
Par Elijah J. Magnier: @ejmalrai
Traduction : Daniel G.
Des négociations secrètes sont en cours à Moscou et Damas entre des représentants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) syrien et des responsables russes concernant le sort des militants kurdes en Syrie. La délégation kurde espère que la Russie – et non les USA – assumera le rôle de garant de leur sécurité en tentant d’obtenir quelques autres concessions afin de réduire leurs pertes lorsque l’armée syrienne reprendra le contrôle de toute la province d’Hassaké au nord-est de la Syrie.
Mais cela n’arrivera qu’une fois que l’administration américaine aura une fois pour toutes décidé de retirer son dernier soldat et de mettre fin à son occupation d’Hassaké. Les représentants du PKK ont proposé une « feuille de route » qui aboutirait à une promesse de protection, à un partage de la richesse et à la sécurité de la frontière avec la Turquie. Les USA tentent pour leur part de se dégager de leur responsabilité de protéger les Kurdes en la transférant à la Turquie. Le président turc Recep Tayyip Erdogan refuse d’obtempérer à leurs demandes d’offrir cette protection à ses ennemis du PKK en Syrie. Erdogan fait évidemment passer son alliance stratégique et commerciale avec la Russie avant son alliance turbulente avec les USA, en tant que membre de l’OTAN.
Le groupe militant kurde, qu’on appelle aussi les Unités de protection du peuple (YPG) et la branche syrienne du PKK, est convaincu que le temps est venu de quitter le navire américain pour s’embarquer dans celui des Russes, depuis que Washington a décidé de les laisser tomber dans le ravin turc. Pour leur part, les responsables syriens sont déterminés à n’accorder aucune concession aux Kurdes, malgré la médiation des Russes auprès de Damas.

Les militants Kurdes de la Syrie viennent tout juste de réaliser toute la faiblesse de leur position. En effet, ils sont plus faibles que jamais à la suite de la décision des USA de se retirer et de leurs demandes naïves faites à Ankara, formulées par le secrétaire d’État Mike Pompeo et le conseiller à la Sécurité nationale John Bolton, pour qu’il assure la protection de ses ennemis jurés. On dirait bien que les responsables à Washington n’ont conçu aucun plan pour les Kurdes. En effet, tout en exprimant leurs inquiétudes à propos des Kurdes, les USA souhaitent que d’autres s’en occupent. Les Américains se soucient peu des sacrifices faits par les militants des YPG qui, en servant de boucliers humains aux forces américaines présentes dans la province d’Hassaké au nord-est de la Syrie, ont perdu des milliers de combattants. Pire encore, Trump s’est moqué des capacités au combat des Kurdes en disant de façon sarcastique que les Kurdes « combattent mieux quand nous combattons à leurs côtés et quand nous envoyons 30 F-18 devant eux ».
Les Kurdes ont ainsi finalement appris leur leçon et aimeraient s’intégrer à l’État syrien. Ils ont vu le monde assister impuissant à l’exode de centaines de milliers de personnes d’Afrin, en n’osant pas intervenir contre la Turquie. Ils ont entendu la décision de Trump de les abandonner. Avec le départ des Américains, le rêve du Rojava, l’État kurde tant souhaité, s’évapore.
Pour Damas, si la Turquie avait occupé le nord de la Syrie, il aurait été possible d’exercer des pressions diplomatiques sur Ankara et des pressions sur la communauté internationale pour forcer le départ des Turcs du territoire syrien. Mais il aurait été quasiment impossible pour le gouvernement syrien de forcer un départ hâtif des forces américaines si elles s’étaient incrustées à Afrin ou à Hassaké, tout en offrant une plateforme à la disposition d’Israël au Levant, pour qu’il tire ainsi profit de l’infrastructure américaine dans la région.

Le président Bachar al-Assad a dit aux négociateurs russes que « la Syrie appartient à tous les Syriens et les Kurdes font partie de la Syrie. Par conséquent, ils ne devraient avoir ni plus ni moins de droits que les autres citoyens. Ils se verront attribuer une identité, mais n’auront droit à aucune concession spéciale ». Assad a également accepté de ne pas considérer les Kurdes comme des traîtres malgré leur protection des forces d’occupation américaines. Il a insisté sur le fait que la seule force opérationnelle sur le territoire national doit être celle de l’armée syrienne sous le contrôle du gouvernement central.
Les Kurdes ont accueilli l’armée syrienne dans le secteur toujours sous leur contrôle. La Turquie a accepté de maintenir ses forces et celles de ses mandataires syriens à l’extérieur de Manbij, tant que les militants kurdes resteront désarmés. La Russie a proposé et obtenu le retrait des forces kurdes, en rétablissant ses postes d’observation et en effectuant des patrouilles à l’ouest de Manbij. Erdogan espère encore parvenir à un accord se rapportant au nord de la Syrie pendant sa prochaine rencontre avec le président Poutine, qui devrait se tenir en janvier. La présence de milliers de djihadistes syriens et de mandataires armés à la porte de Manbij est un autre signe de l’affaiblissement de la position de négociation des Kurdes. Ils n’ont nulle part où se réfugier ailleurs qu’auprès de Damas.
Le président Erdogan a réussi à maintenir un équilibre entre ses relations avec Moscou et Washington, même si ses choix en Syrie semblent déjà faits. La Russie propose à la Turquie un partenariat économique et stratégique d’égal à égal stable et durable, tandis que les USA ne proposent aucun lien d’amitié, seulement des intérêts communs. En outre, les forces américaines ont armé les militants kurdes ennemis de la Turquie, alors que la Russie va accepter de les désarmer et mettre fin à leur puissance militaire. La volonté apparente de Trump de révoquer tout accord (comme l’accord sur le nucléaire iranien) ou de faire faux bond à ses alliés (les Kurdes) a contribué à pousser la Turquie dans les bras de la Russie.

Si les USA acceptent de laisser aux Kurdes les armes dont ils ont été équipés, cet arsenal se retrouvera automatiquement dans l’inventaire de l’armée syrienne. Sinon, les Kurdes pourraient devenir la proie des quelque 1 500 combattants de Daech qui restent à l’est de l’Euphrate, surtout si les USA désarment les Kurdes et quittent les lieux avant l’arrivée de l’armée syrienne. Les forces de Damas et leurs alliés ont éliminé des dizaines de milliers de militants de Daech qui se trouvaient dans des villes et des villages, ainsi que dans la steppe syrienne, sans l’aide de 30 F-18 américains. La fin du contrôle de Daech sur le territoire syrien changera la donne au Levant, même si ses « raids éclairs » ne disparaîtront pas si facilement. Le rêve d’établir un « État islamique » au Levant et en Mésopotamie est devenu, comme celui du « Rojava », un objectif inachevable et abandonné.
Les USA affirment qu’ils resteront autour du passage frontalier syro-irakien d’al-Tanf. Le prétexte de l’administration américaine pour maintenir sa présence, c’est de couper l’axe Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth. L’Iran livre des armes à la Syrie depuis plus de sept ans de guerre intensive et continuelle sur de multiples fronts. Il fournit armes et fonds au Hezbollah depuis 1982. La présence américaine pourrait nuire à une voie ferrée ou route possible entre l’Iran et le Liban, mais sûrement pas à un approvisionnement en armes bien établi. Le coût des livraisons par voie aérienne ou maritime est certes élevé, mais il en va de même des coûts liés à une présence prolongée des USA à al-Tanf, au beau milieu du désert syro-irakien. Les USA cherchent à gagner du temps en Syrie, mais dans les faits, ils le gaspillent.
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