
Par Elijah J. Magnier
Traduction : Daniel G.
À la suite de la rébellion du groupe Wagner, les avis divergent quant à savoir si le président russe Vladimir Poutine se retrouve affaibli sur le plan intérieur ou s’il a transformé la menace en victoire. Des observateurs au sein de l’administration américaine affirment que la popularité et le leadership de Poutine ont été mis à mal, en citant le soulèvement mené par le patron du groupe Wagner, Evguéni Prigojine, comme preuve du manque de cohésion interne de la Russie dans la guerre contre l’Ukraine. Ces affirmations ont donné lieu à toutes sortes de spéculations et à un examen plus approfondi de l’issue de la rébellion militaire et de son impact sur la position de Poutine. Mais une question demeure : Prigojine échappera-t-il à la justice même s’il est autorisé à partir pour la Biélorussie sans dommage?
Le 24 juin, Prigojine a lancé un mouvement dont les objectifs précis restent flous. Contrairement à un coup d’État qui vise à renverser le gouvernement ou à s’emparer du pouvoir, Prigojine voulait demander des comptes au ministre de la Défense, Sergei Choïgu, et aux hauts responsables militaires. Seule une fraction des 25 000 combattants associés au groupe Wagner a rejoint Prigojine dans cette semi-tentative de soulèvement. Parmi les combattants qui l’accompagnaient dans la ville de Rostov, bon nombrent ignoraient encore les détails de son plan. Certains des proches collaborateurs de Prigojine étaient au courant de ses intentions, mais les services du renseignement russes avaient probablement déjà pris connaissance des plans du patron du groupe Wagner. C’est que le groupe Wagner est composé d’officiers supérieurs retraités de l’armée et des services de sécurité russes qui entretiennent des liens avec leurs anciens supérieurs, et d’officiers qui ont déjà servi dans les forces armées et les services du renseignement. Il n’est pas étonnant non plus que d’autres services du renseignement étrangers aient eu écho des intentions de Prigojine, car les communications sont étroitement surveillées par de nombreuses agences occidentales impliquées dans la guerre en Ukraine.
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À son arrivée dans la ville de Rostov, Prigojine a été accueilli par le chef adjoint des services du renseignement et le vice-ministre de la Défense de la Russie, qui lui ont reproché son action. Ils ont rejeté du revers de la main sa tentative de diriger un groupe de retraités sans véritables objectifs. Bien que le groupe Wagner ait remporté une victoire militaire dans la ville ukrainienne de Bakhmout, ce qui a renforcé sa popularité auprès des citoyens russes, l’élimination de son chef risquait de susciter une réaction populaire hostile contre le Kremlin, de détourner l’attention de la guerre en Ukraine et d’affaiblir éventuellement le président Poutine. Prigojine a calculé qu’il pourrait utiliser ce sentiment favorable à son égard à son avantage, croyant à tort qu’il pourrait s’en tirer avec son acte de rébellion.
Reconnaissant l’erreur commise en soutenant un personnage comme Prigojine, qui était devenu de plus en plus incontrôlable et dominant dans les médias, les dirigeants russes cherchaient à réduire son rôle et à mettre fin au leadership actuel du groupe Wagner. Le Kremlin avait donné à Prigojine le pouvoir de libérer des prisonniers et le groupe Wagner avait reçu d’importantes compensations financières du ministère de la Défense, soit plus de 1,1 milliard de dollars en un an, pour sa participation à la guerre en Ukraine. Prigojine a donc été invité à se retirer des lignes de front en Ukraine et le ministère russe de la Défense a décidé de mettre fin au contrat qui le liait à lui le 1er juillet. Cette décision est à l’origine de la rébellion de Prigojine, qui estimait qu’elle n’avait pas reçu l’approbation de Poutine.
