Abou Bakr al-Baghdadi se cache-t-il à Baghouz? Qu’adviendra-t-il de Daech?

Par Elijah J. Magnier: @ejmalrai

Traduction : Daniel G.

Le président Donald Trump ne pourra pas crier victoire contre Daech dans les prochains jours, puisqu’il reste encore entre 1 000 et 1 500 militants et émirs à Baghouz, une ville bordant le fleuve Euphrate. De toute évidence, ces militants ne sont pas prêts à se rendre et vont combattre jusqu’à la mort, à moins qu’un accord ne soit conclu pour les transférer ailleurs, comme cela s’est déjà fait à Jarablus, Raqqa et Dabiq. Tout laisse croire que les hauts dirigeants de Daech se trouvent à Baghouz, y compris Abou Bakr al-Baghdadi.

À la suite d’un accord conclu entre Daech et les forces US à Baghouz, les forces kurdes engagées dans la bataille contre Daech dans le secteur ont permis aux civils, aux familles des militants, aux blessés et aux combattants prêts à se rendre de quitter la ville assiégée. 

Selon un officier de haut rang irakien relevant des services du renseignement militaire, « il y a lieu de croire que les principaux dirigeants de Daech sont dans la ville, y compris probablement Abou Bakr al-Baghdadi ».

La source tire cette information d’Irakiens présents à Baghouz qui collaborent avec les services du renseignement de l’Irak. Selon la source, « une sérieuse pénurie d’aliments et de médicaments à Baghouz oblige les dirigeants de Daech à réduire leur charge en demandant aux civils et aux familles des militants de partir. Les 1 000 à 1 500 militants encore dans la ville peuvent survivre plus longtemps avec les rations qui restent et sont prêts à combattre jusqu’à la mort. Les militants sont habitués aux bombardements et Daech possède suffisamment d’expérience dans le creusage de tunnels et la construction d’abris souterrains pour permettre à ceux qui commandent et aux combattants d’attendre une attaque de l’infanterie ».

Le retrait des civils donne plus de marge de manœuvre à l’artillerie et aux bombardements aériens, car il permet de réduire les pertes civiles. Tous les civils devraient être partis au cours des prochains jours. L’assaut contre la ville reprendra par la suite.

La source précise que la dernière diffusion audio du leader de Daech al-Baghdadi remonte à août dernier. S’il était à l’extérieur de la ville, il enverrait probablement des messages d’appui pour encourager ceux de ses hommes qui ont décidé de combattre et de tenir bon jusqu’à la mort. S’il est tué, blessé ou incapable de sortir du trou où il se cache, il n’enverra aucun message. Le même scénario s’applique s’il compte parmi les assiégés dans la ville syrienne de Baghouz. 

Les médias affirment que les forces de la coalition des USA ont découvert des femmes yézidies décapitées aux environs de Baghouz, qui étaient probablement des esclaves sexuelles capturées en Irak. Pareille extermination collective ne peut avoir eu lieu qu’en réponse à l’appel de dirigeants religieux de Daech qui ont donné l’ordre de brûler et de tuer tout ce qui pourrait détourner les militants du combat, ou par crainte que des femmes considérées comme leur appartenant soient revendiquées par l’ennemi. Pendant la Jahiliyyah (ou « ère de l’ignorance », en référence à l’époque préislamique en Arabie), on dit que les Arabes enterraient leurs femmes vivantes (le mot en arabe est wa’ed) avant chaque guerre, par crainte qu’elles ne soient capturées par l’ennemi. Par conséquent, le retrait des familles des militants de Daech encourage davantage ces derniers à rester à Baghouz pour lutter jusqu’à la mort, et ainsi se déplacer d’une position à l’autre en restant avec leurs groupes sans avoir à vérifier si tout va bien à la maison après chaque bombardement. 

Les familles des militants de Daech ont dit aux médias « qu’elles s’attendaient à ce que l’ONU s’occupe d’elles après avoir quitté Baghouz ». Sauf qu’elles ont été accueillies par des combattants kurdes qui les ont transférées à Qamishli à des fins de contrôle et pour y être interrogées.

