Washington cherche-t-il à éloigner Caracas de Moscou et Téhéran?

Par Elijah J. Magnier

Traduction : Daniel G.

Les États-Unis d’Amérique ont octroyé à Chevron un prolongement de sa licence limité à six mois pour reprendre le pompage du pétrole au Venezuela. Il s’agit là d’une étape essentielle après l’annonce, par les USA, de débloquer trois des vingt milliards de dollars et plus de fonds vénézuéliens gelés dans des banques et des institutions internationales de différents pays. Cette décision est perçue comme un premier pas positif mais timide qui va dans le sens des intérêts américains en premier et des intérêts vénézuéliens en second. Les observateurs et les analystes estiment que cette mesure pourrait montrer l’intention des USA d’éloigner le Venezuela de la Russie, de la Chine et de l’Iran. Est-ce vraiment dans les plans des USA et est-ce réalisable?

Un haut décideur du gouvernement vénézuélien, bien au fait des négociations en cours, a déclaré ceci : « Le Venezuela n’a pas changé et ne changera pas sa politique envers ses alliés et amis qui l’ont soutenu pendant toutes ces années de sanctions américaines illégales contre le pays. Le Venezuela entretient d’excellentes relations avec l’Iran, la Russie, la Chine, l’Inde, le Brésil, Cuba et d’autres pays. Ceux-ci resteront nos amis et alliés, que toutes les sanctions occidentales illégales soient levées ou non. Nous avons nos principes et nous n’allons pas oublier nos amis et les pays qui ont tenté de renverser notre système démocratique. »

Le Venezuela a amorcé des négociations au Mexique avec la délégation de l’opposition de droite vénézuélienne soutenue par les USA qui ont mené à un accord, qui prévoit notamment la tenue d’élections présidentielles dans le pays en 2024. Cette décision a été suivie par l’annonce du département du Trésor américain de débloquer trois milliards de dollars qui seront administrés par les Nations unies, une fois que le gouvernement vénézuélien aura établi ses priorités en matière de dépenses. Selon la source, l’accent sera mis sur « le système d’éducation et les écoles, la santé, l’électricité, le soutien à plus de 60 000 malades chroniques et cancéreux, la construction d’hôpitaux, la lutte contre la pénurie de médicaments et d’autres projets d’infrastructure ». 

Samedi, le bureau du Trésor américain chargé du contrôle des actifs étrangers a octroyé à Chevron la licence générale 41, qui lui permet de reprendre ses opérations d’extraction de pétrole au Venezuela pendant six mois. Le bureau du département du Trésor américain a ouvert ses portes samedi, un jour férié, pour délivrer cette licence. Il convient toutefois de noter que Chevron ne détient qu’une infime partie des droits d’extraction de pétrole qu’elle gère. La majorité de la production et du contrôle du pétrole est détenue par la société publique vénézuélienne de pétrole et de gaz naturel PDVSA. Chevron a donc le droit de vendre ce qui est extrait en partenariat avec PDVSA et de vendre le pétrole à l’acheteur qui offre un prix correspondant aux prix internationaux.

Tout cela est lié au pétrole. Depuis 2017, l’Occident considère que le Venezuela est dirigé par un dictateur. Le président Trump a imposé de lourdes sanctions au pays. Cette classification américaine du Venezuela et l’utilisation par Washington de son arme favorite, les droits de la personne, se sont soudainement évanouies en raison de la soif pour le pétrole. Du jour au lendemain, le « président-dissident » Juan Guaido, longtemps présenté par l’Occident comme un président fantoche de rechange, n’est plus reconnu comme président intérimaire du Venezuela après avoir perdu son poste à la tête de son parlement et à la suite de l’échec de la révolution de couleur.

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Il est clair que la promotion de Juan Guaido en tant que président n’a pas permis d’atteindre les objectifs américains qui étaient d’amener la population à se retourner contre ses dirigeants, d’étrangler l’économie vénézuélienne et de confisquer ses avoirs. Ceux-ci, qui s’élèvent à plus de 20 milliards de dollars, proviennent de la vente du pétrole, du fer, de l’aluminium et d’autres sources de revenus que l’État et le secteur privé ne peuvent restituer pour soutenir l’économie vénézuélienne en raison des sanctions américaines. En outre, le Royaume-Uni a saisi illégalement de l’or vénézuélien, dont la valeur est estimée à environ deux milliards de dollars. Toutes les sanctions des USA et de l’UE ont été imposées unilatéralement sans l’approbation des Nations unies, ce qui a entraîné des pertes de revenus de plus de 20 milliards de dollars pour l’État vénézuélien. Cela montre comment les sanctions occidentales frappent toujours la population en premier lieu, à l’instar des sanctions américaines contre Cuba, la Syrie, le Liban et l’Iran. L’Occident a également cédé une partie de l’argent du Venezuela à l’opposition, qui a perdu sa cause soutenue par la politique américaine de changement de régime. Mais Caracas ne négociera pas les dépenses des sommes confisquées appartenant à l’État disposées illégalement par l’Occident pour ses objectifs politiques.

