Pourquoi l’Europe appuie-t-elle les USA dans leur guerre contre la Russie?

Par Elijah J. Magnier

Traduction : Daniel G.

Une partie importante de la population mondiale s’interroge sur les raisons du soutien inconditionnel de l’Europe aux États-Unis dans leur guerre contre la Russie sur le sol ukrainien, et ce malgré les lourdes pertes financières qui affligent la population européenne. Sous la présidence de Joe Biden, l’administration américaine actuelle a imposé sa politique à la plupart des pays, là où son prédécesseur a eu moins de succès sur le vieux continent. L’ancien président américain Donald Trump n’avait pas réussi à convaincre la chancelière allemande Angela Merkel de fermer le gazoduc russe Nord Stream-2. À la même période, la France préparait le terrain européen en vue de mettre fin au rôle de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et appelait à la création d’une armée européenne. Les USA prévoyaient-ils d’affronter la Russie? Comment et pourquoi l’Europe a-t-elle renoncé à sa souveraineté décisionnelle politique au profit de Washington, en allant à l’encontre des intérêts de la sécurité alimentaire et énergétique du continent européen?

Plusieurs raisons expliquent pourquoi l’Europe s’est rangée du côté de Washington dans sa guerre dévastatrice contre la Russie, qui frappe au cœur du continent européen. Mais les principales questions restent sans réponse : Pendant encore combien de temps l’Europe parviendra-t-elle à maintenir ses sanctions contre la Russie et à payer les conséquences dues aux effets boomerang? L’Europe ne peut pas maintenir une politique axée sur « l’Amérique d’abord », mais elle pourrait bien passer assez tôt à une politique axée sur « l’Europe d’abord ». L’Allemagne est le premier pays à payer le prix fort. Le géant de l’énergie Uniper a dévoilé une perte nette record de 40 milliards de dollars dans le contexte de la décision européenne de cesser l’importation de gaz russe sur le continent. 

En surestimant ses capacités et sa puissance financière, l’Europe se croit plus importante que la Russie et, par conséquent, reste sourde aux préoccupations du président russe Vladimir Poutine. L’Europe exprime ses conditions et ses besoins à la Russie au lieu d’établir un partenariat d’égal à égal et de négocier avec Moscou. Cela empêche les Européens de voir la situation telle qu’elle est et favorise la défense des intérêts américains plutôt qu’européens. La réaction disproportionnée des dirigeants européens (imposer des sanctions sévères qui frappent d’abord l’Europe elle-même) est nourrie par une idéologie colonialiste, qui suppose que le continent européen est plus important que la Russie. L’Europe détient peut-être une puissance financière toute puissante, mais elle dépend beaucoup de ressources naturelles qu’elle ne possède pas.

L’Europe croit avoir commis une erreur en mettant tous ses œufs dans le même panier russe sur le plan énergétique. Mais cette façon de voir les choses est inexacte. La Russie n’a jamais dit qu’elle couperait le flux de gaz, car elle a besoin des centaines de milliards de dollars que l’Europe paie chaque année pour l’énergie et les ressources naturelles russes. C’est la Maison Blanche – et non Moscou – qui a annoncé la décision de suspendre l’utilisation du gazoduc russo-allemand Nord Stream 2, un projet de plusieurs milliards de dollars. Quelques mois plus tard, les pays membres de l’Union européenne ont créé une véritable panique sur le marché de l’énergie et une grave pénurie de gaz en Europe lorsqu’ils ont annoncé leur décision de ne plus acheter de gaz à la Russie. De plus, le gazoduc russe Nord Stream 1 a subi un sabotage sous la mer Baltique, coupant l’herbe sous le pied des dirigeants européens qui souhaitaient reprendre le commerce de l’énergie avec Moscou. Plus de 12 pays européens, dont des membres de l’UE et de l’OTAN, continuent de bénéficier du gaz russe et en dépendent (entre 100 % et 60 %), sans tenir compte des sanctions américaines et européennes.

