
Par Elijah J. Magnier
Traduction : Daniel G.
Après le sommet de Djeddah, qui a souligné la nécessité pour les pays du Moyen-Orient de parvenir à une compréhension mutuelle, d’atténuer leurs différences et de trouver une solution à la cause palestinienne, le sommet Iran-Turquie-Russie de Téhéran a confirmé des objectifs similaires. Malgré les divergences entre l’Iran et la Turquie à propos de la Syrie et l’insistance d’Ankara à maintenir son occupation de certaines parties de la Syrie, le sommet tripartite a établi et démontré un nouvel axe stratégique. Ce qui fait ressortir la détermination des pays de l’axe antiaméricain (Russie et Iran) à s’éloigner de l’Occident, en renforçant les forces pour résoudre les différences, en trouvant un terrain d’entente et en favorisant une compréhension et une coopération plus poussées. Le sommet de Téhéran, comme celui de Djeddah, s’est soldé par un grand succès pour toutes les parties et a démontré la volonté de mettre fin à l’isolement infructueux que les USA cherchent à imposer à leurs adversaires et ennemis, sans oublier leur allié nécessaire (la Turquie).
Il ne fait aucun doute que la situation en Syrie a été l’un des principaux sujets abordés lors du sommet tripartite, qui a réuni les présidents Ibrahim Raisi, Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan. Il est essentiel de mentionner que la Russie et l’Iran sont les pays soumis aux sanctions occidentales les plus dures et se sont ralliés autour de plusieurs objectifs stratégiques. Le plus important est d’élargir l’horizon de la coopération en matière d’énergie, d’industrialisation militaire, de commerce et d’utilisation des monnaies locales pour favoriser les échanges et la croissance économique. La dédollarisation est donc l’un des objectifs les plus importants pour tous les pays désireux de se détacher de la domination politico-financière des États-Unis.
Le sommet de Téhéran a donc discuté de la Syrie et de l’importance de sa souveraineté, mais il a également abordé des questions toutes aussi importantes. En effet, la Russie et l’Iran sont des exportateurs de pétrole et de gaz qui ont décidé de coopérer avec Ankara dans le domaine de l’énergie, un des objectifs vitaux de la Turquie. Cette coopération permettra au président Erdogan d’offrir à son pays une source d’énergie essentielle et de redistribuer cette énergie russo-iranienne vers le continent européen voisin de la Turquie. La Turquie proposerait la solution à portée de main la plus adéquate si le vieux continent ne peut obtenir autrement la quantité qu’il lui faut (155 milliards de mètres cubes de gaz et 2,5 millions de b/j) pour réduire sa dépendance au gaz russe. Le gaz et l’essence algériens, émiratis et azéris ne suffiront pas nécessairement à répondre aux besoins d’approvisionnement énergétique de l’UE.
En fait, Ankara pourrait devenir une plaque tournante de l’énergie et occuper une position stratégique importante pour soutenir l’Europe en matière d’énergie. En échange, l’Union européenne réviserait la demande d’Ankara d’adhérer à l’UE, présentée sans succès en 1999.
L’autre point important de la discussion au cours du sommet a été la coopération et le protocole d’entente d’un montant de 40 milliards de dollars entre la National Iranian Oil Company et la société russe Gazprom. Cette étape stratégique montre l’intention de ces pays producteurs de pétrole de se passer des sociétés américaines et européennes qui ont longtemps monopolisé les marchés mondiaux de l’industrie pétrolière grâce à leurs capacités dans la fabrication de produits liés au forage, à l’extraction et à l’exploitation du pétrole et du gaz et dans la construction de raffineries. La Russie remplacera des sociétés internationales comme BP, Total, Shell, Chevron, Exxon Mobil et RDSA, qui sont déjà établies en Asie occidentale (et dans le monde entier).
De nombreuses sociétés pétrolières occidentales qui avaient signé des contrats avec Téhéran se sont retirées en 2018 lorsque le président Donald Trump a déchiré l’accord sur le nucléaire et imposé de lourdes sanctions à l’Iran. Cette étape indique et confirme le virage radical de l’Iran vers l’Orient, comme l’a promis le président Ibrahim Raisi lors de son arrivée au pouvoir. Elle illustre la détermination de la République islamique à augmenter son extraction de pétrole au moment même où le marché est assoiffé, comme le démontrent les récents développements internationaux et les conséquences de la guerre en Ukraine.
Il ne fait aucun doute que la présence à la même table que les présidents Poutine et Raisi d’un pays (la Turquie) qui dispose du nombre le plus important de troupes après les USA au sein de l’OTAN est une étape cruciale dans le contexte de l’isolement de Moscou et de Téhéran par les Américains à coup de sanctions.
Les présidents Raisi et Poutine ont convenu de développer leurs relations avec Erdogan et de le convaincre de calmer la situation au Levant, où les trois pays travaillent sur un même théâtre. Moscou et Téhéran jouissent d’une forte influence et d’une grande solidarité avec le gouvernement de Damas dans leur quête pour apaiser la tension au Moyen-Orient et répondre aux demandes formulées une semaine auparavant par les présidents, les rois et les princes arabes lors du sommet de Djeddah. La stabilité du Moyen-Orient, notamment en Syrie, figure sur la liste des priorités des dirigeants arabes et moyen-orientaux.
Ces derniers mois, en ayant pour but de combattre le terrorisme, le président turc avait exprimé son intention de pousser ses forces militaires jusqu’à 30 kilomètres au nord-est de la Syrie pour établir une zone tampon, ce que l’Iran, la Russie et même les États-Unis ont omis de commenté ou ont rejeté. L’Iran et la Russie ont répondu qu’ils soutenaient la lutte contre le terrorisme et que la sécurité de la Syrie et de la Turquie faisait partie de leur sécurité. Par conséquent, la coopération doit être poursuivie avec les mêmes objectifs communs, d’où la nécessité d’une coordination avec la Turquie, car la Russie et l’Iran sont conscients que le président Erdogan pourrait accepter d’abandonner son plan consistant à pousser ses forces à gruger davantage de territoire syrien.
Le sommet a fait ressortir des divergences se rapportant à la définition du terrorisme et à l’identité des organisations terroristes en Syrie dont toutes les parties voudraient mettre fin à l’existence. Erdogan considère les alliés kurdes des États-Unis comme des terroristes, contrairement à Poutine et Raisi, qui estiment que les organisations jihadistes d’Idlib – sous contrôle turc – sont des entités terroristes. D’autres désaccords sont apparus sur le dossier des personnes déplacées et le retour des réfugiés en Syrie. Erdogan souhaite qu’ils retournent à Idlib, sous le contrôle de ses forces et des milices syriennes qui leur sont inféodées.
Moscou et Téhéran savent très bien que le président Erdogan n’a pas l’intention de se retirer complètement de la Syrie, surtout dans la région d’Idlib et de ses environs, où la monnaie et la langue turques sont dominantes, et où les programmes scolaires ont changé. Tout ce qui touche à la vie quotidienne dans la province d’Idlib, au nord-ouest du pays, a été modifié pour correspondre aux modèles turcs.
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