D’assiégés à exilés : la menace latente d’une seconde nakba palestinienne

Par Elijah J. Magnier

Traduction : Daniel G.

Dans une déclaration alarmante qui a fait monter la tension au Moyen-Orient, le ministre israélien du Patrimoine, Amichai Eliyahu, a reconnu publiquement les capacités nucléaires d’Israël, ce qui constituait une première. Cet aveu sans précédent a eu des répercussions dans le monde entier et a suscité une nouvelle inquiétude dans le cadre du conflit en cours dans la région.

Pour ajouter au malaise international, le ministre Eliyahu a suggéré l’utilisation possible de la force nucléaire comme « solution possible » au conflit à Gaza. Cette position a entraîné une condamnation générale et soulevé de graves questions éthiques. Les commentaires du ministre ont même causé une vague d’indignation en Israël pour son mépris apparent à l’endroit des 240 personnes qui seraient détenues à Gaza, mais pas pour les conséquences plus générales de l’utilisation d’armes nucléaires contre une population civile palestinienne à l’ère moderne.

Pour ajouter à la controverse, Eliyahu s’est prononcé contre la fourniture d’aide humanitaire à Gaza, en affirmant qu’il fallait refuser d’aider des nazis et qu’il n’y a pas de civils innocents dans l’enclave. Ces commentaires ont intensifié le débat sur la situation humanitaire à Gaza et la conduite de la guerre dans des zones densément peuplées, qui viole les lois internationales et qui valide les crimes contre l’humanité qui sont commis.

Cette révélation intervient sur fond de conflit implacable, alors que les forces de la Résistance palestinienne continuent de lancer des attaques dans les profondeurs du territoire israélien, y compris au cœur de Tel-Aviv. Malgré l’encerclement et les bombardements incessants par mer, air et terre, la résistance à Gaza se poursuit au moment même où les troupes israéliennes avancent plus profondément dans les secteurs nord de Gaza City.

Le bilan humanitaire de ce siège prolongé s’alourdit au rythme alarmant de 37 000 morts, blessés et disparus. Les Nations unies, depuis leurs bureaux de Genève, ont rapporté des statistiques effrayantes : le nombre d’enfants tués à Gaza s’élève à 3 900 et celui des femmes à 2 200, sur un total de 9 500 morts, un bilan qui augmente tragiquement chaque jour. Le nombre de décès quotidiens d’enfants s’élève désormais à 420, ce qui donne de Gaza l’image d’un cimetière en expansion, témoignage sinistre de la brutalité de la guerre.

La rhétorique du ministre Eliyahu ne met pas seulement en lumière la perspective israélo-sioniste, mais révèle également les intentions stratégiques qui sous-tendent l’agression militaire. Il a exprimé sa vision d’une Gaza post-conflit, remodelée par la destruction et éventuellement repeuplée par d’anciens colons israéliens du regroupement de colonies de Gush Katif, démantelées en 2005.

Les propos du ministre ont établi un parallèle entre le conflit en cours et les événements historiques de 1948. Ils laissent entrevoir l’imminence d’une seconde « nakba », ou catastrophe, qui pourrait entraîner un nouveau déplacement massif de Palestiniens, à moins que la Résistance ne l’emporte ou ne ralentisse l’avancée de l’envahisseur à l’intérieur de ce qui est décrit comme un théâtre d’opérations restreint qui se prolongera.

Dans ce contexte, l’Égypte s’est érigée en s’opposant avec virulence à un exode palestinien vers le désert du Sinaï, en suggérant d’envoyer les Palestiniens vers le Néguev.

Un sujet de discussion est apparu sur les plateformes de médias sociaux américains, abordé par des personnalités médiatiques et des universitaires, et qui pose les questions suivantes : « Pourquoi l’Égypte refuse-t-elle d’accepter les Palestiniens dans le désert du Sinaï? » « Pourquoi l’Égypte refuse-t-elle d’accepter les musulmans et les Arabes palestiniens? » Il s’agit en fait d’un écran de fumée qui voile des intentions cachées. Selon certaines sources, les États-Unis seraient en pourparlers avec l’Égypte pour qu’il accepte les Palestiniens temporairement. Cette proposition s’inscrit dans le contexte d’une diaspora palestinienne de longue date, qui remonte à 1948. Cette situation perdure en dépit des résolutions des Nations unies affirmant leur droit au retour sur leurs terres ancestrales.

