Par Elijah J. Magnier
Traduction : Daniel G.Ces dernières semaines, la Russie a été victime d’un attentat terroriste en plein cœur de Moscou lorsqu’une bombe a explosé sous la voiture de Darya Dugina, tuant la fille du philosophe russe Alexandre Dugin, supposément proche du président russe Vladimir Poutine. Les agents des services de renseignement américains ont affirmé que des éléments des forces de sécurité ukrainiennes étaient derrière l’attaque terroriste et avaient autorisé l’assassinat. Quelques semaines plus tard, le gazoduc russe qui approvisionne l’Europe en gaz et passe sous la mer Baltique dans une zone surveillée de près par les forces de l’OTAN a explosé à différents endroits. Le président américain Joe Biden avait déjà annoncé qu’il pouvait « mettre fin à Nord Stream 2 ».
Les conséquences des explosions dans le gazoduc sont favorables à la politique des USA, en ce sens qu’elles ferment la porte aux dirigeants européens qui auraient pu flancher face à la grogne populaire en envisageant le retour de l’acheminement de gaz russe vers le continent, étant donné la forte inflation et la hausse des prix de l’énergie. La Russie pourrait reprendre ses livraisons de gaz à l’Europe si elle est partie prenante à l’enquête sur les explosions. Mais la réparation des lignes sabotées ne vaudra la peine que si l’Europe souhaite rétablir l’acheminement de gaz vers le continent, ce qui est peu probable, à moins que Moscou se montre plus déterminé à gagner la guerre rapidement et que les USA et leurs alliés acceptent leur défaite.
En outre, la semaine dernière, un camion contenant des explosifs a explosé sur le pont reliant la Crimée à la Russie à un moment parfaitement organisé, qui coïncidait avec le passage d’un train d’approvisionnement des forces russes au sud de l’Ukraine. La communauté internationale n’a jamais condamné cette attaque terroriste, mais des sources de renseignement américaines et ukrainiennes ont affirmé que l’Ukraine était derrière l’attaque. La Russie a répondu en bombardant des cibles sélectives dans plus de vingt villes ukrainiennes, rétablissant ainsi l’équilibre moral sur le champ de bataille et dans les médias sociaux parmi les partisans anti-américains.
Ces frappes tactiques sont-elles vraiment un coup dur pour les dirigeants russes qui tentent de l’emporter contre les USA et l’OTAN en Ukraine, comme l’Occident le présente? Quelles sont les pertes globales? Qui a le dessus jusqu’à maintenant?
La Première Guerre mondiale n’a pas été déclenchée par un Serbe qui a assassiné l’archiduc d’Autriche en 1914. La guerre était la réponse à l’inévitable défi que représentait l’Allemagne pour la Grande-Bretagne et à la montée du nationalisme en Europe. En Ukraine, la guerre n’a pas été déclenchée par l’attaque de la Russie le 22 février. Elle repose sur de nombreuses raisons qui s’étalent sur plus d’une décennie maintenant. Les promesses verbales américaines non tenues envers Moscou après la chute de l’Union soviétique; l’expansion de l’OTAN et la préparation des USA en vue d’un futur soulèvement de la Russie; la crainte d’une unité entre la Chine et la Russie remettant en cause « ‘l’ordre occidental » américain; l’influence et la solidarité croissantes des pays asiatiques; la richesse économique accumulée par la Russie ces dernières décennies grâce à la vente de ses ressources naturelles à un prix attrayant; l’effet du coût du gaz russe sur la vente de gaz liquéfié américain vendu à prix fort; les échanges commerciaux colossaux qui étaient en pleine croissance entre l’Europe et la Russie; le réveil de l’ours russe en 2015 pendant la guerre en Syrie pour défendre son accès aux eaux chaudes de la Méditerranée; la reconfirmation de l’hégémonie américaine sur l’Europe en réaction à son projet de se doter de sa propre armée et de se détacher d’une « OTAN cliniquement morte ».
L’Ukraine, le pays le plus corrompu d’Europe, a été choisie comme le meilleur théâtre de guerre américain pour sa loyauté envers Washington et sa volonté de jouer le rôle le plus crucial en affrontant directement la Russie, quelles qu’en soient les conséquences. Kiev est prêt à offrir le pays et ses habitants pour combattre la Russie dans une guerre par procuration. Les États-Unis n’auraient rien pu faire contre la Russie sans l’esprit de sacrifice de l’Ukraine.
