
Par Elijah J. Magnier
Traduction : Daniel G.
« Nous ne pouvons pas remplacer le gaz russe du jour au lendemain », a annoncé l’Allemagne, ce qu’a confirmé la France en déclarant que « notre stock de gaz ne sera pas suffisant si la Russie cesse de nous approvisionner ». La Hongrie n’a pas hésité à révéler que « notre économie et notre monnaie locale s’effondreront si des sanctions liées à l’énergie sont imposées à la Russie ». La Finlande a confirmé quant à elle qu’il lui faudra huit ans pour se passer du gaz russe, dont l’Europe importe 43 % de ses besoins annuels via les lignes « Northern Stream I » et « Yamal ». Le gaz russe continue de couler à flots et traverse la Biélorussie, la Pologne et l’Ukraine, qui en bénéficie d’ailleurs toujours malgré la guerre en cours.
Ce n’est pas sorcier de comprendre pourquoi l’Europe a pris des mesures successives pour imposer des sanctions à son principal partenaire économique dans le domaine de l’énergie. Mais ce sont les pays européens eux-mêmes qui sont les plus affectés par leurs propres sanctions, surtout depuis que les prix du gaz ont quadruplé (4 000 dollars par millier de mètres cubes) et que les prix du pétrole ont grimpé en flèche pour atteindre 139 dollars, avant de redescendre à 131 dollars. Les USA, qui sont les principaux importateurs de pétrole russe, sont eux aussi considérablement affectés par leurs sanctions contre la Russie, à l’instar de l’Europe et du reste du monde. Mais ils ont décidé tout de même de sanctionner le pétrole russe et tous les produits pétroliers qu’ils importent, en étant pleinement conscients que le prix de l’énergie deviendra inabordable pour une bonne partie de la population mondiale. Le prix du baril de pétrole pourrait atteindre plus de 200 dollars, ce qui aura inévitablement un effet sur le coût de la vie dans le monde entier. Le président Biden a reconnu publiquement que la guerre en Ukraine allait toucher « chacun d’entre nous ».
Sans surprise, les États-Unis sont les principaux instigateurs des sanctions, car ce sont eux qui font la guerre à la Russie par l’Ukraine interposée en lui ayant fourni des armes avant la guerre et en continuant de le faire. Les États-Unis ont poussé leurs alliés occidentaux à leur emboîter le pas pour imposer des sanctions collectives à la Russie qui affectent en premier lieu leurs alliés. De 2014 et à aujourd’hui, 5 532 sanctions américaines ont été imposées à la Russie, qui touchent notamment des entreprises, des institutions et des particuliers, sans nécessairement nuire aux capacités de la Russie ou modifier ses plans.
Cependant, plusieurs pays comme la Chine, l’Inde, l’Iran, le Pakistan et d’autres États africains et asiatiques rejettent le diktat américain en ne participant pas à la campagne collective anti-Russie. C’est ce qu’a exprimé le premier ministre pakistanais Imran Khan après avoir reçu une lettre du chef des missions diplomatiques occidentales lui demandant de condamner la Russie dans sa guerre contre l’Ukraine. Sa réponse a été sans équivoque : « Croyez-vous que nous sommes vos esclaves et que nous ferons tout ce que vous demandez? »
À ce jour, les États-Unis et l’Europe ont principalement contribué à financer les Russes dans leur guerre contre l’Ukraine, en versant 14 milliards de dollars par mois pour la livraison de pétrole et de gaz russes. Les USA ont frappé à la porte du Venezuela après un boycottage de nombreuses années et leur « reconnaissance » illégale de Juan Guaido comme président en exil à la place du président officiellement élu Nicolas Maduro. Le président vénézuélien a reçu un émissaire américain qui lui a demandé d’augmenter sa production de pétrole pour qu’elle revienne à sa capacité totale afin d’approvisionner les États-Unis, et de réparer ses six raffineries que Washington a sanctionnées (pièces détachées) pendant des décennies. L’Iran a restauré une raffinerie et l’a remise en service pour usage interne, ce qui a permis au Venezuela d’exporter un peu de son surplus de pétrole.
Cependant, le Venezuela hésite à répondre aux vœux des États-Unis et impose ses conditions. Les demandes les plus importantes sont la levée de toutes les sanctions, la reconnaissance de la souveraineté vénézuélienne et le retour à la normale des relations avant toute autre démarche. Ce qui est loin de vouloir dire que Caracas va sauver les États-Unis, répondre à ses besoins en pétrole et tourner le dos à la Russie, avec laquelle elle a des accords économiques et de sécurité bien établis à long terme.
Les États-Unis se sont aussi tournés vers l’Iran en voulant accélérer la conclusion de l’accord sur nucléaire. Mais la démarche s’est heurtée au mur russe, qui a demandé un consentement écrit à la poursuite de la coopération militaro-économique entre Moscou et Téhéran. C’est un indice de la réponse de l’Iran à la Russie en ne permettant pas aux États-Unis de dépendre du pétrole iranien plutôt que russe. Le Venezuela et l’Iran donneraient-ils une bouée de sauvetage à l’administration américaine, qui impose des sanctions à leurs deux peuples depuis de nombreuses années, alors que la Russie les a aidés avec ses capacités?