Dans le cadre de ces discussions, Israël chercherait à obtenir le soutien des États-Unis pour qu’il propose des incitations financières et un allègement significatif de la dette égyptienne comme force de persuasion. Cependant, les autorités égyptiennes ont jusqu’à présent rejeté ces ouvertures. Selon les observateurs, cette réticence s’explique par la conviction que l’objectif sous-jacent n’est pas simplement l’élimination du Hamas (l’objectif déclaré publiquement par le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou), mais une stratégie plus large visant à faciliter le transfert de la population palestinienne de Gaza vers la péninsule du Sinaï, ce qui permettrait à Israël de reprendre son contrôle sur la bande de Gaza. L’Égypte craint qu’un long exode pourrait entraîner le soutien de la population égyptienne à la cause palestinienne, ce qui déstabiliserait les relations israélo-égyptiennes et l’accord de paix.

Dans la tourmente du conflit, un récit prend forme dans certains médias israéliens, soit ceux qui s’alignent généralement sur l’armée et qui sont reconnus pour leur soutien à la guerre plutôt qu’à ceux qui s’y opposent. Ces publications amplifient les voix d’anciens colons qui ont déjà vécu à Gaza, en particulier près de Rafah, et qui expriment leur profond désir d’y retourner, avec le soutien de ce qui semble être une approbation officielle.

Loin d’être anecdotique, ce récit semble faire partie d’un programme plus vaste et mieux orchestré en vue du déplacement possible des Palestiniens, en fonction de l’issue de l’offensive terrestre israélienne en cours. La deuxième semaine de cette offensive a connu un net ralentissement en raison de la résistance déterminée des forces palestiniennes dans le nord de Gaza. Les chars israéliens se heurtent à une résistance farouche à mesure qu’ils avancent, et l’on sent une réticence palpable à déployer l’infanterie en grand nombre. Cette réticence s’explique par la crainte de lourdes pertes, un risque exacerbé par la volonté des combattants palestiniens retranchés dans un vaste réseau de tunnels d’engager d’intenses combats urbains contre les forces israéliennes qui avancent.

La situation reste fluide, la stratégie militaire israélienne se heurtant à des difficultés inattendues sur le terrain alors que la Résistance palestinienne fait preuve à la fois de résilience et d’acuité tactique face à un puissant adversaire.

L’incursion de l’armée israélienne dans la bande de Gaza semble stratégiquement calculée dans des secteurs ciblés. L’un d’entre eux est Juhr al-Dik, au nord de la vallée de Gaza, un carrefour critique qui divise le nord et le sud. Après avoir évalué la force de la résistance lors de leur première incursion et mené une reconnaissance violente, les forces israéliennes semblent se préparer à une campagne soutenue, qui pourrait durer plusieurs semaines.

Progressant depuis le nord-est le long de l’axe Beit Hanoun-Jabalia et depuis le nord-ouest le long du front côtier, les unités israéliennes se déplacent méthodiquement pour converger vers le nord-est, en tirant avantage des périphéries peu peuplées et du terrain ouvert et carrossable qui se densifie peu à peu en direction du centre. Malgré les difficultés et les retards dus à la densité du tissu urbain et aux destructions considérables causées par les barrages de roquettes du mois dernier, il est peu probable que la progression du corps d’ingénieurs israéliens soit interrompue.

Israël tente de prendre le contrôle du nord de Gaza sur toute sa largeur et sa longueur avec l’intention éventuelle de tout détruire ou de forcer ses habitants à l’évacuer, créant ainsi une zone tampon inhabitée. Cette stratégie forcerait d’abord les Palestiniens à se réfugier dans la partie sud de la bande de Gaza, puis éloignerait la résistance palestinienne, ce qui nécessiterait des roquettes de plus longue portée pour les représailles. Israël a stratégiquement laissé ouvert un corridor pour les résidents du nord afin de minimiser la présence civile dans le nord et de concentrer la population dans le sud. Cette initiative pourrait être le prélude à une invasion à grande échelle de l’ensemble du secteur, si Israël le jugeait nécessaire.