Cet objectif américain a été soigneusement planifié depuis le coup d’État de Maidan en 2014, lorsque Washington s’est chargé de désigner les futurs dirigeants ukrainiens, au mépris de l’intérêt et du bien-être de l’UE. Ce n’est pas en février 2022, mais bien en 2015 sous l’administration Obama que les USA et l’OTAN ont commencé à former l’armée ukrainienne pour affronter la Russie. L’administration américaine actuelle a déclaré officiellement vouloir intégrer l’Ukraine avec des dommages mineurs, mais elle se prépare à la guerre depuis longtemps. Mais qui sème le vent récolte la tempête et Biden a obtenu ce qui était souhaité.
Certaines personnes en Occident résistent à l’idée que la guerre en cours en Ukraine oppose Washington et la Russie. Cependant, un général quatre étoiles, Jack Keane (ancien vice-chef d’état-major de l’armée américaine), a déclaré que « les États-Unis ont investi 66 milliards de dollars dans le régime de Kiev, une somme relativement faible, qui a contribué à armer l’Ukraine et à motiver le public en faveur d’une guerre contre la Russie. Le jeu en vaut la chandelle. Ce n’est pas nous (les soldats américains) qui nous battons, mais l’Ukraine qui le fait (en notre nom) ».
Le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, a déclaré pour sa part que son pays, de pair avec plus de quarante pays (pas seulement les alliés de l’OTAN), ont mis sur pied un groupe de contact à la base aérienne américaine de Ramstein, en Allemagne, « pour exprimer leur engagement et intensifier le soutien à l’Ukraine ».
Les États-Unis ont été la force motrice avant tous les pays européens et occidentaux en livrant des armes, en offrant un soutien en matière de renseignement et en déployant des « forces spéciales américaines et alliées » sur le terrain en Ukraine. De nombreux autres éléments confirment que les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN sont directement impliqués dans une guerre par procuration visant à affaiblir la Russie et à surpasser la succession du président Vladimir Poutine en investissant plus de 200 millions de dollars par jour pour atteindre leur objectif. L’Ukraine s’est simplement portée volontaire comme théâtre d’opérations pour défendre « l’ordre mondial de sécurité internationale » (en fait, l’hégémonie américaine), comme l’a déclaré le général Mark Milley, président du chef d’état-major interarmées.
Jusqu’à présent, les États-Unis ont eu du succès sur plusieurs plans d’ordre militaire et économique et ont engrangé d’énormes bénéfices de la guerre contre la Russie en Ukraine. Ils ont réussi à relancer l’OTAN, à suspendre le Nord Stream 1, à vendre leur gaz à fort prix, à briser la relation financière russo-européenne et à pousser l’Europe à livrer des armes en Ukraine pour confirmer l’engagement militaire du continent. Tout cela constitue une formidable réussite pour les États-Unis dans une guerre qui tue des dizaines de milliers de soldats ukrainiens mais aucun Américain.
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Cependant, des dommages se font sentir sur le plan intérieur : les réserves pétrolières américaines sont mises à contribution, les prix des denrées alimentaires et de l’essence augmentent et les deux tiers du monde rejettent l’hégémonie américaine, en attendant le résultat de l’affrontement. Mais les États-Unis tirent avantage des dommages économiques et énergétiques que subit l’Europe. L’Europe achète du gaz américain plus cher et l’appauvrissement de l’industrie européenne en raison des circonstances de la guerre l’élimine comme concurrent de l’industrie américaine. Le bien-être de l’Europe n’est certainement pas la priorité absolue des États-Unis dans la guerre en cours en Ukraine. Mais de nombreux dirigeants européens ont accepté d’être sous la domination et le leadership des États-Unis pour les années à venir.
Ces derniers mois, les États-Unis et leurs alliés se sont réunis sur la base aérienne américaine de Ramstein, en Allemagne, où ils ont planifié la reconquête par l’armée ukrainienne de milliers de kilomètres carrés dans la province septentrionale de Kharkiv. Ils ont également ralenti l’avancée russe à Zaporijjia et Kherson. La Russie contrôle plus de la moitié de ces deux régions qui, à la suite d’un référendum touchant quatre provinces, ont été déclarées comme faisant partie du territoire russe. En outre, les forces ukrainiennes ont repris la ville de Lyman, dans la province de Donetsk, lors d’une contre-offensive fructueuse.
