Qu’ont obtenu les USA de la guerre en Syrie? Un « nouveau Moyen-Orient » modelé par le « croissant de la résistance »

 

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Mots clés : USA, Russie, Syrie, Iran, Hezbollah, Turquie, Arabie saoudite Qatar, Daech, AQ

Par Elijah J. Magnier @ejmalrai  –

Traduction : Daniel G.

Les USA se préparent en vue de l’après « État islamique » (Daech), à un moment où le Levant et la Mésopotamie sont devenus méconnaissables par rapport à ce qu’ils étaient avant 2011. Aujourd’hui, la guerre par procuration touche à sa fin et les superpuissances et puissances régionales impliquées combattent en utilisant leurs propres soldats et matériel militaire. Les USA ont perdu des points importants. Leur principale crainte concernant l’influence iranienne et la menace que les mandataires de Téhéran laissent planer sur leurs alliés dans la région (les Arabes et Israël) est plus intense et plus justifiée que jamais. Le point de non-retour a été atteint. Ce qui ressort après plus de six ans de guerre, ce sont les conséquences suivantes :

1.La guerre imposée à la Syrie a entraîné la présence sans précédent des forces armées russes au cœur même du Moyen-Orient (Levant et Mésopotamie), un secteur considéré comme l’apanage des USA depuis des décennies. Washington planifiait un changement de régime en Syrie, mais est maintenant contraint de partager son influence, qu’il a même perdue complètement par endroits à l’avantage de Moscou.

2.Les analystes, les médias institutionnels et les chercheurs s’entendent pour dire que l’armée syrienne est « épuisée » et « réduite à une peau de chagrin » après six ans de guerre. Ils affirment aussi que l’armée syrienne n’a pas d’expérience des combats en zone urbaine, ni la capacité de prendre le contrôle d’une ville ou de tenir un secteur qui est sous attaque. Leur méconnaissance du terrain et leur compréhension limitée font en sorte que ces médias publient des analyses qui sont non seulement tendancieuses, mais carrément erronées. La réalité, c’est qu’il existe aujourd’hui une « nouvelle armée syrienne », qui compte en ses rangs une nouvelle génération de soldats qui se sont enrôlés pendant la guerre et qui ont pris de l’expérience en pleine tourmente sur le champ de bataille, plutôt que dans les casernes comme c’était le cas pendant les premières années de guerre. Ces soldats ont vécu toutes sortes de guerres conventionnelles et de guérilla et ont été confrontés aux batailles les plus violentes et difficiles à avoir été livrées sur le territoire syrien. Pendant les premières années de guerre, Al-Qaeda et Daech ont facilement capturé des dizaines, voire des centaines de soldats syriens, dont la décapitation était filmée sur vidéo. De plus, bon nombre de soldats et d’officiers ont fait défection dans les rangs ennemis pour éviter d’être exécutés. Le Hezbollah s’est déjà engagé dans la bataille en se déployant en masse, afin d’encourager l’armée à le suivre. Une fois un secteur conquis, on ne faisait pas confiance aux soldats laissés sur place, car ils risquaient de fuir et d’abandonner leurs positions au premier échange de tirs. Aujourd’hui, la « nouvelle armée syrienne » se tient debout et livre combat, prend des initiatives et attaque au lieu de défendre sa position en permanence. Dans de nombreuses batailles, la nouvelle armée syrienne ne voulait pas se retirer même lorsque les assaillants possédaient l’avantage du nombre. Elle a aussi appris à combattre comme ses ennemis. Le moral élevé de la nouvelle armée a amené le Hezbollah à n’envoyer que quelques officiers dans chaque bataillon, au lieu de ses propres forces en grand nombre.

3.Au cours des dernières décennies, la Syrie n’a jamais été en mesure de livrer combat contre Israël. La seule arme dont disposait le régime syrien, c’était le recours aux canaux diplomatiques comme moyen de négocier le retour des territoires occupés sur les hauteurs du Golan. Mais après plus de six ans de guerre, les gants sont tombés : le gouvernement central à Damas a appris l’art de la guerre et s’est servi de la destruction dévastatrice pour défendre une cause stratégique, amenant les politiciens à développer un état d’esprit plus belligérant en appui à la lutte pour la conquête du territoire, dont le Golan. Damas a donné son feu vert à la formation d’unités nationales populaires (sur le modèle du Hezbollah libanais) comme éventuelle « force de la résistance » contre Israël ou toute autre force (Turquie et USA) occupant le territoire, une fois que le danger wahhabo‑takfiri sera écarté.