Dans une tactique qui rappelle les conflits précédents, Israël a distribué des milliers de tracts exhortant les civils à évacuer du nord vers le sud, une mesure destinée à faciliter l’occupation du nord de la bande de Gaza et à déplacer ses habitants. Ce déplacement, en plus d’avoir pour effet d’obliger la résistance du sud à fournir des abris et des services, pourrait également être utilisé pour faire pression sur le Hamas afin qu’il libère les prisonniers israéliens sans concessions réciproques.

Bien qu’Israël affirme avoir décimé les défenses de la résistance, la réalité sur le terrain est tout autre. La résistance a consolidé ses positions sous terre et dans le tissu urbain, ce qui montre que le conflit est loin d’être terminé. Le ministre de la Défense, Yoav Galant, a déclaré sans ambages que la guerre est une réalité inévitable qui pourrait durer un mois, voire un an, soulignant ainsi la nature permanente et enracinée de ce conflit. Malgré les manœuvres stratégiques d’Israël et les lourds bombardements terrestres, aériens et maritimes, l’invasion israélienne s’est heurtée à une résistance importante, et au moins 345 membres des forces d’occupation auraient été tués. Yoav Galant a reconnu publiquement les défis auxquels l’armée israélienne est confrontée, en déclarant que « l’incursion sera douloureuse » et en décrivant les combats aux frontières de Gaza comme « féroces ». Ces déclarations interviennent dans le cadre d’une intense campagne de bombardements menée par Israël, dont la puissance explosive a atteint le chiffre stupéfiant de 25 000 tonnes, soit l’équivalent de plus d’une bombe nucléaire d’une puissance potentielle de 15 000 tonnes.

Le chef d’état-major israélien, Herzi Halevy, a décrit le conflit comme étant à la fois brutal et épuisant. L’ampleur des destructions opérées par l’armée israélienne est considérable, avec 200 000 maisons détruites et d’innombrables massacres, dont le plus récent est le bombardement d’hôpitaux, d’ambulances, de journalistes, d’écoles et de lieux de culte, dont 55 mosquées et trois églises.

Dans le cadre du conflit en cours à Gaza, la société israélienne fait preuve d’une remarquable unité dans son soutien à la campagne militaire. Les dirigeants israéliens reconnaissent que leur effort aura un coût important. Cependant, la population préfère les frappes aériennes à une invasion terrestre. Cette préférence s’explique par deux raisons : infliger un maximum de dégâts aux infrastructures et aux habitations palestiniennes (le conflit a déjà entraîné le déplacement de plus de 1,6 million de personnes à l’intérieur de Gaza) et éviter une répétition de la coûteuse bataille du 7 octobre. On estime qu’une offensive terrestre ne garantirait pas la libération des otages israéliens et pourrait même mettre leur vie en danger ou entraîner leur mort.

Le tissu social israélien, marqué par l’émigration de centaines de milliers de personnes au cours des derniers mois en raison de la ligne dure du gouvernement du premier ministre Netanyahou et des attaques subséquentes au 7 octobre dans les zones situées autour de la bande de Gaza occupée, montre des signes de tension à mesure que le conflit s’éternise. Cette pression sociale est susceptible de s’accroître, surtout si l’armée israélienne subit des pertes humaines plus importantes, un facteur dont la Résistance palestinienne est bien consciente.

Malgré la position ferme d’Israël selon laquelle un cessez-le-feu n’est pas envisagé actuellement, le président américain Joe Biden a annoncé la nécessité d’une « pause humanitaire » temporaire pour faciliter le départ en toute sécurité des ressortissants étrangers, dont 400 Américains et leurs familles, soit un total d’environ 1 000 personnes. Toutefois, cette mesure n’a rien à voir avec le cessez-le-feu global pour lequel les États-Unis ont mis leur veto à plusieurs reprises aux Nations unies, ce qui témoigne d’une interaction complexe entre la diplomatie internationale et les pressions intérieures au fur et à mesure que le conflit se prolonge.