Les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN provoquent délibérément le président Poutine à utiliser des armes plus meurtrières pour l’accuser de nouvelles brutalités. C’est ainsi que l’Occident a justifié le soutien militaire et financier croissant de l’Ukraine alors que les pays membres de l’UE étaient en proie à des difficultés financières. Les États-Unis visent à répandre la crainte parmi la population européenne en affirmant que la Russie a l’ambition d’étendre son contrôle à d’autres pays européens après l’Ukraine. L’autre objectif des États-Unis est d’embarrasser Poutine sur le plan intérieur et de lui faire perdre sa popularité auprès des bellicistes qui veulent que la Russie gagne à tout prix et détruise l’Ukraine.
L’objectif final de l’Occident est de voir la Russie s’enfoncer davantage dans le bourbier ukrainien pour mieux détruire son économie ou parvenir à un changement de régime. Le but ultime des États-Unis est de s’assurer que l’Europe croit que la Russie doit être arrêtée en Ukraine avant qu’elle n’étende son contrôle sur le continent. Pour sa part, la Russie a besoin de financement européen pour permettre à l’Europe de prospérer et d’acheter davantage de gaz et d’autres matières naturelles (lithium, nickel, engrais), et ne souhaite pas appauvrir l’UE à dessein.
Qu’a obtenu la Russie de plus que les États-Unis?
En Russie, l’ancien officier du KGB et actuel président Poutine a annoncé que « les services de renseignement ukrainiens étaient derrière les attaques terroristes ». Cependant, un haut fonctionnaire de l’UE à Bruxelles a déclaré ceci : « Poutine comprend quel service de renseignement a les capacités nécessaires pour mener des attaques similaires, en disposant de sources de renseignements sur le terrain et de la technicité nécessaire pour lancer ce genre de messages à la Russie. Depuis 2014 et surtout depuis le début de la guerre, rien ne s’est passé en Ukraine sans recevoir l’aval des responsables américains directement impliqués à Kiev. »
Moscou a accusé les services de renseignement ukrainiens du sabotage et de l’attaque terroriste sur le pont. Cependant, il est peu probable que les services de renseignement occidentaux n’aient pas été impliqués, au moins la CIA, lorsqu’on sait que les États-Unis font pleuvoir des milliards de dollars pour « conquérir » les responsables politiques et militaires de Kiev depuis 2014.
Si ce que le fonctionnaire européen a dit s’avère, Poutine sait qui est le véritable responsable, mais il a voulu envoyer un message aux États-Unis en disant qu’il accepte que l’Ukraine soit le champ de bataille et qu’il rend l’Ukraine responsable des sabotages et des attaques terroristes. Le président russe est conscient des règles d’engagement et sait qu’une guerre l’opposant directement aux États-Unis et à l’OTAN serait destructrice pour la population mondiale. Il est donc dans l’intérêt général de contenir la guerre entre les deux superpuissances sur un seul théâtre. Cependant, les frappes tactiques et les frappes des services de renseignement font partie de cette guerre, car la victoire revient à ceux qui l’emportent à la fin de la bataille et qui ont le dernier mot.
Il ne fait aucun doute que ces frappes prétendument ukrainiennes donnent des munitions aux nationalistes russes, qui exigent une guerre plus violente et des frappes plus dures contre la guerre par procuration que les États-Unis et l’OTAN livrent à la Russie en Ukraine. La guerre sociale et médiatique est tout aussi essentielle que celle sur le champ de bataille. L’Occident gagnera la guerre sur les médias sociaux et auprès du grand public tant que la Russie ne fera pas une démonstration de force sur le champ de bataille et ne ripostera pas en faisant étalage de sa puissance.
C’est précisément ce que le président Poutine a fait ces derniers jours contre Kiev et d’autres villes ukrainiennes pour remonter le moral de tous les courants anti-américains. La retenue de Poutine aurait été perçue comme une faiblesse par l’Occident et le Kremlin et comme une victoire des États-Unis. La réponse de la Russie consistant à bombarder des cibles sélectives dans de nombreuses villes ukrainiennes a un objectif de dissuasion pour arrêter les différents services de renseignement dirigés par les États-Unis et empêcher leur guerre invisible de mettre la Russie dans l’embarras. Sinon, le prix à payer serait très lourd.