Trump ne veut pas garder les familles et les militants de Daech sous la protection de ses forces d’occupation. Ils seraient autour de 20 000 à avoir quitté Baghouz. L’Irak est prêt à reprendre ses ressortissants. Les tribunaux irakiens sont fort occupés à juger des membres de Daech et leurs familles, dont bon nombre ont été condamnés à mort ou à un emprisonnement à vie, tout dépendant de leur participation au sein du groupe et des crimes qu’ils ont commis contre le peuple irakien. Des milliers de militants sont des étrangers d’au moins 64 nationalités. Daech a commis des crimes à grande échelle contre les Irakiens et les Syriens. Par exemple, lors du massacre du camp Speicher, des tribus locales s’étant ralliées à Daech après la chute de Mossoul ont tué 1 700 cadets irakiens. Un autre massacre a eu lieu à Raqqa, où plus de 3 500 corps ont été découverts. Daech a tué des dizaines de milliers d’Irakiens et de Syriens pendant les quatre années de sa gouvernance. 

L’unité du renseignement irakien chargée d’éliminer Daech est très active en Irak. Elle a arrêté des hauts dirigeants de Daech ces derniers jours et a démantelé son réseau financier qui négociait des centaines de millions de dollars. Daech exploite de nombreuses entreprises pour maintenir les flux de trésorerie et ainsi être en mesure d’investir dans une autre insurrection quand l’occasion se présentera.

La bataille en vue de défaire Daech prendra fin avec la perte de son dernier bastion en Syrie. L’unité de lutte contre le terrorisme de l’Irak, l’armée irakienne, la police fédérale, les services du renseignement et les Hachd-al-Chaabi sont aujourd’hui plus forts que jamais et en état d’alerte contre toute résurgence de Daech, d’une faction du groupe ou de tout nouveau groupe similaire. Nous ne sommes plus entre 2010 et 2014, lorsque les différents services de sécurité étaient décontractés et désorganisés. La société qui offrait alors un abri à Daech n’est plus uniforme comme elle l’était et peu disposée à tomber à nouveau dans le même piège. 

Les services du renseignement irakiens ont toutefois noté que la plupart des membres de Daech arrêtés ou tués ont été dirigés vers la ville de Mossoul au nord, où la première insurrection a eu lieu en 2014 et où tous les groupes sunnites (pas seulement Daech) ont expulsé les forces gouvernementales irakiennes. C’est à Mossoul que se trouve la mosquée al-Had’ba’, là où Abou Bakr al-Baghdadi a proclamé son soi-disant califat.

Si Baghdadi est tué, le groupe ne cessera pas d’exister pour autant. Abou Moussab al-Zarqaoui et Abou Omar al-Baghdadi sont deux dirigeants du groupe qui ont été tués. Un nouveau leader se présentera, même si le groupe a besoin de temps pour rassembler ce qui lui reste de dirigeants et élire un nouveau chef, à moins que Baghdadi ait déjà proposé un leader potentiel. 

La fin de Baghdadi à Baghouz donnera à Trump une victoire que lui et sa machine de propagande pourront exploiter même s’il ne le mérite pas. Daech occupait un territoire au sud de la Syrie, à Suweida, à Yarmouk, à la frontière libano-syrienne, à al-Qalamoun, dans la région rurale de Hama, à Palmyre, dans la Badia, à Deir Ezzor, à Albu Kamal et le long de la rive occidentale de l’Euphrate. L’armée syrienne et ses alliés ont défait Daech et l’ont forcé à se retirer de toutes ces régions. À l’est de l’Euphrate, Daech a bénéficié d’un lieu sûr pendant des années sous l’œil attentif des forces de la coalition américaine, avec l’assentiment d’Abou Ivanka al-Amriki (alias Donald Trump). Toujours à l’est de l’Euphrate, les Kurdes ont sacrifié des milliers de martyrs pour débarrasser le secteur des combattants de Daech. La victoire contre Daech ne saurait être attribuable à l’administration américaine, qui n’a joué qu’un rôle mineur dans la lutte contre Daech en Syrie. 

Mais Daech est-il réellement défait? Des femmes de Daech qui ont quitté Baghouz parlent aujourd’hui publiquement. La fierté de ces femmes est frappante et elles sortent du dernier bastion de Daech en restant campées dans une attitude de défi, en utilisant en public le même langage qu’elles le feraient à l’intérieur du califat. Elles ont repris le slogan de Daech, « baqiya » (rester), et leur foi en la victoire éventuelle de leurs hommes est indéfectible. Elles soutiennent encore l’idéologie de Daech, une idéologie qui, loin de mourir avec Baghdadi, devrait perdurer encore des années. 

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