Les perspectives d’une guerre plus large au-delà des frontières ukrainiennes augmentent dangereusement

Par Elijah J. Magnier 

Traduction : Daniel G.

Le président américain Joe Biden a déclaré du haut de la tribune de la Communauté européenne à Bruxelles que son alliance [OTAN] « répondra si le président russe Vladimir Poutine utilise des armes chimiques en Ukraine ». Cette déclaration est considérée comme l’une des plus dangereuses pour les États-Unis depuis la crise de Cuba en 1962, en raison de ses répercussions sur la guerre en Ukraine, de la possibilité de son expansion hors de ses frontières et de ce que l’avenir réserve à l’Europe et au monde.

Après sa rencontre avec le président Biden à Bruxelles, le président letton Egils Levits a déclaré, sur un ton clair et provocateur, que « l’utilisation par Moscou d’armes biologiques constitue un grand danger pour le monde entier et qu’il faut y répondre. La Russie devrait réfléchir à deux fois avant d’utiliser des armes chimiques. Nous n’informerons pas la Russie de nos plans. Toutefois, si cela se produit, tout changera en Ukraine ».

Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a souligné que « l’OTAN réagira si la Russie utilise des armes chimiques ». De même, les dirigeants des pays du G7 (USA, Canada, France, Allemagne, Japon, Grande-Bretagne et Italie) ont affirmé dans une déclaration commune que « toute utilisation d’armes chimiques signifie un changement des règles du jeu qui équivaut à une déclaration de guerre ».

Du côté ukrainien, le ministre des Affaires étrangères, Dmitry Kuleba, a déclaré que l’Ukraine « ne reconnaîtra que la langue ukrainienne dans le pays (sauf pour les russophones de naissance). Nous insistons d’abord sur un cessez-le-feu immédiat et une garantie de sécurité que le pays ne sera pas soumis à une future agression et que la souveraineté de l’Ukraine sur l’ensemble des territoires occupés sera préservée ». Le ministre ukrainien des Affaires étrangères démolit essentiellement le contenu des cinq rondes de discussions antérieures avec la délégation russe. Par conséquent, si les propos de Kuleba représentent la position officielle de l’Ukraine, les pourparlers sont de retour à la case départ. En effet, les responsables russes ont déclaré que leurs homologues ukrainiens refusaient de signer tout document, même s’il s’agissait de points négociés et convenus.

Ainsi, l’Ukraine fait comme si elle ne négociait pas en position de faiblesse, ou du moins compte sur le soutien des États-Unis et attend de nouveaux développements pour défier davantage la Russie, malgré le déséquilibre militaire entre les deux armées. Kiev est prêt à poursuivre le combat même s’il perd une grande partie de la province orientale du Donbass et du sud de l’Ukraine. Les forces russes sont stationnées à 20 km du palais présidentiel au centre de Kiev et encerclent lentement la capitale. Habituellement dans l’art de la guerre, aucun pays doté d’institutions et d’infrastructures statiques, manœuvrant avec moins d’efficacité, sans domination aérienne et confronté à une puissance de feu supérieure, ne livrerait une bataille perdue dans une confrontation classique. La majeure partie des centaines de milliers de combattants ukrainiens est massée dans l’est et le sud, où la Russie enregistre l’avancée la plus significative sur le terrain.

L’Ukraine a de toute évidence l’intention de gagner du temps dans des négociations apparemment peu fructueuses. Cette attitude découle de la certitude que la communauté occidentale, dirigée par les États-Unis, continuera à fournir à Kiev des tonnes d’armes, des équipements de pointe et un soutien en matière de renseignement, et à encourager les Ukrainiens à poursuivre et à transformer leur pays en un autre Afghanistan pour la Russie, comme ce fut le cas en 1979 pour l’ancienne Union soviétique. Il serait étonnant que les responsables ukrainiens choisissent de poursuivre la guerre si on les laissait décider par eux-mêmes.

