« La Russie n’est pas prête à  JETER L’EPONGE» et sa défaite lointaine favorise les pourparlers de paix”.

Par Elijah J. Magnier

Traduction : Daniel G.

« L’Ukraine a le vent en poupe, mais la Russie n’est pas du tout prête à lancer la serviette ». C’est ce qu’a déclaré le ministre de la Défense britannique Ben Wallace, après le retrait de l’armée russe de la rive ouest de l’oblast de Kherson. Le retrait de Kherson par l’armée d’une superpuissance est sans aucun doute considéré une perte importante, voire une insulte, malgré le fait que la Russie combat quarante pays réunis dans un centre d’opérations militaires sur la base américaine de Ramstein, en Allemagne, d’où la guerre est dirigée. Le retrait s’est produit aussi une semaine après que le président Vladimir Poutine a déclaré que la région de Kherson faisait dorénavant partie de la Russie. Ce repli de la rive occidentale à la rive orientale du fleuve Dniepr a évité toutefois à la Russie de fortifier son emprise sur tous les territoires occupés. Il pourrait également ouvrir la voie à la négociation d’un cessez-le-feu. Washington doit consolider ses gains militaires avant de se rendre à la table des négociations et d’insister sur la cessation des hostilités. 

Les États-Unis discutent déjà de plans de négociation après s’être rendu compte qu’eux et leurs alliés occidentaux sont eux-mêmes tombés dans le piège qu’ils avaient tendu à la Russie. Cette dernière ne s’est pas laissée décourager et utilise environ 20 % de son personnel militaire professionnel (1,1 million d’hommes). Elle a mobilisé des forces supplémentaires et garde le reste de l’armée pour une éventuelle guerre élargie contre l’OTAN. Les pertes humaines russes sur le champ de bataille ukrainien ont été reconstituées par une nouvelle vague de mobilisation plutôt que par l’armée professionnelle. Le Kremlin est occupé à reconstruire une armée moderne pour faire face aux armes et tactiques des armées occidentales et à accélérer la production de drones, de missiles et d’armes diverses plus perfectionnées. Cette guerre semble nécessaire et importante pour le Kremlin à bien des égards, notamment pour refourbir l’armée qui vit une expérience unique qui ne s’était pas produite depuis des décennies, pour relever les nouveaux défis militaires et pour tirer des leçons des neuf derniers mois de guerre contre les tactiques de combat de l’OTAN en Ukraine.

Il ne fait aucun doute que les présidents Joe Biden et Vladimir Poutine ont tous les deux mal évalué les choses au début de l’affrontement en Ukraine en ce qui concerne son évolution et son issue. L’administration américaine s’attendait à ce que la Russie s’enlise dans un bourbier en Ukraine, comme les Soviétiques en Afghanistan en 1979, en étant persuadée que Moscou serait vaincu. C’est ce qu’a révélé le dirigeant d’un pays membre de l’OTAN et de l’UE, le premier ministre hongrois Viktor Orban, lorsqu’il a dit que les États-Unis croyaient que Poutine serait renversé et que l’économie russe serait détruite sous le poids des sanctions occidentales et de son aventure en Ukraine. Mais les attentes de Biden ne se sont pas concrétisées et les sanctions de l’UE et des USA « ne changent pas le cours de la guerre et les Ukrainiens n’en sortiront pas victorieux ». Biden a réussi à appauvrir l’Europe, à la rendre tributaire du gaz américain, à unifier les pays membres de l’OTAN et à obtenir l’appui de l’UE en Ukraine. Ce sont sans aucun doute des réalisations importantes, mais vont-elles durer longtemps?

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Pour sa part, la Russie a commis de graves erreurs dès le début de la guerre, en croyant que l’Europe était divisée, que l’Ukraine ne se battrait pas et qu’elle se comporterait comme en 2014 lorsque la Crimée a rejoint la Russie, que Kiev déclarerait sa neutralité. Il faut dire qu’en Crimée, les sentiments et une culture russophiles dominaient, et que les Ukrainiens de naissance formaient seulement 18 % de la population. Selon le ministère de l’Éducation de la Crimée, en 2008, 555 écoles utilisaient le russe comme langue d’enseignement sur la péninsule, comparativement à seulement 6 et 15 écoles où l’enseignement était donné respectivement en ukrainien et en tatar de Crimée. 

