Jusqu’où les USA iront-ils pour affronter la Russie en Ukraine?

Par Elijah J. Magnier

Traduction : Daniel G.

Lorsque l’attaque russe sur le territoire ukrainien a été lancée, la plupart des ambassades à Kiev se sont retirées dans l’attente d’une victoire rapide et écrasante du Kremlin. Cependant, les États-Unis ont vite compris que l’armée russe n’était ni préparée ni équipée pour mener une guerre sur un vaste terrain hostile en faisant face à une résistance acharnée. Les forces ukrainiennes dirigées par les États-Unis, entraînées depuis 2014 à contrer l’armée russe et rompues aux tactiques de guerre modernes, ont mis en évidence de graves faiblesses dans les lignes d’approvisionnement logistique de l’armée russe. Les États-Unis ont saisi l’occasion, assuré l’Ukraine de leur soutien indéfectible et promis de l’intégrer au bloc occidental une fois la Russie vaincue. Étant donné que ni les États-Unis ni la Russie ne peuvent se permettre de perdre la guerre, la crainte demeure que Washington soit déterminé à forcer la Russie à utiliser des armes non conventionnelles.

Dans les premières semaines précédant la guerre, les États-Unis ont réagi rapidement, en établissant un centre d’opérations à Ramstein, en Allemagne, chargé de surveiller et de diriger l’effort de guerre, et en planifiant de rompre tous les liens commerciaux et énergétiques entre l’Europe et la Russie. La diplomatie américaine a travaillé sans relâche pour persuader les dirigeants européens, jusque-là méfiants à l’égard du président Vladimir Poutine, de mettre leurs ressources derrière les États-Unis et d’adopter une position ferme face à la Russie. Les États-Unis ont promis à leurs partenaires européens, anciens maîtres coloniaux, qu’une Russie d’après-guerre serait transformée de la même manière que l’Union soviétique après la guerre de l’Afghanistan en 1979. Ils leur ont assuré que la Russie serait divisée en provinces, que Poutine serait remplacé et que l’une des régions les plus riches en ressources du monde serait découpée. La perspective de partager le butin de guerre a séduit les nations européennes qui, ces dernières années, ont subi les contraintes économiques dues à la pandémie de COVID-19 et qui voulaient relancer leur économie. Bon nombre de pays européens étaient hésitants dans les premiers mois de la guerre, mais les piètres performances de l’armée russe les ont convaincus d’unir leurs forces, car personne ne voulait être exclu du partage du gâteau russe.

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Cependant, la guerre ne s’est pas déroulée comme prévu pour les États-Unis et la Russie. Le président américain Joe Biden a résumé ses intentions de manière succincte : « Il ne s’agit pas de l’Ukraine. Il s’agit de l’Europe de l’Est. Il s’agit de l’OTAN. » Cette déclaration suggère que les États-Unis sont prêts à tout pour poursuivre la guerre et qu’ils accueilleraient même favorablement une réponse nucléaire de la Russie pour rallier les 75 % de pays qui ont refusé d’imposer des sanctions à la Russie. Les États-Unis voulaient réaffirmer leur domination sur l’Europe – comme l’a déclaré Biden – qui était en train d’échapper à leur contrôle. L’Europe – comme l’a déclaré le président français Emmanuel Macron – prévoyait démanteler l’OTAN et créer sa propre armée, malgré les centaines de bases militaires américaines disséminées sur le continent depuis la Seconde Guerre mondiale.

Lorsque les États-Unis ont commencé à fournir des armes à l’Ukraine, ils l’ont fait en réponse à des besoins précis sur le champ de bataille et à l’efficacité des forces russes, comme prévu par les militaires de 50 pays à Ramstein, en utilisant toutes les sources de renseignement électroniques et humaines disponibles. Les États-Unis prétendent diriger la guerre depuis Ramstein, et Victoria Nuland a confirmé il y a quelques jours que son pays se prépare à une contre-attaque depuis quatre à cinq mois. 

