Par Elijah J. Magnier: @ejmalrai
Traduction : Daniel G.
Le sort de la ville d’Idlib soulève une bonne dose de scepticisme à la suite de l’accord conclu entre les présidents Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan, qui a entraîné la suspension de l’opération militaire tant attendue contre les djihadistes et leurs alliés. Quelques détails de l’accord seulement ont été révélés, mais suffisamment pour semer le doute sur sa validité et sa viabilité. Ce qui n’empêche pas les Russes, les Iraniens et les Turcs d’afficher leur optimisme, pendant que les djihadistes à Idlib et les environs ne perçoivent plus l’affrontement comme inévitable. La principale différence maintenant, à la lumière de l’accord Poutine-Erdogan, c’est que la Turquie ne sera plus là pour défendre les djihadistes et qu’Erdogan va cesser de faire des vagues en Europe en brandissant le spectre d’un « exode par millions » (vers le vieux continent) comme moyen de pression pour éviter la bataille d’Idlib.
Ce qui n’est pas apparent dans l’information rendue publique, c’est qu’Erdogan et Poutine se sont aidés mutuellement à descendre de l’arbre d’Idlib sur lequel ils s’étaient juchés ces derniers mois en parvenant à un compromis valable et acceptable.
Avant l’accord d’Idlib, Poutine avait promis de nettoyer la ville et ses environs de la présence des djihadistes en soutenant la rhétorique du président syrien Bachar al-Assad (« chaque parcelle de la Syrie sera libérée »). L’armée syrienne a rassemblé le gros de ses forces à l’intérieur du territoire de 4 000 km2que représente le secteur nord occupé par la Turquie, ses mandataires et d’autres djihadistes. Cela a suscité une vive réaction du côté des USA, dont les forces occupent des parties du nord-est (Hassaké) et de l’est (al-Tanf) de la Syrie.
La perspective de libérer Idlib (s’il n’y avait pas eu d’accord) puis tout le territoire occupé par Daech dans le Levant aurait enlevé tout prétexte au maintien de l’occupation de la Syrie par les forces américaines. Washington aurait alors été forcé de démanteler ses trois bases principales (sur une dizaine en tout) et ses aéroports établis en Syrie, au moment même où la présence des USA en Irak est remise en cause. Ces facteurs ont poussé les USA à s’unir à ses alliés européens et à élaborer ensemble un plan visant à paralyser l’armée syrienne sous prétexte « d’attaques chimiques » apparentes d’Assad, ainsi qu’à enrayer le flot de réfugiés vers le vieux continent. En réponse aux plus grandes manœuvres militaires russes à avoir été effectuées au large de la côte syrienne, les USA ont rassemblé leurs forces en Méditerranée.
La Russie et l’Iran ont compris que les USA étaient résolus à trouver, et même à inventer, n’importe quelle excuse pour détruire l’armée syrienne. Poutine aurait alors subi l’humiliation de ne pas avoir laissé la Russie se porter au secours de son allié syrien. Moscou se serait retrouvé dans un pays très faible, son titre de superpuissance se résumant au nombre de bombes atomiques qu’il possède et à son poids à l’ONU, en étant visiblement incapable de protéger ses alliés. En cas de riposte russe à une attaque éventuelle des USA en Syrie, les conséquences auraient été inimaginables.

Pour Erdogan, la guerre à Idlib lui aurait fait perdre sa position de leader dans le monde islamique. Il se serait couvert d’ignominie comme l’Arabie saoudite, cet ancien chef de file du monde islamique qui a perdu son statut en s’alignant ouvertement sur les positions des USA au Moyen-Orient, par rapport à la cause palestinienne notamment. En cas de libération d’Idlib par les Syriens et les Russes, les mandataires turcs d’Erdogan se seraient retrouvés sans défense et son prestige en Turquie en aurait subi un coup.
Mais la Russie et la Turquie sont unies par des intérêts stratégiques fondamentaux, plus encore qu’entre la Russie et l’Iran. D’autant plus que Poutine a causé une brèche à l’intérieur de l’OTAN en concluant une alliance commerciale, militaire et stratégique avec l’important pays membre de l’OTAN qu’est la Turquie.
Tous les signataires de l’accord, y compris l’Iran (qui a joué un rôle important dans son succès), ont beaucoup à perdre et peu à gagner si la bataille d’Idlib est lancée. Seuls les djihadistes ont tout à gagner d’une telle bataille. L’accord Poutine-Erdogan impose une zone démilitarisée de 15 à 20 km dans un secteur sous le contrôle exclusif des djihadistes. Cela signifie qu’aucun djihadiste du Front al-Nostra (alias Hay’at Tahrir al-Cham) ne sera présent avec ses armes dans la région rurale à l’est d’Idlib, dans la région rurale d’Hama et dans la plaine de Sahl al-Ghab. Toutes les fortifications doivent être démantelées, toutes les armes lourdes doivent être retirées et aucune attaque contre les positions de l’armée syrienne n’est permise.
Le 10 octobre, le 15 novembre ou même le 15 janvier ne sera pas suffisant pour la mise en œuvre pleine et entière de l’accord par la Turquie. Cela signifie que la Turquie devra commencer à mettre en œuvre seulement ce qu’elle est en mesure de faire pour imposer son contrôle sur Idlib et sa région rurale. Ce qui ne laisse que deux possibilités : ou bien les djihadistes réévaluent leurs options et décident d’attaquer la Turquie, ou bien ils fusionnent avec les groupes mandataires de la Turquie et laissent partir tous les combattants étrangers.
La première option est suicidaire, car les djihadistes devront affronter les armées syrienne, turque et russe, ainsi que les dizaines de milliers de « rebelles » devenus des mandataires de la Turquie. Les djihadistes peuvent toujours compter sur Allah et engager le combat dans cette zone de 4 000 km2sans perspective d’avenir autre que mourir au combat. Ce choix est hautement improbable, bien que personne n’exclut la possibilité que de petits groupes rejettent l’accord, ce qui entraînera des luttes intestines à Idlib et aux environs.
Pour leur part, les alliés syriens ont renforcé leurs positions dans la ville d’Alep, en ayant déployé un grand nombre d’unités des forces spéciales. Ce déploiement s’est fait en réponse à des renseignements recueillis selon lesquels les djihadistes planifient d’attaquer le « projet domiciliaire 3000 » si l’accord tourne mal.
Loin de chercher un nouveau conflit en Syrie, la Russie veut plutôt mettre fin à sept années de guerre. Par conséquent, il serait inconcevable pour elle de lancer une attaque sur Idlib en présence de nombreuses forces militaires des USA et de l’UE en état d’alerte, dont certaines effectuent déjà des manœuvres en Méditerranée, en étant tout à fait prêtes à bombarder l’armée syrienne. L’accord d’Idlib permet à Poutine et à Erdogan de sortir d’une position délicate, tout en déraillant les plans des USA visant à prolonger la guerre au Levant. Tant que la Turquie montrera non seulement sa bonne volonté, mais qu’elle adoptera aussi des mesures concrètes prévues dans l’accord sur Idlib, il sera toujours possible de le prolonger. Chose certaine, la Turquie va sûrement imposer son contrôle sur la ville d’Idlib et ses environs. C’est le prix que le président Assad est prêt à payer pour le moment jusqu’à ce que les USA finissent par enterrer la hache de guerre.
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