
Par Elijah J. Magnier
Traduction : Daniel G.
Le premier ministre israélien Yair Lapid avait l’intention de montrer qu’il ne pouvait pas supporter l’insulte à « l’épée de Jérusalem » infligée l’an dernier à son adversaire politique, l’ancien premier ministre Benyamin Netanyahou. Lapid a commencé son court mandat en tuant des commandants du « Djihad islamique palestinien » (DIP) sur le terrain et en créant des conditions électorales propices pour les prochaines élections à la Knesset. Par la suite, il a estimé qu’il était improductif et dommageable de poursuivre la bataille qu’il avait initialement déclenchée, par crainte des pertes qu’elle pourrait infliger à son parti et aux Israéliens. Israël considère qu’il a atteint de nombreux objectifs et qu’il ne sera pas lésé en faisant des promesses aux médiateurs régionaux et internationaux pour arrêter la bataille, d’autant plus qu’il ne respecte pas ses accords ou ses engagements.
Israël n’a pas erré dans son évaluation en défiant le DIP sur le champ de bataille pour montrer qu’il ne craint pas la guerre, alors qu’il se prépare à faire des concessions au Hezbollah libanais. Mais le premier ministre israélien a négligé un angle critique : Israël, qui se considère comme possédant la meilleure et la plus puissante armée du Moyen-Orient, dotée de vastes capacités militaires et technologiques, a exprimé ce faisant sa crainte de voir le Hamas s’impliquer, qu’il est prêt à se battre contre une petite organisation qu’il n’a même pas réussi à paralyser après presque trois jours de combat.
Quels ont été les gains et les pertes d’Israël et du « DJihad islamique palestinien »?
La bataille d’Israël contre le DIP à Gaza a fait 43 morts, dont 16 enfants, et 320 blessés. Israël a réussi à garder le mouvement Hamas et sa puissance militaire considérable hors de la bataille contre le DIP pour éviter une guerre totale avec plus d’un groupe palestinien en tuant des dirigeants de haut rang du DIP. Les dirigeants du Hamas avaient le choix entre une guerre ouverte en intervenant ou une petite bataille peu coûteuse pour la bande de Gaza, contrairement à 2021 pendant les onze jours de la bataille de « l’épée de Jérusalem ». Israël est conscient que Gaza ne s’est pas remis de la dernière guerre, que la sécurité alimentaire et sanitaire est au plus bas, que les infrastructures ont été endommagées, que les logements détruits n’ont pas encore été entièrement construits (seulement 50 %), et que le taux de chômage a atteint 65%.
Par conséquent, Israël se croit tactiquement victorieux, en ayant mis fin à la bataille en quelques jours seulement pour éviter de nouvelles pertes humaines ou matérielles. Si la guerre s’était prolongée, l’économie israélienne aurait beaucoup souffert et des millions d’Israéliens proches de la bande de Gaza auraient passé plus de jours dans leurs abris. La bande de Gaza a subi des centaines de tirs de roquettes au cours des derniers jours. Les roquettes du Djihad islamique ont transformé la zone à l’intérieur d’un rayon de 65 km en villes fantômes et ont forcé ses habitants à fuir. Israël a déclaré qu’il ne pouvait pas protéger les colonies et a ordonné aux habitants d’évacuer leurs maisons.
Israël a pris l’initiative de lancer l’agression. Il a assassiné les chefs du DIP responsables du commandement militaire au nord (Taysir al-Jaabari) et au sud (Khaled Mansour) de la bande de Gaza. Israël croyait que le DIP serait incapable de supporter une frappe douloureuse et qu’il hésiterait à répondre militairement. Néanmoins, après 55 heures de combat, Israël a montré des signes de faiblesse et son manque de préparation pour soutenir une longue bataille et s’est empressé de demander une trêve à l’Égypte, au Qatar et aux Nations unies.
Israël a épuisé sa banque de cibles et n’avait plus d’objectifs à frapper dès le premier jour de la bataille, n’ayant pas réussi à détruire le centre de commandement et de contrôle du DIP et ne voulant pas provoquer le Hamas en visant d’autres objectifs que le DIP. Il est de notoriété publique que la politique d’assassinat n’a jamais réussi à paralyser quelque groupe de résistance que ce soit. Il était donc dans l’intérêt du premier ministre israélien de mettre fin à la bataille et de faire des promesses au médiateur égyptien, même si Tel-Aviv est réputé pour ne pas les tenir.
Quelques jours avant le début de la bataille, l’Égypte négociait déjà avec Israël et le DIP afin de lever le siège de Gaza et d’apaiser les tensions consécutives à l’enlèvement du chef du DIP, le cheikh Ghassan al-Saadi, dans le camp de Jénine en début de semaine dernière. Au cours des négociations, Israël a trompé l’Égypte en assassinant al-Jaabari, déclenchant ainsi les représailles du DIP.
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Israël a peu de considération pour les habitants de la bande de Gaza. Il croit qu’elle est constituée d’un ensemble de camps de réfugiés palestiniens qu’il est facile d’isoler et de cibler, en tuant les chefs de la résistance palestinienne pour briser leur volonté et en affamant la population s’il le faut. Par conséquent, Tel-Aviv méprise la bande de Gaza, mais est heureux de coordonner son action avec l’Autorité palestinienne en Cisjordanie, avec laquelle il entretient des relations relativement stables.