Le prix du pétrole en mars 2020 était d’environ 16 dollars le baril. Il a atteint le mur des 140 dollars ces derniers jours, et demain, le prix va augmenter suite aux sanctions pétrolières américaines. Moscou compensera les sanctions américaines sur les importations de pétrole avec l’augmentation du prix du pétrole dans le monde. Les sanctions pétrolières américaines n’arrêteront certainement pas la guerre en Ukraine, ce que ferait un accord de neutralité entre Kiev et Moscou.
L’Iran et le Venezuela ne vendront certainement pas leurs excédents et leurs réserves de pétrole pour faire baisser leur prix et aider les États-Unis à atteindre leurs objectifs, alors qu’ils peuvent vendre très peu de pétrole à un prix très élevé et mettre Biden dans l’embarras tout en soutenant la Russie. Les affaires et la politique ne convergent pas toujours, mais le temps nous dira comment les États-Unis parviendront à ramener le prix du pétrole à son prix moyen.
Comme pour les autres sanctions occidentales, il existe plusieurs problèmes dont l’Occident n’est peut-être pas préparé aux conséquences en se précipitant vers une guerre économique contre la Russie. Le prix du nickel a enregistré sa plus forte hausse en une journée, soit environ 60 %, en raison des inquiétudes du marché concernant la pénurie d’approvisionnement en provenance de la Russie, troisième producteur mondial de ce métal utilisé dans les technologies et les piles. Le prix de l’acier a suivi en raison des inquiétudes suscitées en Europe par la longévité de la guerre en Ukraine.
Par ailleurs, le secteur de l’aviation civile russe sera touché, mais la Russie a quelques atouts dans sa manche. Des centaines d’avions loués par la Russie à l’Occident ne retourneront pas de sitôt à leurs propriétaires en raison des sanctions et de la fermeture des espaces aériens européen et russe. La Russie affirme que ses avions continueront à opérer sur le continent russe et vers les pays d’Asie et d’Afrique. La Russie a déclaré qu’elle a le droit de payer le bail en roubles, sinon ces avions seront considérés comme une compensation pour la perte qui frappera la compagnie nationale Aeroflot. Avant les sanctions, les bénéfices annuels d’Aeroflot atteignaient environ 491 milliards de dollars. Depuis aujourd’hui, le 8 mars, tous les vols de Moscou vers l’Europe et vice versa sont annulés. Les compagnies européennes qui possèdent ces avions ne récupéreront pas leurs actifs en raison des sanctions et de l’intention de la Russie de les conserver dans le pays.
La Banque centrale de Russie commencera à utiliser son système de messagerie financière interne dans le système SPSF comme alternative au système SWIFT. Seules quelques banques russes ont fait l’objet de sanctions qui les empêchent d’utiliser le système SWIFT, car l’Occident a besoin de ce système pour payer des milliards d’euros à l’avance pour obtenir du pétrole et du gaz.
PAYPAL, VISA, AMERICAN EXPRESS et MASTER CARD ont suspendu leurs opérations financières avec la Russie. Moscou a choisi comme alternative le système chinois UNION PAY qui fonctionne dans 180 pays dans le monde. Les cartes de crédit utilisant un autre système appelé MIR seront utilisées pour les transactions locales.
Il ne fait aucun doute que l’on assiste à une émigration massive des entreprises américaines et européennes de Russie, ce qui nuira à la fois la Russie et l’Occident. Mais les sanctions contre la Russie seront tout aussi dures pour l’Occident. Si la Russie se sert de son énergie comme arme, cela aura des conséquences semblables à celles d’Hiroshima, avec une hausse des prix du carburant et du gaz qui atteindra un niveau jamais atteint lors des crises précédentes.
N’empêche que Moscou s’est préparé en vue d’une guerre économique. La Russie dispose de réserves de liquidités s’élevant à 632 milliards de dollars en euros (32,3 %), en yuans (13,1 %), en or (21,7 %) et en dollars (16,4 %). 450 milliards de dollars se trouvent en Russie et en Chine et d’autres montants en France, en Grèce, en Allemagne, aux États-Unis et au Royaume-Uni.
Les conséquences de la guerre russe en Ukraine constituent incontestablement une étape charnière qui représente un tournant important dans l’histoire. La Russie se tournera vers son principal allié, la Chine, qui dispose des réserves monétaires et autres qui ont le plus de poids dans le monde. Elle poursuivra aussi ses échanges commerciaux et industriels avec le Pakistan, l’Inde, la Chine, l’Iran et d’autres pays d’Asie centrale.
La Russie a contourné les sanctions et la dévaluation de sa monnaie en 1998. Elle n’a pas été touchée par la crise européenne et américaine de 2008 et est à l’origine des séismes économiques dont les répercussions se font sentir aujourd’hui, notamment en Occident. Cependant, les lourdes sanctions imposées ne seront pas sans conséquences graves et la campagne médiatique anti-Russie sans précédent qui est à son paroxysme affectera le moral de la population russe.
L’Occident a tiré sur la Russie et s’est tiré dans le pied. Les responsables européens souhaitent voir la fin de la guerre en Ukraine rapidement. Le monde entier craint cette guerre avec ses répercussions économiques et militaires et espère qu’elle se terminera finalement à l’intérieur des frontières de l’Ukraine. Cependant, le président Poutine est déterminé à réduire l’Ukraine à la soumission, quelles qu’en soient les conséquences. Le président russe ne devrait pas se retirer si l’Ukraine ne signe pas d’abord l’accord qu’il demande. Les pourparlers internationaux officiels avec l’Occident doivent prendre en compte la crainte de Moscou concernant l’expansion de l’OTAN et son désir que soient clarifiées ses intentions envers la Russie.
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