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Par Elijah J. Magnier (en Syrie) : @ejmalrai
Traduction : Daniel G.
La Russie impose de nouvelles règles d’engagement à Israël et aux USA en Syrie, qui donne une idée de la manière dont elle veille à ses intérêts au Levant et à l’extérieur du Moyen-Orient, principalement en Ukraine, où les USA ont décidé de fournir des armes létales à l’autorité locale tout en voulant amener Kiev à faire partie de l’OTAN, ce que Moscou considère comme hostile.
La réponse de Moscou a été clairement énoncée par le chef d’État-major russe Valéri Guérassimov, qui a dit que « les conseillers, instructeurs, agents du service du renseignement, membres du personnel de l’artillerie et toutes les autres unités militaires russes sont intégrés à chaque force de combat, brigade, unité et moindre bataillon syrien ». Guérassimov a souligné que « tous les plans militaires et de combat sont adoptés en partenariat avec l’armée syrienne. Nous sommes sur le terrain et travaillons ensemble à la réalisation d’objectifs stratégiques et d’un plan communs ». Le joueur politico-militaire russe sait comment s’y prendre pour transmettre ses messages sur le front sud en Syrie chaque fois que les USA s’en prennent aux intérêts russes dans d’autres parties du monde.
La Russie, par la voix de son chef d’État-major, reconnaît que les opérations militaires syriennes ne relèvent pas de décisions unilatérales des Syriens (avec leurs forces terrestres et celles du Hezbollah, de leurs partenaires iraniens et irakiens et d’autres alliés), mais qu’elles sont le fruit d’une évaluation et d’une planification russes. Ainsi, la libération de Beit Jinn, dernier château fort des militants dans la Ghouta occidentale au pied du Jabal al Sheikh (mont Hermon) au sud de la Syrie, qui a pour effet de circonscrire la position israélienne, relève aussi d’une décision russe.
En libérant Beit Jinn de la présence d’al-Qaeda et de ses alliés syriens, qui sont soutenus, équipés et financés par Israël depuis 2015, l’armée syrienne a fait éclater la « zone tampon » imaginaire d’Israël, qui voulait empêcher le Hezbollah et l’Iran d’atteindre ce secteur afin d’éviter toute prise de contact avec ses forces armées. À la suite de la décision du président américain Donald Trump de livrer des missiles antichars à guidage laser à l’Ukraine, se montrant ainsi plus hostile à la Russie, Moscou a décidé de répliquer sur le front syrien, ce qui a pour effet d’accroître encore plus l’écart entre la Russie et les USA.
L’armée syrienne, ainsi que les forces spéciales du Hezbollah (Ridwan), ont mené l’attaque terrestre sur Beit Jinn et réussi à prendre les collines environnantes puis la ville même, après la capitulation d’al-Qaeda et l’évacuation d’environ 300 militants du secteur avant l’assaut final en direction de la ville d’Idlib, au nord, ou de Daraa, au sud. La coordination des forces de la Russie, de l’Iran, de la Syrie et du Hezbollah vise donc à empêcher toute intervention militaire israélienne pour défendre ses mandataires (al-Qaeda et ses alliés du groupe Ittihad Qu’wat Jabal al-Sheikh). La Russie impose ainsi une nouvelle règle d’engagement à Israël : toute attaque israélienne pourrait mettre en danger un ou plusieurs officiers russes travaillant côte à côte avec l’armée syrienne, comme l’a révélé le chef d’État-major russe Valéri Guerassimov. Israël ne pourra pas changer l’équation russe, car s’il touche les forces attaquantes, Tel-Aviv risque de se retrouver en conflit avec la superpuissance qu’est la Russie, et amener celle-ci à s’immiscer dans la querelle qui oppose Israël au Hezbollah et à l’Iran.
La frappe russe, iranienne et syrienne survient à un moment où Israël fournissait du soutien d’artillerie et du soutien en matière de renseignement à al-Qaeda et à ses alliés à Beit Jinn. En récupérant le secteur et la région montagneuse environnante, la Russie flanque une première gifle au visage du principal allié des USA (Israël) au Moyen-Orient. Israël craint depuis longtemps la présence de l’Iran et du Hezbollah à sa frontière et a tout fait pour empêcher l’armée syrienne d’atteindre les fermes de Chebaa occupées par Israël, comme c’est le cas aujourd’hui après la libération de Beit Jinn. Mais il reste encore des secteurs sous influence indirecte d’Israël dans le sud syrien occupé (sous la coupe d’al-Qaeda et de ses alliés), comme la région de Quneitra et les villages environnants (Tarangah, Jab’bat al-Khashab et Ain al-Baydah).
Le président des USA a fait tourner la boussole de la « résistance » vers Jérusalem après des années de négligence, en raison des dommages causés par les organisations takfiries (Daech et al-Qaeda) lorsqu’elles ont décidé de s’en prendre aux musulmans et aux non-musulmans en Syrie, en Irak, au Liban et ailleurs dans le monde islamique. Lorsque Trump a « reconnu » Jérusalem comme capitale d’Israël, il a unifié les tenants d’autres idéologies sous l’égide du corps des Gardiens de la révolution islamique en Syrie (formé de Syriens) et les a focalisés en direction de la frontière syro-israélienne, de tous les territoires syriens occupés et de la Palestine.
La guerre en Syrie a échoué dans son objectif de provoquer un changement de régime et a amené la création de groupes qui ont bénéficié d’un entraînement (idéologie y comprise) fourni par l’Iran et de l’immense expérience au combat acquise par le Hezbollah libanais depuis 1982. Parmi ces groupes, mentionnons le « Hezbollah syrien », les « Forces Al-Redha », la « Brigade Mokhtar al-Thaqafi », la « Brigade Imam al-Baqir », « Qamar Bani Hashem (Al-Abbas bin Ali) », la « Force de résistance islamique 313 », la « Brigade Zeyn El Abidine », « Saraya Al-Waad », la « Brigade Raad Al-Mahdi », la Brigade Al-Hussein », « Al-Ghalaboun » et d’autres groupes similaires répartis dans l’ensemble du territoire syrien.
La plus grande réussite de l’Iran à l’issue de la guerre syrienne, c’est d’avoir établi une nouvelle doctrine de combat en Syrie, qui a transformé une armée régulière classique en une armée empreinte d’une idéologie qui l’amènera à protéger le pays contre le retour des takfiris au Levant et à se dresser contre Israël. Ces militaires seront aussi appelés à combattre pour récupérer tout le territoire occupé par la Turquie et les USA au nord de la Syrie, si ces pays s’obstinent à rester malgré les appels de Damas à quitter les lieux.
Il est évident que les règles du jeu ont changé en Syrie. Elles vont continuer d’évoluer en fonction des intérêts changeants à l’intérieur du pays et à l’échelle régionale, ainsi que des nouveaux développements. Chose certaine, ces six longues années de guerre ont donné naissance à une nouvelle résistance, qui est prête à servir ses propres objectifs et ceux de la Syrie, de l’Iran et de la Russie.
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