanaise. Le pays subit une crise financière grave due à la corruption depuis des décennies et au système économique national turbulent, qui ne protège pas l’industrie et l’agriculture locales. Le Liban se fie trop au tourisme, qui est limité et facilement affecté par les annonces de guerre dans la région.

Les USA visent maintenant le système bancaire libanais, l’un des rares systèmes qui fonctionnent encore au pays. Ils ont fermé deux grandes banques jusqu’ici et imposé des mesures strictes sur les procédures internes et les transferts d’argent, en plus d’exiger la fermeture des comptes de particuliers liés au Hezbollah d’une façon ou d’une autre. L’administration américaine dirige actuellement le système bancaire libanais à partir de Washington. La Banque du Liban obéit totalement aux demandes des USA, par crainte d’une dévaluation de la monnaie locale ou de l’écroulement des banques libanaises si elles sont prises à partie par les USA.

Malgré ce tableau sombre, depuis la déclaration du premier manifeste du Hezbollah en 1985 et sa première unification en 1992, les khoms lui parviennent régulièrement et il n’y a eu aucun paiement en faute, même si le délai peut se prolonger de quatre à six mois. Le nombre de recrues continue d’augmenter dans ses rangs. Le Hezbollah paie toujours ses huquqs (salaires), même s’il arrive qu’ils sont divisés en plusieurs versements dans un même mois ou même retardés d’un mois ou deux. 

Le paiement des salaires des membres de l’organisation n’est pas réglementé comme dans le cas des employés d’une banque ou de toute autre entreprise civile. Par contre, bien des entreprises libanaises, y compris des entreprises appartenant au premier ministre, ont fermé leurs portes, en s’abstenant de payer leurs employés qu’ils ont congédiés en raison de l’absence de perspectives d’emploi au pays.

Le Hezbollah est un groupe luttant pour sa survie et la protection d’une société qui, autrement, ne pourrait se défendre elle-même et protéger les siens et ses biens des nombreuses guerres et violations de sa souveraineté par Israël. Le Hezbollah a trouvé un terrain fertile parce qu’il a agi en l’absence de toute mesure prise par les autorités libanaises contre l’occupation israélienne. 

Depuis la libération du territoire libanais de l’occupation israélienne, les responsables libanais s’appuient sur la capacité militaire du Hezbollah dans leurs négociations avec leurs homologues des USA portant sur la défense de leurs droits territoriaux et relatifs à l’eau. L’appareil militaire perfectionné du Hezbollah a également un effet dissuasif qui empêche Israël d’attaquer de nouveau le Liban et de se lancer dans une quatrième guerre contre le pays. 

Il est indéniable que l’Iran et le Hezbollah souffrent des conséquences des sanctions agressives des USA. L’Iran comblait environ 70 % des besoins financiers du Hezbollah, les 30 % restants provenant des immigrants libanais qui souhaitaient transférer leurs khoms au Liban. 

Aujourd’hui, le Hezbollah a pris ses distances par rapport à ces immigrants et rejette leurs dons afin d’empêcher toute mesure draconienne des USA contre eux. L’administration américaine considère tout donateur ou chiite bien nanti qui transfère de l’argent à sa famille au Liban comme un membre potentiel du Hezbollah, passible de prison. La plupart des familles libanaises chiites ont des proches – un frère, un cousin ou un autre membre de la famille – qui font partie de l’organisation. Ce qui ne veut pas dire pour autant que chaque membre d’une famille est un agent du Hezbollah. Mais l’Occident se refuse d’accepter la complexité de la question, apparemment « par souci de commodité ». 

L’administration américaine tente de créer un fractionnement entre le Hezbollah et la société libanaise. La première mesure consistait à étrangler la communauté chiite au Liban pour qu’elle se retourne contre le Hezbollah. La tactique a échoué parce que le lien est trop fort pour être sérieusement affecté par ce genre d’ingérence. Les USA ne semblent pas comprendre que les membres du Hezbollah et leurs familles ne forment pas un corps étranger, mais qu’ils représentent au contraire près du tiers de la population locale. Aujourd’hui, bon nombre d’entre eux dépendent financièrement du Hezbollah.  

Les USA veulent faire la leçon aux Libanais parce qu’ils se tiennent derrière le Hezbollah, notamment dans le dossier du contentieux lié aux eaux et aux territoires transfrontaliers. L’administration américaine lèverait toutes les sanctions imposées au Liban s’il parvenait à un accord avec Israël, en lui abandonnant une partie de ses blocs riches en pétrole dans les eaux frontalières.