Le président Vladimir Poutine a proposé à l’Europe d’acheter du gaz à la Turquie via le gazoduc russe Turkstream si le continent est prêt à réduire la grave pénurie de gaz cet hiver. Mais plusieurs dirigeants européens ont fait la sourde oreille en insistant pour maintenir leurs sanctions autodestructrices et en annonçant fièrement la réduction de leur dépendance au gaz russe. Ces dirigeants ont décidé d’acheter du gaz et d’autres ressources à un prix beaucoup plus élevé aux États-Unis, à la Norvège, à l’Algérie et au Kazakhstan, et de faire subir à leurs concitoyens une forte inflation pour un objectif qui n’a pas été atteint, soit paralyser l’économie russe. 

L’Agence internationale de l’énergie a averti que l’Europe pourrait être en déficit de 30 milliards de mètres cubes de gaz l’été prochain. Elle devrait donc prendre des mesures immédiates avant l’hiver 2023-2024. Mais cela ne sera possible que si l’Europe met fin aux répercussions de son soutien à la politique et à la domination des États-Unis. L’Europe peut renouer certains liens avec la Russie. Elle peut lever les sanctions les plus préjudiciables à la population européenne si la Russie se contente d’avoir des relations « purement d’affaires » avec le continent. La guerre en Ukraine est celle des USA, pas celle de l’Europe. Cependant, les dirigeants européens croient et se comportent autrement.

Il ne fait guère de doute que la guerre russo-américaine se dirigeait déjà vers un affrontement lorsque Moscou est sorti de son profond sommeil, qui a duré de 1991 à 2015. C’est alors que le président Vladimir Poutine a décidé de défendre le seul accès de la force navale russe aux eaux chaudes de la Méditerranée, qui se trouve à Tartous, en Syrie.

Des militants syriens – soutenus par des dizaines de pays arabes et occidentaux, dont de nombreux pays membres de l’OTAN – avaient confirmé leur intention d’expulser la Russie après la chute du régime de Damas dans la guerre qui a débuté en 2011 et s’est prolongée pendant plus de dix ans. Cette intention explicite a poussé la Russie et l’Iran à trouver des objectifs communs, à coopérer pour empêcher la partition du Levant et à créer un « nouveau Moyen-Orient » pour lequel les administrations américaines avaient tracé la voie. La coopération russo-iranienne a gâché le plan de Washington, qui a vu en la Russie une menace croissante pour ses plans et sa domination.Toutefois, lorsque Washington a cru que Moscou faisait sortir ses troupes de Syrie, la Russie 

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n’a pas hésité à négocier avec les États-Unis le sort du président syrien Bachar el-Assad. Elle ne s’est pas opposée à ce qu’il quitte le pouvoir. En revanche, Téhéran s’est érigé en rempart contre toute coopération russo-américaine et contre Washington – au profit d’Assad – en rejetant toute collaboration sérieuse de la Russie pour mettre fin à la guerre.

Le président Donald Trump, qui n’a pas une relation hostile avec le président Poutine, n’a pu empêcher la poursuite du soutien militaire de son pays et de l’OTAN à l’Ukraine pour préparer le terrain à une future confrontation. Le soutien américain à l’Ukraine était planifié, depuis la tentative ratée de renverser le gouvernement ukrainien en 2004 jusqu’au coup d’État réussi en 2014. À la suite de la « révolution de couleur de Maidan », le soutien militaire américain a augmenté au fil des années jusqu’à ce que Joe Biden saisisse finalement l’opportunité de s’engager dans une confrontation militaire avec la Russie, convaincu que la victoire serait du côté de Washington.

L’arrivée au pouvoir du président Trump n’a fait que retarder la confrontation américano-russe. De nombreux dirigeants du Moyen-Orient croyaient que le président Poutine a préférait Trump à Hillary Clinton lors de la course à la présidence américaine en 2016. Il se pourrait très bien que le Kremlin ait été conscient des intentions bellicistes des démocrates en Ukraine.

Bien qu’il ait refusé de déclencher une guerre avec Moscou, le président Trump a exercé une pression maximale sur l’Allemagne et la France. Les deux pays européens ont cependant refusé de se conformer à la pression américaine de cesser ou de réduire le flux d’approvisionnement en énergie russe bon marché. Mais la pression de l’ancien président américain n’a jamais atteint un niveau de confrontation hostile avec son homologue Poutine. Le niveau d’escalade est ainsi resté sous contrôle entre la Russie et les États-Unis pendant que l’entraînement de l’armée ukrainienne se poursuivait.