4.La guerre en Syrie a entraîné une présence iranienne au Levant de nature différente et plus intense qu’en 1982, lorsque des milliers de militaires en provenance de Téhéran se sont déployés à la région frontalière de Zabadani, afin de soutenir le Hezbollah libanais et d’établir des camps d’entraînement à son intention, avec l’assentiment du gouvernement de Hafez al-Assad. Aujourd’hui, les Iraniens jouent un rôle essentiel dans la reprise de territoires pour le compte du gouvernement de Damas. Ils ont aussi dépensé des milliards de dollars en Syrie. Cet investissement, en plus de servir à soutenir l’armée, à payer le salaire des militaires, à acheter du pétrole, à créer des usines de fabrication d’armes et à assurer un soutien logistique à l’armée et aux forces alliées, a aussi permis de créer des usines de produits pharmaceutiques et de répondre à d’autres besoins sociaux et industriels en appui à l’économie syrienne, à un point tel que la présence iranienne s’étend à l’ensemble du territoire syrien. Tout cela est dû à la guerre. C’est que les États‑Unis avaient autorisé la CIA et les pays de la région (Arabie saoudite, Qatar et Turquie) à financer des extrémistes et à accorder un soutien militaire et non militaire sous différentes formes pour faire tomber le régime syrien. L’objectif était de faire sombrer le pays dans le chaos, de créer un État en déliquescence et d’alimenter une guerre sectaire, ouvrant ainsi la voie à des organisations terroristes qui ont déstabilisé le Levant et l’ensemble du Moyen‑Orient ultérieurement.

5.Les États-Unis se préparent en vue de l’ère post-Daech, notamment en ce qui concerne le Liban. La résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU a été de nouveau mise sur la table, avec des amendements proposés par Washington visant à élargir la mission des forces de l’ONU pour y inclure le contrôle de tous les passages frontaliers avec Israël au sud, et entre le Liban et la Syrie au nord. Cette proposition n’avait pas abouti en 2006 à l’issue de la guerre avec Israël, le Hezbollah l’ayant rejetée catégoriquement pour empêcher tout blocage éventuel de la voie d’approvisionnement militaire entre Téhéran et le Hezbollah.

Comment pourrait-il en être autrement en 2017, maintenant que le Hezbollah est beaucoup plus fort qu’en 2006, qu’il possède suffisamment d’expérience pour s’opposer à tout projet d’Israël et des USA dans la région, qu’il a été victorieux contre al-Qaeda en mettant fin à sa présence militaire au Liban (à l’exception de cellules dormantes qui sont devenues un problème de sécurité partout au Moyen-Orient et dans des pays occidentaux) et qu’il est devenu un acteur régional (il a pris part à la guerre en Irak et au Yémen).

Washington se berce d’illusions lorsqu’il tente de faire pression sur le Hezbollah, qui n’avait renoncé à rien lorsqu’il était plus faible qu’aujourd’hui, et qui n’a certainement pas l’intention de renoncer à quoi que ce soit au moment ou il ressort victorieux. Les USA ont tenté de lancer une campagne médiatique favorable à l’armée libanaise, en plus d’offrir les services de dizaines de conseillers militaires dans les casernes de la base de Riaq, dans le but d’orienter et de soutenir les batailles à venir contre Daech, dont le moment a été imposé par le Hezbollah lorsqu’il a attaqué al-Qaeda à Arsal en premier. Le Hezbollah a mis fin à la bataille d’Arsal, a expulsé tous les militants d’al-Qaeda et a pris position dans les collines qui dominent les positions de Daech, en étant prêt à quitter ces bastions stratégiques si l’armée libanaise est disposée à en assurer la protection.

La victoire du Hezbollah lors de la bataille d’Arsal a semé la confusion non seulement dans la société libanaise, en raison de l’immense soutien que lui a accordé la majorité des Libanais, mais aussi à l’ambassade des USA à Beyrouth, où les agents du renseignement qui s’y trouvent communiquent avec des politiciens libanais et leurs amis hostiles au Hezbollah, dans le but de discréditer l’organisation afin de mieux soutenir un nouveau discours anti-Hezbollah (ce qui a été confirmé par une communication qui a été interceptée). Les États-Unis tentent de démontrer que l’armée libanaise est assez forte pour libérer le territoire par ses propres moyens sans l’aide du Hezbollah, qui rendrait ainsi inutile la présence d’un Hezbollah armé par la suite, qui devrait donc rendre les armes.

Ce que Washington semble ignorer, c’est que le Hezbollah excelle aussi bien sur le plan militaire que sur la scène médiatique (il a plus de partisans que jamais au Liban), et que le chef d’État du Liban, le président Michel Aoun, ne permettra jamais que l’unité entre « l’armée – le peuple – la résistance », qui a été approuvée par le conseil des ministres en tant que fondement de l’entente nationale et qui assure la légitimité du Hezbollah comme résistance armée, ne soit mise en péril.