En outre, il est maintenant clair que le président Poutine n’arrêtera pas l’opération militaire, quels qu’en soient les coûts militaires et économiques, tant que ses objectifs (non annoncés) ne seront pas pleinement atteints, à commencer par le contrôle total de l’est de l’Ukraine, donc du Donbass. On peut s’attendre à ce qu’il force d’autres villes à capituler jusqu’à ce que Kiev se rende et se détache de la domination et du diktat américains. La Russie évite de se fixer un objectif élevé et coûteux afin que son commandement militaire puisse réaffirmer l’avancée des troupes sur le champ de bataille.

Par conséquent, il n’est plus nécessaire de dire que le seul objectif des États-Unis était de faire durer la guerre le plus longtemps possible pour diaboliser le président Poutine et la Russie, car cet objectif a déjà été atteint. Il n’est plus question non plus pour les États-Unis de consolider les rangs de leurs alliés occidentaux et européens pour qu’ils soient derrière Washington, car cet objectif a été atteint aussi. Bien que certains dirigeants des pays d’Europe occidentale (pas ceux de l’Est, qui obéissent à Washington) se sont montrés hésitants, l’Occident a pris une décision unifiée, bien qu’à contrecœur, et se range derrière les États-Unis malgré les dommages causés à l’économie de l’UE. 

Il n’est plus question pour l’Europe de prendre ses distances par rapport aux importations de gaz, de pétrole et de charbon russes, car c’est dorénavant chose faite. Les mesures nécessaires ont été prises pour réduire progressivement la dépendance de l’UE vis-à-vis de la source d’énergie russe. Mais le divorce définitif de l’Europe avec la Russie pourrait prendre quelques années. La séparation sera atroce pour les gouvernements européens (principalement l’Allemagne, l’Italie et la France) et les consommateurs finaux, mais la décision a été prise. Le premier jour de la guerre, au grand dam de l’Allemagne, c’est Washington (et non Berlin) qui a annoncé la suspension du Nord-Stream 2, mettant fin à l’approvisionnement en gaz russe de l’Europe par un gazoduc qui n’a jamais été inauguré. Biden a réussi là où son prédécesseur Donald Trump a échoué. La guerre russe contre l’Ukraine a ajouté de nouvelles victoires aux objectifs américains sur la scène européenne.

Par conséquent, la seule conclusion qui reste est qu’il n’est pas improbable que les États-Unis se préparent à une bataille beaucoup plus importante. Si la Russie est accusée d’utiliser des armes chimiques à un moment ou l’autre de la bataille en cours, la guerre prendra une tournure beaucoup plus dangereuse qu’aujourd’hui, avec des conséquences qui pourraient ébranler le monde.

Ce scénario s’est déjà vu en Syrie et les États-Unis savent bien comment s’y prendre avec les « armes chimiques ». En effet, en 2013, lorsque le président Bachar el-Assad a été accusé d’utiliser des armes chimiques, la Russie est intervenue pour empêcher les USA de détruire l’armée syrienne et faire tomber les dirigeants syriens à Damas. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, et son homologue américain, John Kerry, ont alors conclu un accord pour que la Syrie remette ses armes et ses stocks de produits chimiques. Les États-Unis et leur proche partenaire Israël se sont réjouis de ce résultat en raison de la menace que représentait la Syrie pour l’occupation israélienne des hauteurs du Golan syrien.En 2018, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France ont bombardé plusieurs sites en Syrie en réponse à l’accusation portée contre Damas d’avoir utilisé des armes chimiques qui étaient toujours en sa possession. Les affirmations selon lesquelles la Syrie aurait utilisé des armes chimiques contre des civils dans la région de Douma étaient sans fondement et mises en scène selon un rapport non publié de l’OIAC. L’OIAC a reconnu qu’il était « fort probable que les deux cylindres ont été placés manuellement à ces endroits plutôt qu’avoir été 

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