Cette déclaration confirme que, tout en accusant les forces ukrainiennes ou les séparatistes russes, les États-Unis ont mené une campagne active à l’intérieur de la Russie, en frappant de multiples cibles dans différentes villes russes. Les États-Unis ont recours à la guérilla, cette fois par l’intermédiaire de mandataires ukrainiens plutôt que de djihadistes, comme ils l’ont fait en Afghanistan dans les années 1980. L’objectif est d’humilier la Russie à l’intérieur du pays, de l’entraîner plus profondément dans un bourbier potentiel sur les fronts intérieurs et frontaliers, et de maintenir les forces russes en Ukraine aussi longtemps que possible, même si, après 15 mois, les États-Unis n’ont pas atteint leurs objectifs.

En effet, le général américain Christopher Cavoli, commandant de l’armée américaine en Europe et en Afrique, a déclaré que les forces terrestres russes s’étaient détériorées au cours du conflit. Toutefois, elles sont aujourd’hui plus importantes qu’au début de la guerre. Cela suggère que la Russie se prépare à grossir son armée en vue d’une bataille prolongée, sur plusieurs fronts s’il le faut, ou pour protéger ses frontières arctiques, d’autant plus que la Finlande a rejoint l’OTAN et que la Suède devrait faire de même une fois que la Turquie aura donné son accord. Le général Cavoli a également noté que « l’armée de l’air russe a perdu 80 avions, mais dispose encore de 1 000 chasseurs et chasseurs-bombardiers, tandis que la marine n’a perdu qu’un seul navire ».

Les commandants américains responsables de la guerre contre la Russie ne peuvent pas nier ce que Celeste Wallander, secrétaire adjointe à la défense pour les affaires internationales, a souligné lors d’une audition commune de la commission des forces armées de la Chambre des représentants. En réponse à une question du député Joe Courtney, elle a reconnu que « la Russie conserve des capacités stratégiques, notamment une force aérienne, des cybercapacités, des capacités sous-marines (…) Nous ne devons pas sous-estimer ses capacités militaires, car les conséquences d’un mauvais calcul sont trop importantes. »

Malgré cette reconnaissance, les commandants et les politiciens américains se sont abstenus de discuter ouvertement de la réalité : la Russie s’appuiera toujours sur sa force de dissuasion nucléaire et ne tolérera pas de perdre cette guerre si sa puissance militaire conventionnelle est affaiblie. Mais ce fait ne préoccupe guère la Maison-Blanche, qui a fourni à l’Ukraine et à ses alliés occidentaux suffisamment d’intercepteurs pour paralyser une armée de l’air russe qui semble bien moins active que ses vastes capacités ne le laissent entrevoir. Les États-Unis et leurs alliés ont promis de fournir à l’Ukraine 48 avions de combat F-16, qui ne changeraient pas la donne dans une confrontation avec l’armée de l’air russe. Cette réalité ne devrait pas pousser Moscou à perdre le contrôle, ni intimider le président Poutine.

La question demeure : Jusqu’où les États-Unis sont-ils prêts à aller? Armeront-ils l’Ukraine de bombes à l’uranium appauvri pour inciter la Russie à utiliser son arsenal nucléaire? Jusqu’à présent, rien n’a poussé le président russe à sortir de sa zone de confort. Mais la tolérance de la Russie a des limites, et perdre cette guerre entre la Russie et la coalition de 50 pays dirigée par les États-Unis est une option qu’aucune des deux parties n’est prête à envisager, ce qui porte les enjeux de ce conflit à un niveau dangereux.

L’ampleur de l’escalade du conflit par les États-Unis reste incertaine. La possibilité d’entraîner la Russie dans une guerre prolongée sur plusieurs fronts et le recours éventuel à la dissuasion nucléaire créent une situation précaire qui comporte des risques importants pour les deux parties. Alors que le conflit se poursuit, le monde entier retient son souffle, conscient des conséquences potentiellement catastrophiques de cette confrontation aux enjeux élevés et du potentiel d’erreurs qui pourraient avoir des conséquences imprévisibles.

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