Coup de semonce contre les USA à Bagdad : Haidar Abadi est-il devenu le Mohammed Morsi de l’Irak?

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Par Elijah J. Magnier (à Bagdad et Bassora): @ejmalrai

Traduction : Daniel G.

Le bras de fer entre les USA et l’Iran affecte lourdement l’Irak, un pays fragile qui n’a pas encore eu le temps de reprendre son souffle depuis son occupation par les USA en 2003. Les USA ont d’abord pris le contrôle total de la Mésopotamie, puis Al-Qaeda en Irak s’est métamorphosé en Daech, un groupe meurtrier soutenu par les pays avoisinants. Les USA ont au mieux fermé les yeux sur la montée de Daech, un cancer qui a dilapidé les coffres du pays des centaines de milliards de dollars nécessaires pour livrer la guerre contre le terrorisme. Quand Daech a perdu le tiers de l’Irak qu’il dominait en 2014, une agitation intérieure a commencé à s’intensifier dans le sud, ce qui a permis à des démagogues, les soi-disant « hyènes politiques », d’exercer leur influence sur la population dans un pays sans gouvernement.

La vraie bataille se déroule entre l’envoyé présidentiel américain Brett McGurk et le général iranien de la Force Al-Qods Qassem Soleimani, qui sont tous les deux à Bagdad à tenter d’influencer la formation d’un nouveau gouvernement irakien. Cela donne naissance à une nouvelle « résistance irakienne », mais cette fois dirigée non seulement contre les forces américaines en Irak, mais aussi contre les Irakiens qui trouvent refuge sous les ailes de Trump, à commencer par le premier ministre irakien par intérim Haidar Abadi, décrit par certains comme le « futur Mohammed Morsi de l’Irak », ce qui en dit long sur le sort qui pourrait l’attendre dans un proche avenir.

Le premier avertissement ou coup de semonce contre l’ingérence des USA dans la politique irakienne a pris la forme de roquettes lancées par des mains expertes contre la « zone verte », pas loin de l’ambassade des USA dans la capitale irakienne. Ces roquettes tombées sur un terrain abandonné ne visaient pas à faire des victimes, mais à transmettre ce message direct aux Américains : « Touchez pas à l’Irak », comme l’a affirmé un décideur au sein de la « résistance irakienne ».

Pendant ce temps, la situation à Bassora donne l’occasion à Sayyed Moqtada al-Sadr de démontrer sa capacité de contrôler totalement l’agitation dans les rues du sud irakien, une capacité qu’il a héritée de son défunt père et qui lui a servi à plusieurs reprises par le passé.

Il est clair qu’aucun autre leader politique irakien ne peut actuellement contrôler la rue irakienne comme Moqtada est capable de le faire. Cependant, ses réactions impulsives pour le prouver ne reposent sur aucun objectif stratégique et ne font que semer la terreur parmi les politiciens, aussi bien parmi ses alliés que ses opposants.

Dans les années 2000, quand le bureau d’al-Sadr a été incendié, Moqtada a ordonné, selon un des membres de son cercle restreint, de mettre le feu à tous les bureaux de l’Organisation BADR (qui était et est toujours dirigée par Hadi al-Ameri) dans le sud de l’Irak. Sans avouer sa responsabilité derrière ce genre d’attaques, Moqtada ne rate jamais l’occasion de montrer ce que ses émeutiers sont capables de faire. Malgré le fait que son rôle derrière ces attaques n’est pas un secret, il tire avantage de la retenue des autres groupes chiites peu disposés à s’opposer à lui par crainte d’une lutte entre chiites en Irak.

L’incendie de l’immeuble municipal à Bassora il y a quelques jours était la réaction d’une foule en colère qui veut subvenir aux besoins de base auxquels elle a droit (eau potable, électricité, possibilités d’emploi, infrastructure) et dont elle se passe depuis plus de trente ans. À deux reprises par le passé, les bureaux d’opposants politiques de Moqtada ont été incendiés. Cette fois-ci, le feu a été mis aux locaux à Bassora de groupes qui ont combattu et défait Daech comme Asaïb Ahl al-Haq, Kataeb Hezbollah, BADR, Sayyed al-Shuhada’ et Fadila. L’incendie de l’immeuble municipal semble avoir été une réaction spontanée, mais l’on croit que les autres incendies criminels ont été perpétrés sous les ordres de Moqtada.

« Sayyed wa’Ibn al-Sayyed » (Moqtada, fils de Mohammed al-Sadr), comme ses partisans l’appellent, croit à tort qu’il peut défaire en même temps tous les groupes qui s’opposent à lui, tout simplement parce qu’ils n’ont pas envie de s’engager dans une guerre entre chiites (comme au Liban dans les années 1980 entre le Hezbollah et le mouvement « Amal »). Il s’attend à ce qu’ils acceptent les dommages matériels et moraux sans coup férir, en le laissant se pavaner comme un paon.

Dans son dernier communiqué, Moqtada a averti tous les partis de « s’abstenir de toute ingérence et de laisser les forces de sécurité répondre au soulèvement à Bassora », en ajoutant « j’agirai contre toute attente ». Ce que Moqtada veut dire par là, c’est « ce que je compte faire, personne ne s’y attend! Vous serez tous surpris! »

Moqtada ne se considère évidemment pas comme comptant parmi ces partis non officiels. C’est qu’il se croit le fer de lance des demandes du peuple tout en continuant de se la couler douce, lui et ses lieutenants, à Nadjaf.

Il a contracté une alliance confuse avec Haidar Abadi, le candidat des USA. C’est pourtant ce même Moqtada qui a combattu pendant des années les forces américaines en Irak, en croyant qu’elles cherchaient à l’assassiner (il s’est enfui en Iran pour cette raison), et qui a appelé au retrait de toutes les forces étrangères de l’Irak.

Selon un leader de la résistance irakienne, Abadi a bien des chances de « finir en prison comme le président égyptien Mohammed Morsi, pour avoir collaboré avec les ennemis de l’Irak ».

« On ne peut exclure que la résistance décide de prendre la situation en main en Irak contre un premier ministre par intérim qui tient à garder le pouvoir avec le soutien et l’encouragement des USA. Même les députés qui appuient les USA risquent de perdre leur immunité s’ils sont perçus comme agissant contre leur pays en faveur de l’occupant. Aucune base américaine ne sera permise en Irak et aucun premier ministre n’aura le droit d’autoriser quelque force étrangère que ce soit dicter ses politiques en Irak », a déclaré ce leader bien connu, qui a demandé à conserver l’anonymat.

En référence à l’affirmation selon laquelle l’Iran a livré des missiles balistiques aux Hachd al-Chaabi, la source a affirmé que « c’est le style propre aux USA de faire des allégations pour justifier une agression à venir contre les Hachd et les groupes qui ont combattu Daech. Israël, avec le soutien des USA, a déjà bombardé le QG des Hachd une fois. La résistance irakienne répondra à toute agression à venir en attaquant les bases américaines en Irak. Nous n’avons pas besoin de missiles balistiques pour chasser l’occupant de l’Irak ».

Il n’en demeure pas moins qu’une instabilité politique ou une guerre civile en Irak avantagerait davantage les USA que l’Iran. Bien des leaders irakiens en sont conscients. Il est ainsi difficile de voir comment le camp anti-USA peut arriver à déjouer la tentative américaine d’asseoir leur homme sur le siège de premier ministre tout en essayant de limiter les dégâts, ce qui est absolument essentiel.

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