La résilience et la bravoure de la Résistance palestinienne ont été cruciales pour contrecarrer le déplacement forcé des Palestiniens de Gaza et la confiscation de leurs maisons, ainsi que pour empêcher Israël d’établir une zone tampon. L’approche multiforme consistant à opérer sur plusieurs fronts s’est avérée être une stratégie importante, qui a provoqué distraction et désarroi au sein de l’armée israélienne et de son commandement opérationnel, malgré le fait que les États-Unis aient sécurisé l’espace aérien israélien avec leurs alliés du Moyen-Orient (Arabie saoudite, Égypte et Jordanie) en interceptant des drones et des missiles lancés depuis l’Irak ou le Yémen.

Le déploiement de forces spéciales américaines aux entrées de Gaza et dans les centres du commandement opérationnel, pour former une barrière de protection contre une éventuelle intervention du Hezbollah et de l’Iran, n’élimine pas la possibilité d’attaques directes contre Israël. Si des tentatives sont faites pour déplacer de force les Palestiniens de la bande de Gaza, ou si les chars israéliens avancent vers le sud de Gaza pour écraser le Hamas et d’autres factions palestiniennes, une intervention sur plusieurs fronts pourrait devenir nécessaire. Un tel scénario représente un défi qu’Israël et les États-Unis pourraient avoir du mal à relever, qui pourrait prendre la forme d’un effort concerté pour éviter une deuxième catastrophe palestinienne semblable à la nakba.

Le sort de la Palestine dépend donc des résultats de l’attaque terrestre dans le Nord et de la détermination de la Résistance à affronter directement l’ennemi et à infliger des dommages cruciaux à l’occupant dans les batailles urbaines en cours. Ces efforts visent à empêcher la consolidation des forces d’invasion, à leur infliger de lourdes pertes humaines et à faire en sorte que la guerre se poursuive, qu’elle soit coûteuse et difficile pour l’armée d’invasion, la société israélienne et l’administration américaine.

Le conflit en cours à Gaza pourrait se poursuivre tant qu’Israël s’opposera à un cessez-le-feu, tant qu’il n’aura pas atteint ses objectifs et tant qu’il continuera à bénéficier du soutien américain. Les États-Unis ont justifié les actions d’Israël, y compris les pertes civiles, en se faisant l’écho des affirmations d’Israël selon lesquelles le Hamas opère au sein d’infrastructures civiles telles que des hôpitaux et des écoles. Cette justification restera valable tant que le statut politique et militaire du Hamas à Gaza restera inchangé et qu’Israël ne parviendra pas à remporter une victoire décisive susceptible de compenser les revers qu’il a subis depuis les événements du 7 octobre.

Les ambitions des dirigeants israéliens et américains d’éradiquer complètement le Hamas de Gaza et d’obtenir la libération des prisonniers sans concessions semblent de plus en plus irréalisables. Les mouvements et les protestations de l’opinion publique mondiale rendent la situation encore plus complexe, tout en érodant le soutien initial dont Israël et ses alliés bénéficiaient au début du conflit.

Les menaces d’Israël d’utiliser des armes nucléaires et ses actions qui ont entraîné la mort de femmes et d’enfants, anéanti des lignées familiales entières et réduit des bâtiments et des hôpitaux à l’état de ruines ont été exposées à la communauté internationale. Ces actions, qui consistent notamment à couper les services essentiels aux civils, à commettre des massacres et à violer le droit international, ont été largement condamnées en tant que crimes de guerre et nettoyage ethnique.

Malgré la gravité de ces actions, l’opinion dominante est qu’Israël ne parviendra pas à infliger une seconde catastrophe à un peuple habitué au spectre de la mort et qui préférerait mourir en défendant sa terre et ce qui reste de ses biens et de son patrimoine.

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