L’administration américaine a tenté de mettre la crise financière libanaise actuelle sur le dos de la Syrie, en accusant le Levant d’absorber tout l’argent de la région au détriment du Liban. Ce que Washington ignore, c’est que la Syrie a un excédent de devises étrangères en raison des milliards de dollars que ses alliés du Golfe (l’Arabie saoudite et le Qatar) et Israël ont dépensés pour déstabiliser le pays. Les djihadistes et les rebelles ont échangé leurs dollars contre des livres syriennes, ce qui a permis à la banque centrale de la Syrie d’augmenter ses avoirs en dollars. Malgré le fait que les USA exercent toutes sortes de pression sur la Jordanie et l’Irak pour qu’ils ferment leurs frontières aux biens syriens, cela n’empêche pas la Syrie de soutenir le Hezbollah financièrement, en avançant des dollars en liquide à son allié stratégique au besoin. Il s’agit là d’un autre obstacle aux efforts des USA visant à appauvrir le Hezbollah.

Le Liban a reçu la visite de Marshall Billingslea, le secrétaire adjoint américain au Trésor pour la lutte contre le financement du terrorisme, David Schenker, le secrétaire adjoint américain aux affaires du Proche-Orient, David Hill, le sous-secrétaire américain des affaires politiques, l’ambassadeur David Satterfield, le secrétaire adjoint américain par intérim aux affaires du Proche-Orient, et Mike Pompeo, le secrétaire d’État. Tous ont apparemment appelé à « combattre le Hezbollah et son influence sur le Liban ». Dans les faits, ils ont parlé d’abord et avant tout de la sécurité d’Israël et d’un moyen de parvenir à une solution favorable à Israël dans la zone maritime en litige. Israël revendique de 500 à 600 kilomètres carrés d’une frontière maritime que le Liban contrôle et considère comme lui appartenant. Les USA sont prêts à ne pas se mêler des activités du Hezbollah et à lever toutes leurs sanctions si le Liban parvient à un accord satisfaisant avec Israël, ont affirmé des sources faisant partie du groupe de décideurs et de négociateurs libanais qui ont rencontré les responsables américains ces derniers mois. 

Billingslea a récemment affirmé que « le Hezbollah est un cancer qui devrait être enrayé. Il est donc du devoir du système politique libanais de s’unir contre le Hezbollah et la menace qu’il représente pour la démocratie et la sécurité du gouvernement libanais ». Le responsable américain n’a pas tenu compte du fait que le Hezbollah fait partie du gouvernement et du système politique libanais!

Le responsable américain a ajouté que « les USA et leurs alliés n’ont pas à assumer eux-mêmes la responsabilité de stopper le Hezbollah; c’est au peuple libanais qu’il revient de protéger la démocratie dans leur pays ».  

Billingslea ne sait peut-être pas que la grande majorité de la population libanaise est derrière le Hezbollah. Il ne fait aucun doute qu’à l’intérieur du système politique, des Libanais impuissants demeurent loyaux envers les USA. Mais le Hezbollah parle et agit au nom de ceux qui ont voté pour lui lors des dernières élections parlementaires démocratiques.

Aucun dirigeant parmi les alliés de Trump au Moyen-Orient n’est à la tête d’une véritable démocratie. Se pourrait-il que le responsable américain cherche à introduire au Liban un système comparable à ceux de ses voisins? La pression que les USA exercent sur le Liban pour qu’il se plie aux intérêts d’Israël est loin d’être démocratique. La trame narrative incohérente de Billingslea révèle davantage quels sont les buts et les objectifs des USA au Liban. 

Washington manque de créativité lorsqu’il cherche à faire plier le Liban et une bonne partie de sa population bien nantie plutôt que de s’en prendre directement au Hezbollah ou même à son bailleur de fonds qu’est l’Iran.

Hezbollah sait bien que les USA et leurs alliés cherchent à obtenir en ces temps de paix relative ce que les guerres imposées au Liban (2006) et à la Syrie (de 2011 à aujourd’hui) n’ont pas réussi à faire pour faire plier l’échine à « l’Axe de la Résistance ». L’Axe a su montrer toute sa force en Palestine, au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen. La pression des USA sur le Liban pourrait se retourner contre eux et provoquer une situation inattendue et horrible que Washington ne serait pas prêt et disposé à affronter. Le Hezbollah envisage des moyens de répondre aux USA et à leurs alliés. Comment s’y prendra-t-il pour défendre les chiites libanais, pas nécessairement liés au Hezbollah, qui paient le prix de l’interférence des USA?

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