Pendant son mandat officiel à la vice-présidence sous Barack Obama, Joe Biden était directement engagé dans la politique ukrainienne, en se rendant à Kiev et en suivant de près les derniers développements. Toutefois, l’arrivée à la présidence de Joe Biden a mis de l’ordre dans les priorités de son administration en reléguant le Moyen-Orient au second plan et en plaçant l’Ukraine en tête de liste de ses priorités.

Biden voulait s’en prendre à Poutine pour faire d’une pierre deux coups, la Russie et la Chine, et envoyer un message sans équivoque à tout pays qui remettrait en cause l’unilatéralisme américain, y compris l’Europe. Le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, a déclaré que la Chine était le seul compétiteur capable de remodeler le monde (créé et façonné par les États-Unis). Austin considère la Russie comme un « risque sérieux » et a parlé d’un rapprochement entre la Chine et la Russie. Cela fait ressortir les objectifs à long terme des États-Unis pour protéger leur unilatéralisme, mais sans garantie de succès.

Les États-Unis ont accéléré leur coopération militaire avec Kiev dans le cadre de plusieurs manœuvres avec l’OTAN, ont formé l’armée ukrainienne à l’utilisation des armes occidentales et ont intégré ses membres à leur idéologie anti-russe en vue de l’adhésion de Kiev à l’OTAN. L’Ukraine avait l’intention de marcher derrière l’Occident et de s’éloigner complètement de la Russie. Kiev estime que sa place est à l’Ouest et est prête à défier la Russie; elle refuse de rester neutre et est prête à payer un lourd tribut, s’il le faut, pour rejoindre l’OTAN et l’Union européenne. Après tout, l’OTAN est une organisation militaire créée pour faire face à l’Union soviétique qui continue de s’étendre depuis la chute des Soviétiques. Les 12 pays membres que comptaient l’OTAN pour faire face à Moscou en 1991 sont passés à 30 après la chute de l’Union soviétique. L’OTAN étend son influence au-delà de son mandat (Atlantique Nord) et son Secrétaire général appelle les pays membres à se préparer à un affrontement contre la Chine.

La Russie n’avait pas prévu la détermination des Ukrainiens à défier Moscou en cas de conflit, comme cela s’est produit au cours des neuf derniers mois. Washington savait que le président Poutine, qui avait fait part de ses inquiétudes concernant le rapprochement entre l’OTAN et l’Ukraine en 2007 lors de la conférence sur la sécurité de Munich, ne resterait pas silencieux. L’OTAN a provoqué la Russie en 2009 en ajoutant de nouveaux pays membres à l’organisation. 

Lorsque Poutine s’est senti prêt à défendre la sécurité nationale de la Russie en multipliant les ultimatums, Washington lui a tourné le dos. La Russie s’est mise à rassembler des dizaines de milliers de soldats à la frontière ukrainienne en avril 2021, dix mois avant l’annonce de la bataille. Poutine voulait que le monde réalise à quel point il était sérieux dans sa volonté de faire la guerre si elle lui était imposée.

Les USA n’avaient plus que deux options. La première était que Poutine ne se lance pas dans une guerre en Ukraine. Kiev rejoindrait alors l’OTAN et serait protégée en vertu de l’article 5 de la charte de l’alliance, qui stipule que tous les pays de l’OTAN défendront leurs membres en cas d’attaque. Cela aurait amené les USA à déployer des bombes nucléaires sur le territoire ukrainien. L’OTAN a déjà déployé 150 à 200 bombes nucléaires américaines sur le territoire des pays membres sous le seul contrôle des bases aériennes américaines qui s’y trouvent. 

La deuxième option était la guerre, que le président américain pensait gagner, comme il en a informé les dirigeants des pays de l’Union européenne. En effet, le premier ministre Viktor Orban de la Hongrie, un pays membre de l’OTAN et de l’Union européenne, a déclaré que le président Biden avait dit à l’Europe que « le président Vladimir Poutine ne resterait pas au pouvoir ».  Orban a déclaré que les États-Unis croyaient qu’ils allaient vaincre la Russie et que son économie pourrait être mise à genoux en quelques mois seulement.