Le président Poutine a probablement cru qu’un convoi de chars faisant 64 km de longueur à des dizaines de kilomètres de Kiev (à Ozera et Hostomel, au nord de Kiev) suffirait à menacer le gouvernement et à l’intimider pour qu’il signe un accord de neutralité. Ce long convoi militaire russe a été facilement harcelé par les forces ukrainiennes équipées de missiles antichars guidés par laser de l’OTAN, qui ont causé de graves dommagesaux troupes statiques après avoir détruit la majeure partie de leur ligne d’approvisionnement. 

La Russie voulait éviter que l’Ukraine adhère à l’OTAN, mettre fin aux tueries des russophones du Donbass par l’armée ukrainienne, garantir le droit à l’autodétermination linguistique et amener l’OSCE à superviser les élections comme prévu dans les accords de Minsk-1 et 2 de 2014 et 2015. Le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy, qui craignait la réaction hostile des partis politiques nationalistes d’extrême droite si son gouvernement mettait en œuvre les accords de Minsk, les a rejetés juste avant le début de la guerre, s’élevant ainsi contre la Russie. 

Le Kremlin n’avait pas réalisé que les États-Unis entraînaient les Ukrainiens depuis 2015 en vue de leur affrontement contre l’armée russe et qu’ils ne permettraient pas à Kiev de se rendre. Les États-Unis ont réussi à encourager l’Ukraine à se battre jusqu’au dernier Ukrainien, peu importe les lourdes pertes en hommes et en infrastructures subies. 

En février, la plupart des ambassades étrangères ont évacué Kiev, en croyant que la Russie allait se comporter exactement comme les États-Unis en Irak (et dans d’autres guerres), en faisant pleuvoir des missiles sur la capitale et en détruisant le pays avant de faire avancer l’infanterie. Moscou a estimé qu’il n’était pas nécessaire d’imiter la façon de faire la guerre des Américains, en prenant aussi en considération le lien familial qui unit l’Ukraine à la Russie. Mais cette évaluation russe s’est avérée erronée. De plus, une fois engagée dans la guerre, la Russie a montré qu’elle n’avait pas les capacités militaires conventionnelles requises pour occuper toute l’Ukraine, même si 20 % du pays était déjà sous le contrôle de l’armée de Moscou malgré toute la machine de guerre de l’OTAN.

De toute évidence, l’armée russe n’était pas à la hauteur des ambitions et des objectifs du président Poutine. Ce qui ressortait, c’est qu’une guerre classique contre les armées de l’OTAN était vouée à l’échec. Les premiers mois de combat en Ukraine ont forcé le Kremlin à révolutionner son armée et son équipement en empruntant la voie de la guerre moderne, ce qui a poussé le président Poutine à changer de tactique militaire et à réduire ses objectifs et ses attentes.

Ces dernières semaines, la Russie a modifié sa doctrine militaire à l’égard de l’Ukraine et a jeté les gants en adoptant une approche militaire plus ferme. La décision russe de détruire plus de la moitié de l’infrastructure ukrainienne au moyen de missiles de précision à longue portée et de se retirer de Kherson a sauvé des milliers de soldats russes d’une défaite potentielle. Elle offre aussi une occasion d’arrêter la guerre, ou du moins préparer le terrain en vue d’une cessation des hostilités entre les États-Unis et la Russie signée par l’Ukraine. Les dirigeants américains ont d’ailleurs commencé à appeler à la négociation, car il n’était plus possible de briser les défenses russes ou d’empêcher Moscou d’atteindre la plupart de ses objectifs.

