C’en est fait de Mohammad Allawi. Les perspectives de nomination d’un nouveau PM en Irak sont plutôt sombres.

Par Elijah J. Magnier: @ejmalrai

Traduction : Daniel G.

C’en est fait du premier ministre élu Mohammad Allawi, faute d’un quorum parlementaire. La sélection de son nouveau cabinet, sa mauvaise gestion dans ses échanges avec les divers partis politiques et son attitude condescendante, notamment envers les sunnites et les Kurdes, lui ont valu l’appui de seulement 108 députés du parlement dimanche dernier. Il lui fallait l’appui de 165 députés sur 329 pour occuper la fonction de premier ministre.

La plus grande erreur d’Allawi, c’est d’avoir compté sur le soutien de Sayyed Moqtada al-Sadr, qui avait proposé sa nomination dès le départ. L’appui de Moqtada a rendu Allawi trop confiant. Il a omis de s’engager avec les autres partis politiques, en croyant que le soutien de Moqtada lui suffisait pour gouverner. Il est vrai que Sayyed Moqtada avait été mis à la tête des groupes irakiens à la suite de l’assassinat, par des drones US, du brigadier général iranien Qassem Soleimani et du commandant iranien Abou Mahdi al-Muhandes et leurs compagnons. Les dirigeants en Iran et en Irak ont alors reconnu le leadership de Moqtada afin d’unifier les chiites irakiens. Allawi était alors le choix de Moqtada, un choix que la majorité des groupes chiites ont accepté à ce moment-là.

La rue irakienne était alors en ébullition et se soulevait contre la corruption, l’incompétence des dirigeants politiques qui se partagent le pouvoir entre eux, et l’absence de possibilités d’emploi et de services publics. Sayyed Moqtada s’est joint à la foule, en essayant d’utiliser le mouvement de protestation dans la rue comme s’il en était le leader et l’instigateur. 

La réalité est différente. Par le passé, lorsque Nouri al-Maliki, Haidar Abadi et Adel Abdel Mahdi gouvernaient en Irak, le passe-temps favori de Sayyed Moqtada consistait à lancer des appels à la manifestation réunissant un million d’hommes à son endroit de prédilection, la zone verte de Bagdad. Moqtada voulait montrer le soutien public dont il jouissait au premier ministre au pouvoir, aux missions étrangères et aux quartiers généraux du gouvernement. Moqtada a joué à ce petit jeu régulièrement, notamment à la dernière élection, lorsque le professeur Cheikh Ali Smeism, un des dirigeants sadristes, veillait à la gestion de la campagne électorale de Moqtada. Il a alors pu obtenir le soutien de nombreux groupes et faire élire 53 députés au parlement. 

Pendant la présidence d’Adel Abdul Mahdi au conseil des ministres, la Marjaya à Nadjaf espérait que Moqtada al-Sadr permettrait au nouveau premier ministre de gouverner sans protestations majeures dans la zone verte pendant au moins un an. Sayyed Moqtada a renié sa promesse après quelques mois, en lançant un appel à la manifestation contre Abdel Mahdi dans la zone verte. Sauf que ces démonstrations de force se sont depuis retournées contre Moqtada. C’est qu’il fait maintenant partie du système et compte le plus grand nombre de députés, ministres, directeurs généraux et ambassadeurs. Résultat : les gens dans la rue ne sont plus contrôlés par Moqtada et exigent que tous les dirigeants politiques cessent d’imposer leur volonté au cabinet et de se diviser le pouvoir entre eux. 

Moqtada al-Sadr et son groupe appelé « les casques bleus » étaient derrière les attaques contre les protestataires tout en assurant leur « protection ». Personne en Irak à part Sayyed Moqtada n’ose manifester devant des édifices gouvernementaux ou s’en prendre à de grands partis chiites puissants. Ce n’est pas parce que son organisation est la plus influente, mais parce qu’aucune considération religieuse ou nationale ne le gêne comme les autres partis chiites. C’est ce qui explique pourquoi tous les groupes ont tenté d’éviter tout affrontement avec Sayyed Moqtada dans les premières années suivant l’occupation de l’Irak par les USA. La situation a changé depuis, car de nombreux groupes chiites sont aujourd’hui bien équipés et armés. Mais ils préfèrent quand même ne pas s’en prendre à Moqtada, même s’il n’est plus autant craint que par le passé. Les Irakiens l’appellent « le surfer ».

