Les forces US vont rester en Syrie: Les négociations avec les Kurdes vont se compliquer alors que la Syrie prépare une offensive à Idlib

Par Elijah J. Magnier: @ejmalrai

Traduction : Daniel G.

Washington a annoncé son intention de ne pas retirer complètement ses troupes de la Syrie, en laissant sur place une « force de maintien de la paix » formée de 400 soldats, qui deviendra par le fait même une force d’occupation officielle, puisque le dernier bastion de Daech est sur le point d’être libéré. Cette nouvelle situation place les USA et leurs alliés dans l’illégalité, puisque le prétexte du contre-terrorisme ne tient plus. L’importance des forces qui resteront est sans intérêt, car les USA n’ont jamais révélé de décompte précis du nombre de militaires déployés en Syrie et en Irak. De plus, même si le nombre de soldats est faible, les troupes qui resteront pourront toujours demander le soutien de frappes aériennes pour empêcher toute autre force, y compris l’armée syrienne, de traverser l’Euphrate. Ils pourront à tout moment appeler leurs confrères stationnés pas très loin en Irak. Moscou et ses alliés avaient prédit dès le départ la décision des USA de ne pas se retirer. La Russie, l’Iran et la Syrie n’ont jamais cru Donald Trump lorsqu’il a annoncé un retrait complet de la Syrie.

Maintenant que la poussière est retombée sur l’intention réelle des USA de s’incruster au Levant, la Russie et ses alliés doivent réviser leurs plans. Les négociations entre les Kurdes et le gouvernement de Damas vont se compliquer et les relations entre la Russie, l’Iran et la Turquie devront se rajuster. Les tensions entre les USA et la Turquie et entre la Russie, la Turquie et l’Iran s’imposeront de nouveau sur la scène syrienne.

La présence continuelle des forces US à al-Tanf, à la frontière syro-irakienne, et au nord-est de la Syrie rend fort probable que les Kurdes à Hassaké et à Qamishli ne parviendront pas à un accord clair avec le gouvernement syrien, tant que les résultats de la décision américaine ne seront pas plus clairs. 

La situation des Kurdes demeure toutefois peu enviable. Ils ont combattu Daech et perdu des milliers de combattants pour mettre fin à l’occupation du nord-est de la Syrie par des groupes terroristes. Mais le rôle militaire des Kurdes n’a pas pris fin pour autant, car les USA comptent toujours sur eux pour servir de boucliers humains aux soldats américains qui resteront. 

Trump compte cependant sur la participation de la Turquie dans la future « zone tampon » de 12 000 km2qu’il a l’intention de créer sur le territoire contrôlé par les Kurdes syriens et des tribus arabes le long de la frontière entre la Syrie et la Turquie. Trump veut aussi que les Turcs assurent la protection de leurs ennemis jurés, les « Unités de protection du peuple » (YPG), une branche syrienne du PKK. 

Trump n’a jamais expliqué comment il parviendra à résoudre cette contradiction. Une résolution se traduira soit par le retrait complet des YPG pour permettre aux forces régulières turques (et à leurs mandataires) de prendre leur place, soit par un refus turc du plan américain. Plusieurs conversations téléphoniques entre le président Trump et le président Erdogan ont suscité une grande mobilisation des troupes turques et de leurs mandataires syriens à la frontière de la Syrie. Cette mobilisation de longue durée épuise l’armée turque et on ne voit aucun signe visible de ce qu’il adviendra ensuite.

Pour compliquer les choses un peu plus, les dirigeants russes ont expliqué à la Turquie que Moscou n’acceptera pas la présence de troupes turques au nord-est de la Syrie sans l’approbation du gouvernement central à Damas. 

Cela mène aussi à un autre dilemme : malgré des contacts directs entre Syriens et Turcs au niveau militaire, il n’est pas évident pour Damas d’accepter de reprendre le dialogue avec Ankara à d’autres niveaux, surtout dans l’état actuel des choses. Normalement, ce genre de communication se fait indirectement par l’entremise de la Russie. L’absence de contacts directs et la réticence de Damas à parler à Ankara mettront encore plus de pression sur la Russie et les USA pour faire des progrès sur le terrain. 

Dans la ville et la région rurale d’Idlib au nord-ouest, la situation est dorénavant limpide : soit que le groupe djihadiste de la mouvance al-Qaeda autrefois appelé front al-Nosra, devenu depuis Hay’at Tahrir al-Cham, change ses couleurs comme l’a fait l’autre groupe djihadiste « Ahrar al-Cham », soit que les forces syriennes et leurs alliés passent à l’attaque pour reprendre du territoire. Bien qu’Ahrar al Cham soit un groupe djihadiste qui compte des combattants étrangers dans ses rangs, la Russie et la Turquie ont convenu de tolérer sa présence dans le secteur. 

Des sources sur place affirment que les forces russes sont sur un pied d’alerte maximale depuis plusieurs jours sur le front d’Idlib. Des alliés syriens basés à Alep ont confirmé que six militants djihadistes ont été tués par balle alors qu’ils tentaient de traverser vers Alep. Les forces aériennes russes bombardent les forces djihadistes sporadiquement, mais pas de façon intensive. 

La Turquie a démontré son incapacité à faire sortir les djihadistes d’Idlib, comme convenu en septembre entre la Turquie et la Russie. Voilà pourquoi l’armée syrienne et ses alliés préparent une nouvelle série d’attaques. Les abords de la ville d’Alep sont parfois touchés par des tirs de mortiers et des roquettes artisanales lancées par les djihadistes. L’armée syrienne effectue des tirs d’artillerie contre des positions djihadistes dans le secteur. Avec l’arrivée du printemps, la libération d’Idlib sera prévue au programme. 

Les USA ont souvent menacé d’intervenir pour défendre les djihadistes à Idlib. Trump lui-même a déjà affirmé à maintes reprises son intention de frapper l’armée syrienne si elle s’avançait à Idlib. Mais aujourd’hui, la situation est quelque peu différente, car la Russie a une position plus ferme à l’endroit des USA et pourrait ne pas leur permettre d’effectuer des bombardements dans sa zone d’influence en Syrie. L’été promet d’être chaud en Syrie.

L’administration américaine est dans un dilemme : le président veut quitter la Syrie, alors que son administration résiste et retarde ses plans. Washington croit que son pied-à-terre en Syrie ne lui coûte pas grand-chose, grâce à la protection locale que ses mandataires kurdes (YPG) lui procurent. De plus, certains indices laissent croire que le gouvernement irakien pourrait demander aux forces US de quitter le pays. Le gouvernement et le parlement irakiens sont divisés sur la question. L’administration américaine se prépare à cette éventualité, en examinant la possibilité de réduire sa présence en Irak. Si cela s’avère nécessaire, il adoptera un plan B, qui sera la poursuite de l’occupation en Syrie. Elle ne deviendra un problème que si la résistance locale se soulève contre les forces d’occupation.

Daech est en train de perdre ses derniers kilomètres en Syrie. Son tristement célèbre slogan, « Baqiya wa tatamaddad » (rester et s’étendre), appartient dorénavant aux poubelles de l’histoire. Mais il est clair que ce slogan est aujourd’hui repris par l’administration américaine, qui a l’intention de rester et peut-être même d’étendre sa présence en Syrie. Trump peut donc le crier haut et fort à partir de la Maison-Blanche : « Baqiya wa tatamaddad ».

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