À Kherson, l’armée ukrainienne ne représentait pas une menace immédiate pour les militaires russes sur la rive ouest du Dniepr. Oleksiy Arestovych, le conseiller du président Volodymyr Zelenskyy, doutait des intentions de la Russie de se retirer, d’autant plus que leurs lignes de défense étaient encore intactes. De son côté, Oleksii Reznikov, le ministre de la Défense de l’Ukraine, déclarait qu’il fallait à la Russie « au moins une semaine pour retirer ses 40 000 soldats et son matériel » de la rive ouest du vaste fleuve Dniepr. Mais le Kremlin a achevé son retrait en 48 heures seulement, à la surprise de tous ceux qui se méfiaient des évolutions par crainte de tomber dans un piège russe dans la ville de Kherson.

En science militaire, tenir le terrain au prix de lourdes pertes n’est pas une option sensée pour les chefs militaires. Au cours des premières semaines de la bataille, les forces russes se sont retirées des environs de Kiev puis, quelques mois plus tard, de Kharkiv. Il n’était donc pas surprenant que le Kremlin replie son armée sur la rive est du fleuve Dniepr sans pression militaire pendant le retrait, car cela offre à Moscou diverses perspectives défensives stratégiques pour l’avenir. 

Le retrait résulte d’une évaluation militaire faite par les commandants de terrain, approuvée ensuite par le principal décideur politique qu’est le président Poutine. La perte possible de nombreux militaires sur le champ de bataille et la possibilité de persuader les États-Unis d’arrêter la guerre en se retirant de la ville de Kherson et en construisant une ligne de défense robuste sur la rive orientale ont suffi pour ordonner et exécuter le retrait.

Les forces ukrainiennes auraient pu frapper les lignes de ravitaillement traversant le pont reliant les rives occidentale et orientale, ce qui aurait mis plus de 30 000 soldats russes en danger d’être coupés si l’Ukraine avait décidé de pousser ses forces au front à temps. Assiéger des milliers de soldats et les exposer à la mort ou à la reddition aurait été une perte stratégique qui aurait pu faire basculer l’ensemble du leadership militaire et politique russe, y compris le président Poutine. 

La rive occidentale est située sur le cours inférieur du Dniepr et est plus vulnérable aux inondations. Si l’Ukraine avait décidé de faire sauter le barrage de la centrale électrique de Kakhovka (qui a subi des dommages à la suite des tirs précis des lance-roquettes HIMARS de fabrication américaine utilisés par l’armée ukrainienne), l’ouest de Kherson aurait été inondé avec 80 autres établissements. Dans un tel scénario, le déplacement de trente mille soldats russes à l’intérieur de la province aurait été impossible pour soutenir toute attaque frontale ukrainienne majeure.

Après le retrait russe, ce sont les forces ukrainiennes qui se sont ramassées « dans le piège » où se trouvait l’armée du Kremlin. Par conséquent, toute attaque significative éventuelle décidée par Kiev en direction de la rive orientale l’exposerait à un risque de destruction ou d’inondation selon l’ampleur de l’attaque. Ainsi, la ligne de défense naturelle qu’est le fleuve Dniepr offre à l’armée russe une garantie de protection : il est difficile à franchir sans être vu, il dessine de nouvelles frontières et envoie à l’Occident le message que toute nouvelle bataille pour libérer d’autres territoires occupés par la Russie est devenue futile. 

La Russie a conservé la plus grande partie de la rive orientale de la province de Kherson, soit trois fois la superficie de celle abandonnée par les forces russes, afin d’ériger une barrière imprenable protégeant la péninsule de Crimée, que le président Zelensky a promis de libérer. Moscou maintient également son contrôle de la mer d’Azov et sécurise le flux des eaux secondaires vers la Crimée et d’autres zones sous son influence.

Le président Joe Biden avait raison lorsqu’il a déclaré que la Russie n’est pas parvenue à ce qu’elle voulait accomplir. C’est ce qui explique pourquoi Poutine a changé ses objectifs pour limiter sa guerre en acceptant de s’en tenir au contrôle du Donbass, de Zaporijia et de la majeure partie de la province de Kherson.