Quand le major général Soleimani (qui n’avait pas de bonnes relations avec l’instable Moqtada) a été tué, les dirigeants iraniens ont fait croire à Moqtada qu’il était le « rahbar » (leader) de l’Irak pour apaiser son humeur fluctuante. Moqtada a aussitôt fait de proposer Muhammad Allawi à la tête du gouvernement. La plupart des partis chiites ont alors accepté de soutenir Allawi. Cependant, les problèmes ont commencé quand Allawi s’est gardé de consulter les principaux partis (sunnites et kurdes) en formant son cabinet. Il a également tenu à l’écart d’autres organisations chiites faisant partie de la coalition de la Conquête (Al-Fateh), parce que Hadi al-Amiri lui avait promis son soutien sans réserve. 

Allawi n’a pas tenu compte du fait que Al-Sadr a perdu beaucoup de son prestige et que les gens et les groupes ne craignent plus de lui tenir tête ou d’être en désaccord avec lui. De plus, Al-Ameri ne contrôle pas Al-Fateh (ni même l’organisation Badr). Al-Amiri est un président honoraire, respecté en partie pour sa lutte contre Saddam Hussein.

En obtenant le soutien d’al-Ameri et d’al-Sadr, Allawi a cru à tort qu’il n’avait besoin de personne d’autre. Sadr a dit à Allawi qu’il amènerait tous les représentants du peuple de force au parlement pour lui accorder sa légitimité. Allawi a ignoré les requêtes des partis sunnites et kurdes en les traitant avec condescendance. Il a aussi irrité Nouri Al-Maliki, Faleh Al-Fayyad et d’autres partis chiites.

Allawi a présenté son cabinet à tout le monde sans consulter personne et sans avoir communiqué avec les partis politiques, ce qui lui a fait perdre son soutien politique. Allawi a ignoré les manifestants, qui voudraient voir des ministres plus jeunes qui comprennent leur situation et qui ne résident pas à l’extérieur de l’Irak. Muqtada n’a jamais misé sur un cheval perdant, même si c’est lui qui l’a choisi. En ne comptant sur le soutien que de deux seules personnes (Al-Ameri et Al-Sadr), Allawi n’a pas fait le consensus même parmi les chiites.

La chasse au nouveau candidat est aujourd’hui ouverte. Des noms comme celui d’Abdel-Wahab Al-Saadi sont mentionnés. Ce dernier a acquis une grande popularité par ses combats contre Daech en tant que chef de la « Golden Division » pendant la libération de l’Irak. Cependant, al-Saadi n’a aucune chance parce qu’il est un militaire et que les politiciens irakiens ont promis de ne soutenir la candidature d’aucun militaire au poste de premier ministre. 

D’autres noms sont également proposés, dont Mustafa al-Kazimi (chef du renseignement), Ahmed al-Asadi et Muhammad al-Daradji, mais ils ne sont pas les seuls sur la liste. Moqtada Al-Sadr n’a toutefois encore proposé personne.

Quant à la Marjaya à Nadjaf, elle gardera le silence, parce qu’il est certain qu’il n’y aura aucun espoir de meilleure gouvernance tant que le principe du quota (qui mine aussi la politique libanaise) prévaudra en Irak. Les demandes de la rue ne peuvent changer la mentalité de ceux qui exercent le pouvoir, les partis politiques qui contrôlent la Chambre des représentants. Une élection parlementaire anticipée serait la solution.

Ce ne sera pas facile pour l’Irak d’atteindre une stabilité politique. Il y a un manque de consensus dans la population irakienne et de volonté apparent à se lever pour imposer le retrait des forces US de l’Irak. Les USA ont demandé un délai de 14 mois avant leur retrait. Cette demande a été rejetée en attendant la formation d’un nouveau gouvernement. À partir d’aujourd’hui, le président Barham Saleh a 15 jours pour nommer un nouveau candidat. 

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