Le président Nicolás Maduro a tenu les dernières élections législatives en 2020 et les élections régionales en 2021 pour prouver aux observateurs internationaux présents à Caracas la transparence et l’équité de ces scrutins. Cependant, après les résultats qui ont accordé au moins 18 des 23 gouvernorats au parti au pouvoir, l’Occident s’est obstiné à ne pas reconnaître sa défaite face au choix du peuple. L’objectif (raté) est de saper le pouvoir du président Maduro, de le soumettre et de l’amener « dans le droit chemin » prôné par les USA.

Washington est entré en conflit avec Nicolas Maduro, qui a non seulement suivi les traces de son prédécesseur, Hugo Chavez, mais qui a aussi adhéré aux principes du « libérateur » Simón Bolívar, qui a lutté pour l’indépendance du Venezuela et de l’Amérique latine face au colonialisme espagnol. Voilà maintenant que le président vénézuélien annonce sa fidélité à ses alliés internationaux qui ont soutenu son pays pour qu’il tienne bon et s’oppose à l’hégémonie américaine sur les riches ressources naturelles du Venezuela. Maduro gouverne son peuple selon les principes et les fondements de la révolution bolivarienne sur laquelle repose la « Tierra de Gracia » (Terre de Grâce – surnom du Venezuela), comme l’a appelée Christophe Colomb lorsqu’il a débarqué en 1498.

Il ne fait aucun doute que la nouvelle position des USA constitue un recul positif crucial, sans nécessairement conduire à la levée des sanctions illégales imposées par le président Donald Trump et maintenues par son successeur Joe Biden. Il s’agit toutefois d’une victoire pour la politique du président vénézuélien qui consiste à céder à la diplomatie, comme il l’a fait en serrant la main du président français Emmanuel Macron, qui avait imposé des sanctions à Caracas. Ces événements interviennent évidemment à un moment où l’Occident a besoin du pétrole vénézuélien.

Le retour de Chevron au Venezuela ajoutera quelque 200 000 barils par jour pour répondre aux besoins des USA. Ce nombre est considéré comme une infime partie de la capacité pétrolière du Venezuela qui, malgré les sanctions, a pu exporter environ un million de barils par jour, selon des sources diplomatiques vénézuéliennes fiables. Les USA tentent de présenter leur décision comme une victoire pour leur économie et Chevron, mais la réalité est différente.

Le Venezuela n’abandonnera pas ses amis en échange du retour de Chevron à Caracas. Ce retour sert les intérêts des USA dans leur lutte contre la Russie en offrant une alternative à une partie du pétrole russe importé. Les USA, qui importaient environ 700 000 barils de pétrole par jour de Moscou, espéraient combler ce déficit grâce à l’approvisionnement en pétrole provenant du Venezuela et de l’Irak. Ce que Washington a fait illustre son incapacité à persuader les pays de l’OPEP+ de revenir sur leur décision de réduire la production de deux millions de barils par jour.

Le président Nicolás Maduro, qui compte sur Cuba, la Russie, l’Iran et la Chine pour faire tourner l’économie du pays, a triomphé. D’autres pays d’Amérique latine s’éloignent progressivement de l’hégémonie américaine, en suivant les traces du Venezuela et de Cuba (comme le Mexique, la Colombie, le Salvador, le Honduras et le Brésil). La contestation de l’hégémonie américaine est contagieuse et ne se limite pas aux pays du Moyen-Orient ou à l’Iran, à la Russie et à la Chine. Elle s’étend également à l’arrière-cour des USA, ce qui montre une fois de plus l’incapacité de Washington à gagner le cœur et l’esprit des gens, même ceux de son propre continent.

La politique étrangère américaine à l’égard de l’Amérique latine au XIXe siècle visait à exclure l’influence économique, les pouvoirs et l’expansion territoriale des Européens pour les remplacer par de grandes sociétés américaines. Ces objectifs étaient exprimés dans la résolution de non-transfert (1811) et la doctrine Monroe (1823) que le président Donald Trump a récemment évoquées, et qui permettaient à Washington d’intervenir dans tout pays au sud de la frontière américaine pour maintenir son influence. Les interventions étrangères étaient acceptables tant que les USA pouvaient intervenir dans leur arrière-cour. Mais ces temps sont révolus et l’Amérique latine, ainsi que de nombreux autres pays dans le monde, sont conscients des dégâts causés par les interventions militaires et économiques des USA (principalement au Moyen-Orient) pour soumettre les populations qui refusent leur hégémonie. De toute évidence, le cercle des opposants à l’hégémonie américaine ne cesse de grandir.

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