Le « tribunal pénal spécial » contre la Russie se retournera contre l’Europe et l’Occident

Par Elijah J. Magnier

Traduction: Daniel G.

Les pays européens et les USA ont lancé une vaste campagne médiatique visant à « créer un tribunal spécial pour juger les crimes de guerre russes » que Moscou est accusé d’avoir commis dans plusieurs villes depuis le début de la guerre en Ukraine. Cette campagne vise non seulement à tenir la Russie pour responsable, mais aussi à trouver un prétexte juridique que l’Occident pourra utiliser pour disposer des centaines de milliards de fonds russes gelés par plusieurs pays et sociétés privées. Mais une telle démarche n’est pas sans complications, car elle invitera la Russie à rendre la pareille en trouvant une formule juridique similaire à l’échelle nationale pour saisir les biens que les sociétés occidentales possèdent en Russie et en disposer (les institutions occidentales sont sous le contrôle de l’Occident). Les biens des sociétés occidentales en Russie semblent, dans une certaine mesure, plus importants que ceux que possèdent les Russes dans les pays occidentaux. En outre, une mesure juridique occidentale (si elle est mise en œuvre) ouvrira la porte à des mesures semblables contre tous les pays occidentaux qui ont commis des actes de guerre similaires assimilables à des « crimes de guerre contre l’humanité » au cours des années passées en Palestine, en Iran, en Irak, en Syrie, en Afghanistan, en Libye, au Yémen, en Serbie et dans d’autres pays.

Ursula Von Der Leyen, la présidente de la Commission européenne, qui portait l’étendard de guerre contre la Russie, a annoncé que les pertes ukrainiennes s’élevaient à 100 000 soldats morts et à 600 milliards de dollars de dommages sur les infrastructures. Au même moment, le président Volodymyr Zelensky a estimé les dommages causés aux infrastructures ukrainiennes à mille milliards de dollars. Selon Von der Leyen, la Russie « doit payer(…) c’est pourquoi nous proposons la création d’un tribunal spécial ».

Pour sa part, le vice-président de la Commission européenne et haut représentant pour les affaires étrangères et la politique étrangère et de sécurité Josep Borrell a annoncé que « l’Europe soutient la création d’un tribunal spécial chargé d’examiner les moyens juridiques de tenir la Russie pour responsable ». Il a également déclaré que « les fonds russes retenus dans les banques occidentales devraient être utilisés pour la reconstruction de l’Ukraine » et que « l’Europe a besoin d’un nouveau système de sécurité ».

Selon Von der Leyen, le montant des fonds retenus appartenant à la Banque centrale russe s’élève à environ 300 milliards de dollars, tandis que les avoirs des Russes fortunés qui sont gelés se chiffrent à environ 19 milliards de dollars. Une partie importante de cette richesse a été bloquée aux USA, en France, en Belgique, en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni. Selon des sources russes à la Douma, le volume des fonds, des dettes et des actifs des sociétés présentes en Russie est de l’ordre de 400 à 500 milliards de dollars, de sorte que le principe du troc pourrait fort bien s’appliquer.Si une accusation officielle incriminant la Russie émerge, les pays occidentaux estiment avoir le droit d’utiliser les fonds russes pour compenser les pertes résultant des actions de l’État russe. Bien entendu, si une telle procédure est engagée, des pays comme la Yougoslavie et l’Irak, pour n’en citer que deux, auront le droit d’exiger des compensations de la part des 

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membres de l’OTAN et de tous les pays qui ont participé à l’attaque de 1999 et à l’occupation de 2003 qui ont contribué à la destruction de ces sociétés et de leurs infrastructures. 

L’attaque de 1999 contre la Yougoslavie était une violation du droit international, car elle n’avait pas été autorisée par le Conseil de sécurité des Nations unies et dérogeait aux principes de défense collective de l’OTAN et de son article 5, qui protège chaque pays membre et prévoit recourir à la force létale lorsqu’un l’un d’eux est attaqué. En outre, il y avait suffisamment de preuves incriminant l’OTAN et ses attaques, qui ont coûté la vie à au moins 2 500 civils et détruit des ponts, des voies ferrées, neuf centrales électriques, des raffineries de pétrole, des installations industrielles et des hôpitaux.

Les USA et leurs alliés ont sanctionné la guerre illégale contre l’Irak sans l’approbation de l’ONU et sans respecter la Charte du Conseil de sécurité de l’ONU. Le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, l’a lui-même condamnée. De même, l’Irak a droit à des centaines de milliards de dollars de compensation pour les centaines de milliers d’Irakiens tués et la destruction de ses infrastructures par l’Occident. Des années après la fin de la guerre en Irak, de nombreux Irakiens souffrent encore des dommages résultant de l’utilisation illégale, par les USA, d’uranium appauvri contre des particuliers sur plus de 300 sites.