Le premier ministre hongrois s’est ouvertement prononcé contre le plan raté des États-Unis, en ajoutant que « si Angela Merkel et Donald Trump étaient au pouvoir, il n’y aurait pas de guerre en Ukraine, et quiconque croit que la guerre se terminera par des pourparlers entre l’Ukraine et la Russie ne vit pas dans ce monde » Orban faisait référence à la nécessité pour les États-Unis (et non l’Ukraine) et la Russie de s’asseoir à la table des négociations pour mettre fin à la guerre.

La bataille est toujours en cours et la chute de Poutine et la victoire de l’Occident semblent exagérées. L’Europe croit le contraire et ne veut avoir sa part du « butin de guerre » américain et de son succès garanti. Le coordinateur des Affaires étrangères de l’UE, Josep Borrell, estime que « l’Europe est comme un beau jardin entouré d’une forêt qu’est le reste du monde ». Les dirigeants européens ont encore une mentalité de colonialiste et la conviction que le monde entier tourne autour de l’Europe et que les autres pays vivent en dehors du cercle de la civilisation et du progrès.

Cette remarque et cette tendance racistes découlent de la riche histoire de l’Europe, qui a spolié les richesses des peuples et des continents pendant de nombreuses décennies. Les conquérants européens ont volé les ressources naturelles de l’Afrique, du Moyen-Orient, de l’Asie et de l’Amérique latine. Une mentalité similaire pousse l’Europe à se joindre aveuglément aux États-Unis pour partager les bénéfices de la « chute de la Russie », selon leurs calculs ou leurs erreurs de calcul. 

Jusqu’à présent, le résultat pour l’Europe est contre-productif et, contre toute attente, Moscou a réagi avec force, en poussant les dirigeants européens à contracter de lourdes dettes financières et à être placé devant la perspective du démantèlement de l’industrie européenne. L’Europe devra tôt ou tard trouver des moyens d’apaiser le mécontentement populaire généralisé face aux mauvaises conditions de vie, à l’inflation élevée et aux pénuries d’énergie. La crise européenne semble n’en être qu’à ses débuts, et l’alarme est donnée pour les années à venir si aucun changement n’est constaté dans la politique des dirigeants de l’UE à l’égard de la Russie.

Le moment est venu pour le continent européen d’être plus sensible à la réalité de la charge financière qui pèse sur sa population. Les dirigeants européens ne sont peut-être pas conscients que le monde civilisé ne se trouve pas seulement entre leurs murs. Les autres continents possèdent des civilisations anciennes, des ressources naturelles et la possibilité de choisir des partenaires ailleurs qu’en Occident. Des décennies de guerres occidentales et de changements de régime obtenus par des « révolutions de couleur » ou des invasions de l’Occident ont détruit de nombreux pays dans le monde, comme à Cuba, au Venezuela, en Iran, en Irak, en Afghanistan, en Syrie et au Liban, pour n’en citer que quelques-uns.

L’Europe ignore peut-être que le monde ne considère plus les problèmes de l’Occident comme ceux du monde entier. Les pays riches en pétrole ont rejeté les dictats occidentaux visant à augmenter leur production de pétrole, l’OPEP+ ayant réduit de deux millions de barils par jour, sans tenir compte de la réaction sévère des États-Unis et du besoin de pétrole de l’Europe.

Les pays non occidentaux comme la Chine, l’Inde, le Pakistan, le Brésil, l’Iran, et les pays d’Afrique qui représentent deux tiers de la population refusent de suivre la politique de l’Occident et son « mauvais pari » sur le déroulement de la guerre en Ukraine, qui devrait maintenant durer longtemps. L’Europe s’est engagée sur la voie de son appauvrissement tandis que les États-Unis sont prêts à sacrifier le vieux continent et à le considérer comme un « dommage collatéral » pour maintenir leur domination. Cette domination semble désormais sérieusement menacée.

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