Le président palestinien Mahmoud Abbas s’oppose fermement à la résistance armée palestinienne et coopère avec Israël sur le plan de la sécurité, en rejetant l’unité palestinienne avec Gaza ou la tenue de nouvelles élections qui lui ferait perdre le pouvoir qu’il détient depuis 17 ans. L’Autorité palestinienne n’a jamais récupéré un centimètre de son territoire depuis le sommet de Madrid ou les accords d’Oslo. Au contraire, Israël ronge lentement de nouveaux territoires palestiniens en Cisjordanie et à Jérusalem.
Les violations israéliennes répétées et continues des droits de la personne et du droit international n’auraient pas été possibles sans le soutien inconditionnel de l’Occident et le discours repris sans cesse par les dirigeants occidentaux selon lequel Tel-Aviv « a le droit de se défendre ». Les pays occidentaux fournissent une aide matérielle, militaire et de renseignement sans réserve à Israël, en lui permettant d’isoler des millions de personnes à l’intérieur de la bande de Gaza et de s’accaparer de terres pour construire des colonies illégales sans opposition. Ils aident ainsi les dirigeants de Tel-Aviv à faire fi des droits des Palestiniens et à les assiéger par terre, air et mer. Israël boucle les deux seuls points de passage depuis et vers Gaza au bon vouloir des dirigeants politiques israéliens. Tel-Aviv recourt à la médiation lorsqu’il est en difficulté et qu’il ne parvient pas à enregistrer une victoire rapide dont les dirigeants israéliens ont besoin pour leurs élections ou pour soutenir leur popularité au détriment des vies palestiniennes.
La dernière bataille livrée par Israël a attiré une partie de l’attention du monde pendant que l’Occident était préoccupé par la guerre contre la Russie et se préparait à une autre bataille avec la Chine. Israël pourrait également vouloir transmettre un message en lien avec l’accord sur le nucléaire iranien, considéré comme inadapté et contraire aux intérêts israéliens. Israël espère avoir porté un coup au « Djihad islamique » allié de l’Iran, pour indiquer à l’Occident qu’il est possible d’affaiblir Téhéran sans se soumettre à lui par crainte de la poursuite de son programme nucléaire. N’empêche que la bataille a renforcé le DIP qui a affronté Israël sans le Hamas et a augmenté sa popularité à Gaza. L’Iran a d’ailleurs reçu le secrétaire général du DIP Ziad al-Nakhala quelques jours avant l’assassinat de Taysir al-Jaabari, son commandant sur le terrain à Gaza,.
Enfin, les dirigeants actuels d’Israël ont montré à leurs électeurs qu’ils n’hésitent pas à s’engager dans une bataille avantageuse pour la sécurité nationale, même si l’assassinat d’al-Jaabari a très peu modifié les capacités du DIP. Par conséquent, l’acceptation d’une entente avec le Liban par crainte de la menace du puissant Hezbollah (équipé de 150 000 missiles et de drones armés) ne signifie pas que les dirigeants israéliens sont lâches. Il s’agirait plutôt d’une évaluation de la situation sans incidence sur les intérêts d’Israël, surtout si la guerre est évitée, à condition que toute décision du gouvernement israélien ne semble pas découler de la réticence des responsables israéliens à affronter le Hezbollah.
Quant au Djihad islamique, il a établi que, malgré sa petite taille, il pouvait lancer 330 missiles par jour (360 étaient lancés quotidiennement pendant l’affrontement de l’année dernière par tous les groupes palestiniens, y compris le Hamas) et paralyser Israël pendant des jours. Le DIP a frappé la conscience israélienne en lui inculquant que rester en territoire occupé n’est pas de tout repos et que ce territoire appelé Palestine n’est pas un lieu où il fait bon vivre.
Les missiles du DIP ont fait comprendre aux Israéliens qu’aucun endroit n’est sûr, même pour la prochaine génération. L’affirmation d’Israël selon laquelle il a rétabli la dissuasion après la bataille de « l’épée de Jérusalem » a confirmé son incapacité à protéger les colons, même après soixante-dix ans d’occupation. Le DIP a réussi à lever le siège et les sanctions contre Gaza et à ouvrir ses points de passage, rétablissant ainsi l’entrée de carburant.
La résistance palestinienne a montré que la cause palestinienne ne se limite pas à Gaza, qu’elle a une dimension nationale. Le DIP a demandé la libération du prisonnier Khalil Al-Awadeh (de Cisjordanie), confirmant le lien qui unit tous les fronts palestiniens. Il a également demandé à Israël de libérer le cheikh Ghassan al-Saadi, un membre du DIP arrêté dans le camp palestinien de Jénine alors que l’Egypte négociait une trêve entre Israël et le DIP.
Ainsi, Israël s’est tourné vers les médiateurs pour mettre fin à un affrontement militaire contre une petite faction. Les ennemis et les alliés d’Israël observent et évaluent le niveau atteint par Israël par rapport à ses ennemis, qui oseront le défier à l’avenir. Cela confirme qu’Israël est une société construite sur une armée qui préfère la guerre et le combat à la paix, et le vol des terres palestiniennes à la coexistence. Tuer des civils continuellement est autorisé parce que la communauté internationale est complice et inconsciente. Cette bataille fait partie de celles qui se terminent tôt ou tard par un cessez-le-feu (mais pas par une paix durable) jusqu’au moment de la prochaine bataille. Les performances militaires d’Israël indiquent qu’une guerre contre le Hezbollah est peu probable et qu’une guerre contre l’Iran est impensable. La fragilité du front intérieur israélien empêche Israël d’affronter un ennemi puissant à tout moment dans le futur.
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