La Russie a adopté une stratégie défensive à Kherson et offensive dans d’autres régions, en employant les forces excédentaires qui se sont retirées de Kherson pour prendre le contrôle de l’ensemble du Donbass, et les déployant dans des offensives dans la région de Louhansk, où les combats se sont intensifiés.

Le Kremlin a choisi de consolider les positions acquises, en évitant d’épuiser son armée tout en drainant les capacités de l’Occident. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré que « L’Occident semble s’être lancé dans une attaque sans fin contre la Russie ». Mais les chefs militaires occidentaux ont commencé à se plaindre, en haussant le ton parce qu’ils commencent à manquer d’armes à envoyer en Ukraine en raison de la forte inflation.

Par ailleurs, l’administration américaine a révélé une divergence d’opinion entre le commandant des forces américaines, le général Mark Milley, qui a conseillé de recourir à la diplomatie, un conseil rejeté par le secrétaire d’État Anthony Blinken et le conseiller à la sécurité nationale Jack Sullivan. Cela indique que d’un point de vue militaire, il n’y a plus d’espoir de drainer l’économie russe ou de vaincre ses soldats sur le champ de bataille.

Par conséquent, dans l’optique occidentale, la bataille doit cesser avant que les dommages collatéraux n’augmentent (incapacité à vaincre la Russie et possibilité que Moscou livre des armes létales, comme des missiles hypersoniques à l’Iran, ennemi des États-Unis). Washington risque aussi de ne plus contrôler les réactions de ses alliés en raison du mécontentement des gens en Europe, qui protestent contre la hausse des prix et exigent de leurs dirigeants qu’ils favorisent les négociations diplomatiques et mettent fin à la guerre en Ukraine. 

Quelles que soient les victoires tactiques de l’armée ukrainienne sur le terrain, la guerre ne s’arrêtera pas si la diplomatie n’est pas le choix des principaux belligérants. Dans toute guerre, les champs de bataille sont toujours instables et ne sont utilisés que pour favoriser la position de négociation d’un côté comme de l’autre. Les États-Unis n’ont pas réussi à drainer l’économie de la Russie et à renverser le président Poutine. La guerre épuise en fait l’Occident, qui espérait entraîner la Russie dans le piège ukrainien sans prévoir l’effet boomerang qui toucherait les populations occidentales. Par conséquent, la bataille en Ukraine est devenue sans horizon, d’autant plus que l’hiver approche à grands pas et que Moscou n’abandonnera pas ses objectifs ni l’ensemble des 100 000 km2 qu’elle occupe. 

La Russie tient toujours bon, engagée qu’elle est dans des batailles acharnées sur différents fronts, et bombarde l’Ukraine chaque semaine avec des centaines de missiles de précision à longue portée, qui détruisent l’infrastructure ukrainienne. La valeur des dommages causés à l’infrastructure s’élève à 750 milliards de dollars à ce jour et ne se limitera pas à cette somme si la guerre se poursuit.

Peu importe la durée de la guerre, c’est à la table des négociations que se décidera la fin de la bataille. Le problème est de savoir qui annoncera sa défaite en premier, les États-Unis ou l’Europe? La Russie contrôle 100 000 kilomètres carrés de territoire ukrainien et ne sortira en aucun cas perdante. Elle a défié l’unilatéralisme des États-Unis qui a été remis en cause, ce qui encourage d’autres pays à défier Washington aussi. Le processus enclenché ne peut plus être arrêté. L’Inde et le Pakistan, pour ne citer que ces pays, ont rejeté les sanctions unilatérales des États-Unis et de l’UE imposées contre les ressources énergétiques de la Russie. Les deux tiers du monde refusent de se ranger derrière Washington dans sa lutte contre la Russie. Le résultat final de cette bataille aura des conséquences désastreuses pour qui perdra entre les deux superpuissances. Cependant, dans le cadre de ce processus, les plus grands perdants sont les Ukrainiens.

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