6.Le « projet takfiri » visant à diviser la région a échoué et est devenu un fardeau pour tout le monde. Daech et al-Qaeda subiront la défaite tant en Irak qu’en Syrie et leurs vestiges vont sans aucun doute se métamorphoser en cellules sans projet stratégique, en se bornant à recourir à des tactiques de guérilla. C’est ce qui a amené Washington et les pays de la région à cesser de tirer avantage de ces organisations (Daech et al-Qaeda à Idlib) et à abandonner le projet de « changement de régime » dont l’ex-secrétaire d’État Colin Powell avait menacé Damas lors de sa visite dans la capitale syrienne en 2003. Ce même objectif avait été repris par le président Barack Obama, mais sans donner les résultats escomptés une nouvelle fois. Cela démontre que les pays de la région ont perdu la guerre ainsi que les projets énergétiques (gaz Qatari vers l’Europe en passant par la Syrie) qui en avaient motivé plus d’un à s’impliquer dans la guerre en Syrie. Cela confirme aussi que le Moyen-Orient ne verra dorénavant plus de pays capables d’alimenter toute nouvelle guerre, après l’échec de leur tentative de morceler la Syrie et de diviser l’Irak. Sauf qu’ils sont parvenus malheureusement à détruire l’infrastructure de deux pays, à tuer des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants et à entraîner le déplacement de millions de gens, sans pour autant atteindre le moindre objectif stratégique.

7.Il est probable que les pays de la région se mobiliseront et paieront pour combattre le Hezbollah et soutenir les frappes israéliennes contre l’organisation. Sauf qu’il serait étonnant que Tel-Aviv s’engage dans une pareille aventure mal ficelée, car ce n’est plus au Hezbollah de l’an 2000 qu’il sera confronté, qui avait forcé Israël à se retirer du Liban, ni au Hezbollah de 2006, qui avait réussi à contrecarrer ses objectifs. C’est au Hezbollah de 2017 ou 2018 qu’il aura affaire, qui a acquis une expérience considérable et qui a formé des milliers de membres des forces spéciales qui ont pris part aux batailles les plus difficiles en Syrie et en Irak.

Il est vrai qu’Israël et le Hezbollah peuvent s’infliger des dommages graves de part et d’autre s’ils entrent en guerre. Les deux parties en sont d’ailleurs très conscientes. La question qui se pose est celle-ci : Combien vaut la destruction d’une ou plusieurs villes et la mort et les blessures d’un grand nombre d’Israéliens aux yeux du gouvernement de Tel-Aviv? Y a-t-il un prix équivalent? Le Hezbollah n’a pas hésité à déployer une partie de ses capacités militaires délibérément, pour qu’Israël comprenne le message (tout récemment sous la forme d’un missile de type Volcan capable de transporter 1 000 kg d’explosifs lors de la bataille contre Al-Qaeda à Arsal). En outre, il a révélé à des drones israéliens la présence de nouveaux missiles de précision à longue portée et de silos sous terre et dans les montagnes à la frontière syrienne, en laissant les Israéliens laisser libre cours à leur imagination au sujet des drones armés perfectionnés et des missiles antiaériens et antinavires en sa possession.

En Syrie, le Hezbollah a réduit sa présence sur les fronts le long de la frontière entre le Liban et la Syrie, et a mis fin à la bataille d’al-Badia (en reprenant toute la province de Suweida à l’Armée syrienne libre et al-Qaeda), afin de demeurer opérationnel dans la région rurale de Damas, à Raqqa, à al-Soukhna, à Deir Ezzor et à la frontière avec l’Irak. Son commandement a réduit la présence de ses forces permanentes en Syrie à moins de 5 000 aujourd’hui. Le Hezbollah a ainsi toute la latitude nécessaire pour répondre à une frappe aérienne israélienne sur ses convois à l’avenir, puisqu’il n’occupe plus une position précaire. Le Hezbollah mène ses opérations au sein d’une armée syrienne forte et renouvelée, en présence d’avions de chasse russes qui effectuent leurs manœuvres en parfaite synchronisation avec les forces terrestres, pendant que la diplomatie moscovite parvient avec succès à éteindre le brasier sur plusieurs fronts au nord et au sud, dans le but d’imposer un cessez-le-feu ou des zones de désescalade en Syrie.

L’Iran ne veut pas faire la guerre à Israël (malgré son opposition à l’entente Russie-USA-Israël au sud de la Syrie) ou aux États-Unis. Ce que Téhéran et ses alliés cherchent avant tout, c’est d’être considérés comme des partenaires dans la région et non plus comme des pions qui doivent assumer des coups pour se défendre. Si aucun signe de bonne volonté n’est démontré, « l’axe de la résistance » va se raffermir plus que jamais. Ni les États‑Unis, ni les pays de la région ne parviendront à obtenir en temps de paix ce qu’ils n’ont pas réussi à réaliser en six ans de guerre et en exploitant des organisations terroristes.

Washington a perdu sa domination unilatérale dans la région. Sa politique et sa volonté de changement de régimes ont amené une Russie très forte et déterminée à se rendre au Moyen‑Orient pour y rester, sans pouvoir revenir en arrière. Le « nouveau Moyen‑Orient » qui émerge n’est pas celui qu’avait conçu Condoleezza Rice, mais bien celui constitué de chaude lutte par le nouveau croissant formé de la Russie, de l’Iran, de l’Irak, de la Syrie et du Hezbollah.