Mais la Russie a enregistré plusieurs gains stratégiques que l’Occident minimise ou met de côté. Les conséquences des sanctions occidentales frappent les États-Unis et leurs alliés. Le président Joe Biden est en colère contre l’Arabie saoudite pour avoir approuvé, lors de la réunion de l’OPEP+, une réduction de la production de pétrole de deux millions de barils par jour afin de protéger les revenus pétroliers de 23 pays qui ont décidé d’ignorer la demande américaine. Biden souhaitait que l’OPEP+ maintienne une production élevée de pétrole pour réduire les prix et pour éviter que de nombreux pays reprochent aux États-Unis leurs sanctions à l’encontre de la Russie, l’un des plus grands producteurs d’énergie au monde. À l’approche de son mi-mandat, Biden tente d’enregistrer une victoire substantielle en Ukraine contre la Russie avant les élections au Congrès. Jusqu’à présent, l’économie russe survit, ce qui n’est pas le cas de celle des alliés européens des États-Unis. L’Arabie saoudite et la Russie, deux géants de la production de pétrole, ont adopté une position commune au sein de l’OPEP+ qui va à l’encontre des intérêts des États-Unis et de leurs alliés.
De plus, la guerre contre la Russie a vidé tous les entrepôts occidentaux, qui se plaignent désormais du niveau critique de leurs réserves d’armes stratégiques. L’Occident épuise ses armes et ses moyens financiers, en versant des dizaines de milliards de dollars pour maintenir l’Ukraine en guerre, sans tenir compte du coût élevé de la reconstruction après la guerre.
Les États-Unis ont effectivement choisi l’Ukraine comme champ de bataille contre la Russie. Mais il est également exact de dire que l’armée russe se bat en sol ukrainien. Par conséquent, Poutine peut se permettre de perdre des territoires ukrainiens déjà conquis, d’autant plus que dans les premiers mois, son armée occupait déjà plus de 100 000 km2 qui appartenaient à Kiev et non à Moscou. Par conséquent, tout retrait de l’armée russe d’une ville, peu importe sa superficie, n’est pas fondamentalement une perte pour Poutine. Préserver la vie des troupes russes est plus important pour Moscou que de s’accrocher aux territoires ukrainiens et de mourir pour eux.La Russie ne peut pas gagner toutes ses batailles contre les 30 pays membres de l’OTAN. Mais son retrait de plusieurs villes ne confirme pas la victoire de l’Occident dans la guerre en cours. Le président russe prépare une nouvelle armée comptant des centaines de milliers de membres qui plongeront dans la bataille cet hiver, qui s’annonce rude pour tous en Europe. Poutine a nommé un nouveau commandant militaire russe (le septième depuis le début de la guerre en février dernier) pour diriger la prochaine bataille d’hiver visant à stopper les gains ukrainiens dans l’est et le sud et à épuiser les ressources de l’Occident. L’on s’attend donc à davantage de heurts entre les troupes et de frappes par les services de renseignement des deux côtés.
Pendant longtemps, la CIA n’a pas agi aussi ouvertement contre la Russie et les États-Unis ne se sont pas engagés dans une guerre de cette ampleur contre une superpuissance déterminée à gagner à tout prix. Même si le théâtre des opérations militaires se trouve en Ukraine, les dommages collatéraux (économiques) touchent cette fois l’Europe, le partenaire naturel des États-Unis dans leurs guerres des dernières décennies. Washington peut supporter ce gendre de guerre d’usure pendant de longues années. Mais Moscou a-t-il la patience de soutenir une longue bataille avec la volonté de gagner à tout prix? Il semble que oui, vu la détermination de Poutine à s’emparer de plus de territoires ukrainiens et à détruire davantage l’infrastructure du pays. Tout porte à croire que les belligérants se préparent à un hiver chaud, qui risque aussi d’être très froid.
L’histoire observe les bouleversements de la Pax Americana qui bousculent les temps modernes. La Russie, la Chine, l’Iran, l’Inde, le Pakistan et d’autres pays se préparent à un nouvel ordre mondial. Celui-ci se construit en Asie avec une industrie solide, un échange commercial en monnaie locale, de grandes réserves alimentaires et un avenir prospère pour une région où se trouve près de la moitié de la population mondiale. L’Occident pour sa part, qui ne représente que 11 % de la population mondiale, doit maintenant se battre pour trouver suffisamment d’énergie pour remplir ses stations-service tout en songeant à l’effondrement de son industrie et de ses réserves de gaz en 2023.
One thought on “La guerre invisible de la CIA contre la Russie : Qui l’emporte globalement dans cette guerre?”
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