
Par Elijah J. Magnier
Traduction : Daniel G.
Malgré la suspension des négociations sur le dossier nucléaire entre les USA et l’Iran depuis quelques mois, Washington n’a pas cessé d’envoyer secrètement des messages à Téhéran, par crainte que la « République islamique » ne prenne de nouvelles mesures radicales. Une telle démarche iranienne constituerait un retournement de situation pour l’Occident, qui modifierait ses priorités alors que les USA s’inquiètent de l’issue de leur guerre contre la Russie, qui remet en cause leur unilatéralisme et leur domination mondiale en sol ukrainien. Toutefois, comme l’Iran n’a cessé de répéter pendant des années qu’il ne comptait pas fabriquer une bombe nucléaire, pourquoi les USA se donneraient-ils la peine de revenir au Plan d’action global commun (PAGC)?
Lors d’une conférence à l’INSS, le chef de la division des renseignements militaires israéliens (Aman), le major général Aharon Halifa, a déclaré que « ce qui empêche l’Iran de se lancer dans la fabrication d’une bombe nucléaire, c’est la décision de Sayyed Ali Khamenei (le Gardien de la Révolution). Pour le moment, le régime iranien n’est exposé à aucun danger (malgré les dernières émeutes visant faire tomber le régime iranien) ».
Israël et les USA semblent se rendre compte que l’Iran n’est pas intéressé par la fabrication d’une bombe nucléaire et que la fatwa (verdict religieux contraignant) lancée par la plus haute autorité religieuse du pays, Sayyed Khamenei, tient toujours malgré l’énorme pression à laquelle Khamenei est exposé. De nombreux chefs religieux en Iran demandent à Sayyed Khamenei de modifier sa fatwa interdisant la fabrication d’armes nucléaires qui a force de loi, mais en vain. Par conséquent, l’administration du président américain Joe Biden occupe une position optimale pour annuler son engagement à revenir à l’accord sur le nucléaire iranien, qui expirera en théorie en juillet 2025.
Les USA n’ont aucune raison de lever les sanctions imposées à l’Iran, d’autant plus qu’une telle mesure donnerait à la République islamique le coup de pouce économique substantiel dont elle a besoin pour se redresser financièrement et économiquement et reprendre ses échanges avec l’Occident et le reste du monde. De même, la levée des sanctions permettrait à l’Iran de récupérer des dizaines de milliards de dollars bloqués par plusieurs banques dans le monde. Elle remettrait également le pétrole iranien sur le marché à un prix plus élevé que le prix inférieur actuel que Téhéran accorde aux pays asiatiques et à d’autres pays qui continuent d’ignorer les sanctions unilatérales et illégales des USA.
En outre, les USA et Israël savent que l’Iran poursuit son soutien à ses alliés de l’Axe de la Résistance en Palestine, au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen, et qu’il continue à les financer et à leur fournir des armes et des technologies modernes. Ainsi, la levée des sanctions américaines augmenterait le niveau d’inquiétude d’Israël et des autres pays du Moyen-Orient qui craignent l’expansion de l’influence iranienne au Moyen-Orient, surtout après l’échec de la dernière tentative de renverser la République islamique.
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Dernier point, et pas le moindre, l’administration américaine ne peut pas donner à l’Iran les garanties nécessaires qu’il demande. Téhéran craint que de nouvelles sanctions soient ajoutées ou que les sanctions existantes soient réactivées après la signature de l’accord sur le nucléaire. Lors d’échanges de messages récent entre les USA et l’Iran par l’intermédiaire du médiateur européen, le coordinateur des affaires étrangères de l’UE Josep Borrell, l’Iran a proposé de conserver mais de geler ses capacités nucléaires avancées et ses centrifugeuses, ce qui signifie que l’Iran adhérerait à l’accord signé en 2015. Mais il ne serait pas exclu de rétablir le programme nucléaire dans son intégralité au cas où de nouvelles sanctions seraient imposées ou si les USA rompaient l’accord, comme l’a fait le président Donald Trump en 2018.
L’Europe, selon Borrell, considère que « les demandes iraniennes sont raisonnables » et espérait que les USA répondraient positivement. Cependant, la réponse est venue des véritables décideurs – les Américains, pas les Européens – qui ont rejeté les propositions iraniennes.