Les pertes humaines causées par les guerres des USA et de l’OTAN en Afghanistan, en Syrie et au Liban seront mises en avant pour être placées sur la même table que la guerre russe en Ukraine. Malgré le « principe » selon lequel l’Occident a droit à ce que les autres n’ont pas, l’échange ouvert d’informations fera en sorte que les médias internationaux ne pourront pas ignorer les dommages dévastateurs causés par les guerres occidentales des années passées. Par conséquent, l’insistance occidentale à vouloir créer un « tribunal spécial » contre la Russie est à double tranchant. Les adversaires de l’Occident seront frappés là où il le souhaite. Mais les USA et les pays membres de l’OTAN seront aussi touchés et pourraient ne pas être en mesure d’échapper à leur propre politique de deux poids, deux mesures sans pertes collatérales que pourraient leur faire subir tous les pays victimes des guerres occidentales au cours des dernières décennies.

L’Europe devra peut-être aussi songer aux résultats catastrophiques qui menacent les sociétés privées européennes en Russie, qui seront sans aucun doute considérablement affectées financièrement. Cela augmentera la charge économique du vieux continent, qui croule déjà sous la pression de l’inflation et des troubles sociaux qui en découlent.

Par conséquent, l’escalade des moyens de pression envisagée par l’Occident contre la Russie aura une conséquence inverse, totalement indépendante de l’évolution de la situation militaire sur le champ de bataille. Il semble que l’Ukraine ne soit pas en position de force pour continuer à se battre très longtemps après la mort de 100 000 officiers (selon Von der Leyen) et d’au moins trois fois plus de blessés retirés du champ de bataille. Les dirigeants européens doivent examiner attentivement combien de temps ils peuvent soutenir la guerre en Ukraine et comprendre qu’elle enrichit les USA tout en appauvrissant le vieux continent.

Le mécontentement de la population européenne s’est accru, principalement en raison de hausse de l’inflation. De plus, il manque d’armes en raison de l’Ukraine, ce qui met en péril la sécurité des nations européennes. Par ailleurs, la rencontre franco-américaine entre les présidents Emmanuel Macron et Joe Biden a confirmé leurs inévitables divergences à propos des conséquences économiques de la guerre des USA contre la Russie en Ukraine. La France est mécontente de la politique américaine et du fait que l’UE dépend de plus en plus de l’économie de Washington et de sa stabilité sur le plan de la sécurité.

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a rejeté l’appel du président Biden visant à « arrêter la guerre pour commencer les négociations », car l’opération militaire de la Russie se poursuivra « jusqu’à ce que ses objectifs soient atteints ». La Russie compte sur ses progrès sur le champ de bataille et sur le « général hiver » qui a commencé à frapper aux portes de l’Ukraine, qui croupit dans l’obscurité pendant de longues périodes malgré les 500 générateurs électriques géants fournis par l’Europe. La Russie cible et détruit l’infrastructure ukrainienne, ce qui rend la reconstruction du pays très coûteuse pour l’Occident.

L’Europe ne gagnera pas à envenimer la situation avec la Russie et à confisquer son argent. Les USA ont déjà tenté le coup avec les 20 milliards de dollars de fonds gelés du Venezuela. Ils en ont donné de grandes quantités à leur allié, Juan Guaido, qui n’est maintenant plus dans le décor. Le gouvernement vénézuélien demandera la restitution de tout cet argent, y compris des sommes utilisées par les USA. La Russie a aussi les moyens de frapper les sociétés occidentales et de paralyser l’économie européenne. 

Les USA se contenteront-ils de leurs gains dans cette guerre et l’Europe acceptera-t-elle ses pertes et se détournera-t-elle de l’Ukraine pour reconstruire à nouveau son économie? Toute escalade visant à confronter la Russie se retournera contre le vieux continent, comme ce fut le cas avec les sanctions imposées au début de la guerre. Celles-ci ont privé l’Europe du gaz russe bon marché et l’ont remplacé par du gaz américain, quatre fois plus cher.

C’est la politique, et non la loi, qui incite l’Occident à se jeter sur les actifs de la Russie, et la Russie n’hésitera sûrement pas à réagir de la même manière. D’autres pays pourraient aussi abuser de leur pouvoir et confisquer les ressources des pays occidentaux ou autres en réponse à cette démonstration de faiblesse de la part de l’Europe qui résulte de son soutien inconditionnel à la politique américaine. De plus, dans ce climat, de nombreux investisseurs hésiteront à s’aventurer dans n’importe quel pays par crainte de voir leurs avoirs confisqués et, par conséquent, de créer une perturbation sur le marché des échanges internationaux.

C’est une guerre à couteaux tirés en faveur de qui pourra tenir le plus longtemps. Les USA et la Russie peuvent effectivement tenir longtemps, encore bien des années. Mais le prolongement de la durée est insoutenable pour l’Ukraine et pour toutes les nations européennes.

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