Dans une manœuvre astucieuse, comparable à celle d’un joueur d’échecs chevronné, le président Poutine a fait part à son homologue bélarussien, Alexandre Loukachenko, de ses inquiétudes par rapport au groupe Wagner. Poutine s’est abstenu de s’engager personnellement avec Prigojine, mais a accepté de donner à Loukachenko la marge de manœuvre nécessaire pour faire face à la situation. Poutine a fait part de son intention de détruire le convoi en route vers Moscou et d’étouffer la rébellion à Rostov, en soulignant les pertes potentielles parmi les combattants qui avaient déjà servi le pays. Loukachenko a ensuite été autorisé à communiquer avec Prigojine et à lui proposer une terre d’exil dans la capitale bélarussienne, Minsk, à lui ainsi qu’à toutes les personnes impliquées dans la tentative de rébellion. L’accusation de trahison a été abandonnée, mais pas l’accusation d’avoir délibérément tué des officiers russes en abattant leurs avions.
Cette décision stratégique a permis au président Poutine d’éviter une effusion de sang et d’épargner le très populaire Prigojine, échappant ainsi à un éventuel retour de bâton. Sans faire couler le sang et sans porter ombrage aux succès antérieurs des wagnériens sur le champ de bataille, Poutine a mis fin au rôle du groupe de manière efficace, sans objection notable de l’opinion publique russe.
Mais la question demeure : Prigojine va-t-il s’en sortir malgré ce qu’il a fait?
Le président Poutine n’est pas connu pour pardonner à ceux qui le trahissent, bien qu’il ait déjà démontré qu’il peut pardonner lorsqu’il le juge indiqué. Si tous les rebelles et leur chef ont réussi à obtenir une garantie de sécurité, ceux qui ont refusé de participer à la rébellion se sont vu offrir la possibilité de continuer à travailler avec le ministère de la Défense en vertu de nouveaux contrats. Il convient toutefois de noter que Prigojine est responsable de la mort de plus de 12 Russes pendant la rébellion, y compris ceux qui se trouvaient à bord d’un avion et d’un hélicoptère russes qu’il a abattus. Cet acte pourrait donner aux familles des victimes des raisons suffisantes pour déposer des plaintes auprès des autorités judiciaires afin de demander des comptes pour l’assassinat d’officiers russes.
Poutine a choisi de pardonner la rébellion comme telle, sans mentionner que cela s’étendait à la mort de citoyens russes. Cela pourrait coûter à Prigojine sa crédibilité si les familles endeuillées demandaient justice pour leurs proches disparus et la confiscation éventuelle de ses biens considérables, qui s’élèvent à plus de deux milliards de dollars. Dans un tel scénario, la Russie pourrait demander l’extradition de Prigojine de Minsk pour qu’il soit jugé. Toutefois, c’est à Moscou de décider s’il est nécessaire de prendre d’autres mesures à l’encontre du dirigeant de Wagner.
Pour dissuader de futures rébellions contre le Kremlin, Poutine comprend la nécessité de donner une dure leçon à Prigojine. Le moment était en effet mal choisi pour une rébellion contre le président russe, étant donné le nombre croissant d’opposants à la Russie et à Poutine lui-même. N’empêche qu’il a habilement transformé cette menace en opportunité et réussi à corriger le trop plein de pouvoir que le Kremlin avait précédemment donné au groupe Wagner. Ainsi, l’échec et la faiblesse présumés mis en avant par les détracteurs de Poutine semblent hautement discutables au vu de l’issue de la situation.
En conclusion, si la rébellion du groupe Wagner a d’abord constitué un défi pour les hauts responsables militaires, dont Poutine est le commandant absolu, ce dernier a habilement maîtrisé la situation par le biais de canaux diplomatiques et de manœuvres stratégiques. En évitant l’effusion de sang et en assurant une résolution en douceur, Poutine a réussi à contenir la menace et à maintenir le contrôle du pays et sa popularité intérieure.
Toutefois, le sort final de Prigojine et les conséquences à long terme du soulèvement restent incertains, car les griefs des familles des victimes pourraient donner lieu à d’autres actions en justice. Néanmoins, la capacité de Poutine à transformer une situation potentiellement préjudiciable en une victoire contrôlée démontre sa capacité à gérer les défis internes et à maintenir son emprise sur le pouvoir.
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