L’administration américaine était peu enthousiaste en raison des élections de mi-mandat et a gelé les négociations pendant plusieurs mois. À la lumière des élections, le retour des républicains à la tête du Congrès a donné des sueurs froides au président Biden, de sorte qu’il a attendu jusqu’à ces derniers jours pour transmettre ses messages à Téhéran.
Le premier message des USA est passé par le Qatar, lorsque le président Biden a déclaré vouloir « libérer l’Iran ». Le conseiller à la sécurité nationale des USA a ensuite précisé que la déclaration de Biden était « un simple lapsus ». Le deuxième message des USA est parvenu immédiatement après l’annonce, par l’Iran, qu’il avait restauré la centrale nucléaire souterraine de Fordow, rouverte il y a trois ans après l’échec de l’accord sur le nucléaire, afin d’augmenter son taux d’enrichissement de l’uranium de 20 % à 60 %. L’Iran dispose désormais des centrales de Natanz et de Fordow, qui produisent de l’uranium enrichi 60 % (l’accord de 2015 ne prévoyait un enrichissement à 3,6 % seulement).
Le secrétaire d’État américain Anthony Blinken a été honnête lorsqu’il a déclaré qu’il voyait très peu de marge de manœuvre pour rétablir l’accord sur le nucléaire avec l’Iran. Même si le stock de l’Iran atteint 386,4 kg d’uranium enrichi à 20 % et 62,3 kg d’uranium enrichi à 60 %, cela n’atteint pas encore ce que l’Occident considère comme une zone dangereuse. L’Iran a besoin d’un niveau d’uranium enrichi à 90 % pour fabriquer des bombes nucléaires, ce qui est considéré comme facile à augmenter après l’acquisition des connaissances technologiques nucléaires requises. Rien n’empêche l’Iran d’atteindre le statut d’État nucléaire doté de capacités atomiques militaires après l’échec du changement de régime, y compris l’assassinat de ses scientifiques ou le sabotage des centrales nucléaires. Ce qui empêche l’Iran de fabriquer des bombes nucléaires, c’est uniquement la décision du Wali al-Faqih Sayyed Khamenei et non les capacités des scientifiques nucléaires iraniens ou des centrales nucléaires, qui disposent de suffisamment de centrifugeuses avancées pour atteindre le niveau souhaité.
L’un des problèmes apparents entre les USA et l’Iran semble être l’AIEA et son exigence que l’Iran explique la découverte de traces d’uranium dans trois endroits non annoncés. L’Iran a considéré cette question comme close en 2015 lorsque le président Barack Obama a signé l’accord. Selon les responsables iraniens, la relance de la demande de l’AIEA n’est rien d’autre qu’un prétexte des USA pour ne pas revenir à l’accord sur le nucléaire. Ils font remarquer que l’information a été fournie à l’AIEA par les services de renseignement israéliens et qu’elle manque de crédibilité. Elles ne sont pas fiables, ce qui n’est pas nouveau pour cette organisation.
Les prétextes évoqués par les USA ou l’AIEA poussent le niveau des négociations à un « dialogue de sourds ». En fait, plusieurs facteurs empêchent le retour à l’accord sur le nucléaire dans la dernière moitié du mandat du président Biden, à commencer par le retour au pouvoir du premier ministre Benjamin Netanyahu, qui s’oppose à tout accord avec l’Iran et qui ne s’entend pas bien avec le président Biden. En outre, la perte du leadership démocrate au Congrès accroît la pression sur Biden, d’autant plus que les républicains ne veulent pas d’un accord avec l’Iran et s’y opposent systématiquement. Il y a aussi la guerre entre les USA et la Russie en Ukraine. L’Iran a démontré sa défiance envers les USA et l’OTAN sur le plan militaire en fournissant à la Russie des drones qui ont rapidement ajusté l’équilibre militaire et aidé Moscou à réduire ses pertes.
Enfin, le manque de volonté et d’intérêt des USA pour la levée des sanctions, tant que l’Iran n’a pas l’intention de fabriquer une bombe nucléaire, ne motive pas les responsables à Washington à se précipiter pour conclure un accord. Par conséquent, la politique américaine consistant à faire perdre du temps reste prévalente, et le dialogue entre l’Iran et les USA demeure un dialogue de sourds.
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